L'Amante orchidée

14 minutes de lecture

L’Amante orchidée

Les pâles rayons du soleil édulcoraient le ciel bleu nuit où sommeillait une lune blafarde. Dans ce clair-obscur, j’empilais mon dixième gobelet à café du matin. La tour de Pise qui penchait sur mon bureau bringuebala une infime seconde avant de s’écrouler au sol. Je jurais tel un charretier tout en épongeant la moquette blanche à quatre pattes. Mon cœur battait la chamade, et je redoublais d’efforts pour boucler l’appel d’offres à temps. J’avais imaginé un nouveau centre oncologique recouvert d’un dôme de lumière posé dans un écrin de verdure. Il bénéficiait de l’infrastructure nécessaire à une prise en charge optimale des patients. Les trois piliers du traitement : radiothérapie, chirurgie, chimiothérapie jouxtaient des soins-supports comme la sophrologie et la diététique. Alors que je procédais à la signature électronique de l’ultime page, l’écran de l’ordinateur se figea tout à coup. Mon directeur trépignait derrière ma chaise, tout en faisant crisser sa barbe drue entre ses ongles. Soixante-dix millions d’euros dépendaient du bon vouloir de cette foutue machine. Écumant de rage, je tapais du poing sur la table, et le disque dur éructa avant d’afficher l’accusé de réception. Je lâchais alors un soupir, puis la sonnerie de mon portable me rappela un rendez-vous chez le radiologue. Bon sang ! c’était la veille de Noël, l’établissement fermait dans un quart d’heure. Sitôt, je bondis sous le regard ébahi de mon supérieur hiérarchique qui resta bouche bée, la main levée en guise d’au revoir.

Dix minutes plus tard, j’effectuai un créneau en face du cabinet dont les ampoules LED s’éteignaient une par une. Je me faufilai alors entre les voitures arrêtées, pare-chocs contre pare-chocs, sur le passage piéton. Bien que j’aie atteint la porte automatique, le praticien qui avait terminé sa journée déboutonna sa blouse en activant le volet mécanique, il était presque dix-neuf heures. Je cognai avec insistance contre la paroi métallique pour l’interpeller. Il lâcha l’interrupteur puis la grille remonta en grinçant. Ses yeux bleus acier me dévisageaient, comme si je lui évoquais une vague connaissance. Il secoua la tête négativement puis s’exprima d’une voix morne.

— Vous êtes en retard, madame. Rappelez le secrétariat aux heures d’ouverture la semaine prochaine pour reprogrammer votre mammographie !

Je relevai son nom inscrit sur sa poche avant de rétorquer.

— Docteur Lamproie, je vous en prie, c’est compliqué pour bloquer un rendez-vous en ce moment.

— Toutes les mêmes, bougonna-t-il, en levant les yeux au ciel. D’accord, mais c’est la dernière fois, vous m’avez bien compris ! Entrez dans la cabine n°1, et déshabillez-vous ! J’arrive dans un instant.

Après avoir ôté mon soutien-gorge, je lui signalai que j’étais atteinte d’une mastose polykystique. Il m’écrasa alors chaque sein entre les deux plateaux du dispositif, façon de rechigner dans un langage non verbal. Je hurlais de douleur, car sa chevalière s’était entremêlée dans mes cheveux tandis qu’il m’immobilisait. Il retira ensuite sa main gigantesque d’un geste brusque. Sans l’once d’une excuse, il me libéra enfin, et pointa son doigt vers la salle d’attente. Je patientais, secouée de spasmes, dans la semi-obscurité où quelques cliquetis ponctuaient un silence mortel. Un courant d’air glacé me remplit d’épouvante, puis un parfum d’orchidée se distilla dans l’atmosphère. Je m’approchai de l’accueil à la recherche du bouquet odorant. À la place, une plante verte rabougrie perdait ses feuilles sur le comptoir, une par une. Le médecin, les lèvres crispées, se précipita vers la bannette des secrétaires pour retirer une enveloppe, puis fourra les résultats à l’intérieur. Il portait une chemise en soie noire qui durcissait son visage lifté, un balayage blond dissimulait une soixantaine mal assumée.

— Vous vous débrouillerez comme une grande avec la sécu pour le remboursement. Voici un imprimé CERFA à compléter. Signez-moi un chèque en blanc d’avance ! Bon réveillon, madame Priest.

— Mais… docteur, vous ne m’avez rien expliqué ?

— Bah ! C’est un placard mastotique, sans nodules suspects. Maintenant, rentrez chez vous !

Je regagnai ma voiture, les yeux remplis de larmes. Plusieurs minutes s’égrainèrent avant que mes battements de cœur ne ralentissent. J’activai alors la lumière du plafonnier, puis j’ouvris la pochette des résultats. Lamproie avait griffonné des pattes de mouche sur le courrier d’accompagnement. Quant au cliché radiographique, il était noyé dans la pénombre de l’hiver. Cependant, un nom m’interpella en première page, Marie Pommier. En plus de m’avoir violentée, ce barbare s’était trompé de patiente. Un moteur de Porsche m’écorcha soudain les oreilles, j’eus à peine le temps d’identifier Lamproie qui filait devant moi en brûlant le feu rouge. Je pris une grande inspiration puis redémarrai mon véhicule pour rejoindre mon foyer. Ma femme et nos parents bavardaient dans le salon près d’un sapin obèse qui dissimulait les cadeaux. Cloé servit à chacun une coupe de champagne millésimé avant de trinquer. Elle scruta mon regard sombre quelques secondes, puis attendit le départ des aînés après minuit pour m’interroger.

— Tu as l’air préoccupé, Magda ?

— J’ai vécu l’enfer aujourd’hui, boulot de dingue, puis mammographie merdique.

— Ne me dis pas qu’ils t’ont trouvé quelque chose ?

— Un certain docteur Lamproie m’a maltraité avant de me refiler les résultats d’une autre patiente.

Je lui contais la brutalité de ses gestes, avant de m’effondrer dans ses bras.

— Demain, nous irons déposer plainte au commissariat contre cet individu avant de retourner au cabinet lui sonner les cloches. À présent, tu veux bien me montrer ce cliché, Magda ?

Cloé fronça les sourcils en découvrant l’identité de la femme en question.

— Marie, Marie Pommier, je connais cette personne.

— Ah bon ?

— Cette jolie trentenaire a fréquenté l’unité de sophrologie pendant six mois, le temps du traitement. Marie a subi une ablation du sein gauche et un curetage axillaire pour retirer les ganglions suspects sous l’aisselle. Son cancérologue était pessimiste au début, mais c’était une battante qui n’a jamais manqué aucune de mes séances malgré ses soins intensifs.

— Pourquoi en parles-tu au passé ?

— J’ai reçu son avis de décès la semaine dernière, elle s’est jetée dans le canal du Nord. Pourtant, ses récents résultats d’analyses étaient encourageants. Elle envisageait même de rouvrir son commerce dès le mois prochain. C’est incompréhensible, soupira Cloé.

— Cette mort me semble bien suspecte. J’aimerais que tu soumettes ce cliché à d’autres praticiens exerçant dans ton établissement, Cloé. De mon côté, je retourne dès lundi chez Lamproie. Je prétexterai avoir perdu mon enveloppe.

— Ma priorité, c’est toi, Magda. Je t’interdis d’y aller seule !

La nuit qui s’ensuivit, j’entendis une voix intérieure qui répétait en boucle le mot cancer. Je rêvais d’une orchidée qui poussait indéfiniment au milieu du cabinet de radiologie. J’étais prise au piège dans ses tiges tentaculaires qui m’étouffaient peu à peu dans la salle d’attente. Une tête de mante religieuse avec des yeux injectés de sang apparut au sommet, puis remua ses mandibules en émettant des sons stridents. Trempée de sueur, je tâtonnais la table de chevet pour allumer la lampe.

— Cloé, Cloé, réveille-toi !

— Quoi ? Que se passe-t-il, Magda ?

— Je viens de faire un cauchemar, c’est comme un mauvais pressentiment.

Je lui décrivis la créature monstrueuse prête à me dévorer.

— Je suis sophrologue ma chérie. Je peux t’aider à déchiffrer cette vision.

Nous nous levâmes ensuite de bonne heure, les yeux encore ensommeillés par cette nuit inachevée. Après le commissariat, nous nous précipitâmes au centre de radiologie dès l’ouverture. La secrétaire médicale fixa mes paupières gonflées en ajustant sa blouse, puis alluma son ordinateur. Elle marmonna quelques paroles désobligeantes à mon égard, l’air narquois.

— La gueule de bois, c’est typique des fêtes trop arrosées. Patientez pendant que je réimprime vos clichés. Apollon, euh…je veux dire Lamproie est absent cette semaine. Sa remplaçante, la doctoresse, Mathilda Lavie, va commenter vos résultats.

Après quelques minutes d’attente insupportable, la radiologue nous convia dans son bureau puis ferma la porte.

— Mesdames Priest, bonjour, asseyez-vous. Je dois vous montrer à l’écran une zone qui correspond à des microcalcifications non diagnostiquées par mon homologue. Voyez-vous, le déchiffrage du tissu mammaire nécessite parfois l’avis de plusieurs confrères. Grâce à la télémédecine, sous couvert d’anonymat bien entendu, j’ai évoqué cette problématique. Je vous invite à consulter votre gynécologue sans attendre. J’ai préparé un courrier à son attention pour lui suggérer de programmer rapidement une prise de sang, une IRM, ainsi qu’une biopsie.

— Mais … vous voulez dire que j’ai un cancer du sein ? lui répondais-je, en hoquetant.

Cloé m’entoura de ses bras en me tapotant le dos.

— Madame Priest, ne paniquez pas. Vous effectuez vos mammographies de contrôle avec régularité, c’est un point positif. Pour l’instant, cela ne reste qu’une suspicion à confirmer.

— Et dire que nous avons pris rendez-vous pour une insémination artificielle la semaine prochaine. J’ai trente-huit ans et Cloé quarante-deux, c’est moi qui porterais l’enfant.

— Je comprends votre inquiétude, mesdames. Néanmoins, il serait préférable de différer votre projet de grossesse dans l’attente des résultats.

Aussitôt, je consultais mon médecin généraliste pour l’informer des catastrophes qui s’abattaient sur moi. Il me prescrivit un arrêt-maladie, et m’orienta vers un psychologue pour me prémunir des effets dominos qui ne tarderaient pas à se manifester. De son côté, Cloé m’inscrivit aux cours de sophrologie pour décrypter les cauchemars qui me hantaient. Elle m’annonça un fait surprenant à l’occasion d’une séance de rêve éveillé, Marie Pommier et moi partagions des capacités extra-sensorielles qu’elle qualifiait de paranormales. Même décédée, elle communiquait avec moi pendant mon sommeil.

En pleine nuit, j’entendis à nouveau une voix intérieure me susurrer sans relâche le mot cancer. Des parfums d’orchidées se diffusèrent ensuite dans notre chambre. Suffoquée par ces effluves enivrants, j’attrapai le bras de Cloé. Elle se tourna vers moi, mais une tête de mante religieuse s’était substituée à la sienne, des pattes antérieures crantées comme un poignard se projetèrent vers mon visage, puis la créature agita ses mandibules prêtes à m’attaquer. Je tombai du lit en hurlant jusqu’au retour de la lumière.

— Quoi ? Que se passe-t-il ? Encore ces horribles visions, Magda ?

— C’est pire que la dernière fois, je t’en supplie, aide-moi Cloé !

Le lendemain, nous retournâmes au cabinet de radiologie pour sermonner Lamproie, à huit heures sonnantes, mais ce gougeât brillait toujours par son absence inexpliquée. Je n’avais, hélas, pas toutes les cartes en main pour envisager le bon scénario. Sa remplaçante, Mathilda Lavie, lui avait-elle reproché son diagnostic erroné à mon sujet ? Craignait-il d’être convoqué devant l’ordre des médecins ?

À la veille du week-end, je reçus un appel téléphonique du service de cancérologie, j’étais atteinte d’une tumeur de stade 1 ou précoce. Un premier rendez-vous était programmé au pavillon d’oncologie. Cloé posa sa matinée pour m’accompagner à cette confrontation difficile avec la maladie. Le professeur me rassura tout de suite en m’affirmant que ma grosseur au sein gauche n’était pas métastasée, ainsi mes chances de guérison étaient supérieures à quatre-vingt-quinze pour cent. J’acceptai une chirurgie mammaire conservatrice et une biopsie du ganglion axillaire. Je me souvins qu’une de mes tantes avait subi une mastectomie suivie d’une récidive vingt ans plus tôt. Au vu de ce nouvel élément, une chimiothérapie fut également préconisée.

De retour à la maison avec Cloé, j’eus une pensée pour Marie Pommier.

— C’est donc le crabe qui m’unit à cette femme, supposais-je, cyniquement.

— Non, c’est différent. Son pronostic vital était engagé lorsque j’ai fait sa connaissance. Elle a tardé à consulter sa gynécologue suite à une relation amoureuse compliquée. Marie était enceinte de deux mois quand le diagnostic a été posé, ensuite elle s’est résignée à avorter. Elle a même renoncé à son métier de fleuriste. Pendant les séances de sophrologie, elle a pu renouer avec sa passion des orchidées.

Après l’opération, les premiers jours de chimio furent épuisants, mais les infirmières se montrèrent bienveillantes. Cloé ne me lâcha pas d’un pouce, et malgré mon haleine méphitique de ginko bilobé, notre couple affronta la tempête. Je me tondis les cheveux avant de ressembler à un saule pleureur malmené par les bourrasques automnales. Cloé m’offrit une perruque qui m’évoqua l’artiste Zizi Jeanmaire. En guise de réponse, j’improvisais un show burlesque dans la cuisine où je mimais l’idole de ma mère en maillot de bain avec un boa rose fluo autour du cou.

Le jour suivant, en séance de sophro, j’observais la photo de Marie Pommier affichée sur le tableau à côté du faire-part de décès. Je ne sais pas si c’est son sourire enjôleur ou ses fossettes qui m’interpellèrent, mais nous nous ressemblions comme deux sœurs. Cloé n’avait-elle donc pas remarqué cette évidence ? Je l’interrogeais à ce propos.

— Pourquoi, n’as-tu pas évoqué cette similitude entre nous deux ?

— Je ne voulais pas que tu t’associes à son affection, tout simplement.

— D’abord les rêves, maintenant ce mimétisme, comme c’est étrange.

— Et ce n’est pas tout, Magda, je me suis renseignée auprès d’une patiente qui avait sympathisé avec elle. La fleuriste avait pour amant un homme marié, radiologue de surcroît. Alors qu’il s’apprêtait à divorcer, Marie tomba malade. Elle pensait que son compagnon la soutiendrait dans cette épreuve difficile, mais il refusa ses appels téléphoniques dès qu’il apprit la triste nouvelle. Je fulminais de colère quand Cloé me restitua les propos tenus par la confidente.

— C’était Lamproie son Jules, quel salaud ce type !

— Attends, j’ai gardé le meilleur pour la fin. Le cliché que t’a remis par erreur Lamproie confirmait la rémission de Marie. Elle était tirée d’affaire. Je suppose qu’il lui a communiqué la radio d’une autre patiente condamnée pour la pousser au suicide.

— Pourquoi voulait-il se débarrasser de son amante alors qu’elle était guérie ?

— Il avait entamé une nouvelle liaison avec une esthéticienne, mais la confidente de Marie s’était abstenue de lui dire, conclut Cloé.

— Je vais aller déposer les épreuves de Marie au directeur de l’Agence Régionale de la Santé. Une enquête sera ouverte à l’encontre de Lamproie, il paiera pour son crime et les maltraitances que j’ai endurées.

— Les choses ne sont pas aussi simples, Magda. Le soir de Noël, tu étais seule avec lui dans les locaux. Aucun témoin n’était présent et les caméras de surveillance étaient éteintes. Quant au courrier joint, il mentionnait uniquement tes coordonnées avec un diagnostic succinct. Dans ce cas, ce sera ta parole contre la sienne, il prétextera n’importe quoi pour se disculper. À moins que d’autres victimes n’aient déposé plainte avant toi, conclut Cloé.

— Où ce monstre se cache-t-il, bon sang ?

Je ne cessais de m’interroger sur la disparition de Lamproie, bien que je fusse accaparée par mes séances de chimiothérapie et sophrologie. J’avais pris l’habitude de me garer chaque soir devant le cabinet de radiologie pour guetter la bête immonde qui en sortirait. Mes espoirs furent rapidement déçus. Mathilda Lavie effectuait toujours son remplacement et quittait les lieux en dernier. Face au froid hivernal qui me transperçait les os, je renonçai à poursuivre cette traque inutile.

Au début du printemps suivant, Cloé rentra du travail les bras chargés d’un énorme bouquet de tulipes. Elle me l’offrit des étoiles plein les yeux, j’étais enfin en rémission. Je repris mon poste en mi-temps thérapeutique un mois plus tard. Alors que j’empruntais la rocade — pour superviser le chantier du nouveau centre oncologique dont j’avais remporté le concours haut la main — une Porsche noire se gara à une centaine de mètres devant le golf qui avoisinait le futur bâtiment. Je contais l’évènement le soir même à Cloé qui soupira.

— Est-ce le hasard qui l’a mis sur ta route ? Cependant, tu dois rester prudente Magda, ce mec est capable de tout.

— J’aimerais lui foutre une sacrée trouille, écoute mon plan, Cloé.

J’avais noté qu’il fréquentait le club sportif chaque jeudi. Discrètement, je glissai une tige d’orchidée sous l’un des essuie-glaces de son bolide. J’avais acheté également des jumelles pour l’observer de loin. Lamproie arracha la fleur puis l’écrasa sous ses pieds, l’écume aux lèvres. Puis, il virevolta sur lui-même pour scruter les alentours avant de monter en voiture. La semaine suivante, je plaçai une enveloppe au même endroit avec ma photo à l’intérieur. Je m’étais prise en selfie devant la boutique, coiffée d’une perruque au carré identique à celle que portait Marie. Cerise sur le gâteau, j’avais déniché chez un bijoutier un pendentif similaire au sien en forme de cœur biseauté. Il posa alors un regard médusé sur mon portrait, puis sortit un briquet de sa poche. Il attendit que le tirage soit carbonisé avant d’allumer une cigarette qu’il jeta aussitôt. Sans s’attarder davantage, le radiologue démarra en trombe puis disparut en direction du centre-ville dans un panache de fumée.

Une quinzaine de jours s’écoula sans surprise, avant que je n’apprenne une nouvelle sordide sur la chaîne d’informations régionales. Le corps de Lamproie avait été découvert sans vie au domicile de la défunte Marie Pommier, dans des circonstances étranges. En conséquence, la mort de mon tortionnaire rendit ma plainte irrecevable. Les tribunaux croulaient sous les dossiers, accusant des retards importants dans leur traitement. De ce fait, le radiologue qui n’avait pas été jugé, était toujours considéré comme présumé innocent.

Le lendemain, je fus réveillée par un officier de police. Il m’informa qu’une enquête judiciaire avait été ouverte, car il soupçonnait l’homicide de Lamproie. L’inspecteur vérifia mon emploi du temps au moment du supposé crime, j’étais alors en réunion avec mes collègues de travail. Après cette entrevue, je ne fus plus inquiétée par l’affaire. Les médias, à l’affût d’un scoop, s’en donnèrent à cœur joie en brodant l’histoire. Une édition locale présenta Lamproie comme un homme romantique. Il aurait, soi-disant, voulu emporter un dernier souvenir de sa maîtresse adorée, symbolisé par un pendentif, mais son cœur aurait lâché dans leur nid d’amour. Après maintes réflexions, j’en conclus que l’unique ADN découvert sur les lieux était celui de Marie. L’autopsie de la victime n’aurait sans doute pas permis de déceler d’autres indices.

Je fis un rêve troublant dans la nuit. Lamproie s’était introduit chez Marie après son ultime partie de golf, grâce au jeu de clé qu’il avait conservé. Il aperçut son amante dans le couloir qui s’avançait vers lui d’un pas évanescent, son pendentif la nimbait telle une icône tout en aveuglant le radiologue. Il couvrit d’une main ses yeux devenus écarlates, et s’époumona de douleur. D’un geste désespéré, il réussit à arracher la chaîne au cœur biseauté, mais n’effleura aucune chair humaine. Tout à coup, une crise cardiaque le foudroya sur place, il chuta sur le carrelage en tenant dans son poing serré, le bijou offert à sa compagne pour la Saint Valentin. Son regard exorbité exprimait l’horreur qu’il l’avait assailli face au fantôme de Marie.

Mes cauchemars de mante religieuse orchidée se dissipèrent aussitôt. Cloé qui avait suivi la vidéo d’un entomologiste m’apprit une chose hallucinante. Cet insecte adoptait non seulement un mimétisme bluffant, comme ses pattes dessinées en forme de fleur, mais rivalisait d’audace avec la corolle en s’auréolant de lumière. La future proie se détournait alors d’un orchis jugé terne pour butiner son leurre, éblouissant de beauté. La bestiole, capturée à la vitesse de l’éclair par l’hymenopus coronatus, était dévorée vivante sans l’ombre d’une hésitation.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Leonce Caliel ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0