Dix ans plus tard (Epilogue)

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Journal du capitaine Kamara, 6 août 2030

On me demande souvent quelle affaire a été la plus dure à traiter dans ma carrière, et je réponds toujours par une seule lettre : H.

Dix ans ont passés, mais je ne l'ai pas oublié. Dix ans ont passés, mais son nom et son visage me hantent encore. Dix ans ont passés, mais je ne suis toujours pas capable de prononcer son prénom en entier, seule cette première lettre parvient à sortir de ma bouche. D'une ironie dérangeante, une collègue à qui je m'étais confié m'avait alors fait remarquer que ce H pouvait correspondre à celui du mot "Horreur", résumant parfaitement la scène de crime découverte ce jour-là...

La gamine allait mal, ses journaux intimes le montraient. Les médias ont voulu lui coller une étiquette de malade mentale et de folle... Et ils ont eu raison d'employer ces termes, mais ne les ont jamais précisé convenablement : ses tourments non-résolus se sont transformés en mal-être, et la non-prise en charge de ce dernier lui a permis de grandir en elle jusqu'à prendre le contrôle de sa personne et la faire basculer dans la folie...

Des adolescents malheureux, il y en a et il y en aura toujours ; cette période est un foutoir sans nom dans lequel bon nombre se perdent... Qu'ils soient mal dans leur peau, ne sachent comment s'intégrer et trouver leur place au milieu des autres, c'est chose courante... Qu'ils se trouvent en perte de repères et en viennent à tester leur limites en se mettant en danger, ça peut arriver... Et pourtant, tous ne finissent pas par se procurer une arme et s'en servir pour assassiner les membres de leur famille un à un avant de se suicider...

Cette histoire me touche, parce que je me dis qu'elle pourrait être celle de ma propre fille ; j'ai beau me repasser le fil des évènements en boucle, je me demande encore ce qui différenciait H. des autres jeunes... L'explication qui s'impose continuellement à mon esprit sur cette affaire reste la même : H. était parfaitement normale, jusqu'à ce que ses démons ne la dépassent... Si elle avait pû être prise en charge à temps, je suis persuadé qu'elle serait aujourd'hui une belle personne, avec ses grands bonheurs et ses petits malheurs de jeune adulte... Me répéter cela me rend dingue, mais surtout m'effraie pour mon enfant, pour tous mes proches, mais également pour moi-même...

Car il n'est pas nécessaire de naître avec une pathologie mentale pour se sentir en décalage. Il n'est pas nécessaire d'avoir été abandonné pour souffrir de solitude. Il n'est pas nécessaire de subir du harcèlement ou de la maltraitance psychologique pour manquer de confiance en soi. Il n'est pas nécessaire de grandir dans la violence pour finir par l'infliger à soi-même ou aux autres quand les choses nous dépassent....

En clair, il n'est pas nécessaire de s'appeler H. pour un jour voir son nom associé à l'Horreur.

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