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   Les arbres autour de la maison se battent contre les vagues. J’ai hissé tous les rochers près du sommet de l’île et j’ai construit un escalier pour grimper sur le toit. J’ai ouvert la porte.

   Désormais, trois chauves-souris dorment au sein de l’étagère. Quelques serpents se lovent avec les rats sous le lit. Le renard observe la dernière poule qui s’est réfugiée sur une poutre. Dans le nid abandonné d’Aritz, les lapins dorment en tremblant. Ils ont dévoré les bourgeons morts. Et moi, au milieu des cœurs qui battent, j’écris.

   Je pense à la disparition. Aritz est parti avec son arche à moitié manquée, Ondine s’est évaporée et, dans ma tête, j’imagine les pluies de météorites. Qui pleure la disparition des dinosaures ? Quand personne n’est là pour se souvenir, qui pour rendre hommage, qui pour préserver ? Il nous faut à tous une arche de mots. Face aux clapotis, j’écris.

   Je veux que quelqu’un pleure la disparition de l’humanité et de tous les autres.

Déjà, le papier prend l’eau, alors je grave sur les rochers. J’ai arraché quelques planches du parquet, j’ai fabriqué une boîte. J’y glisse une à une les feuilles de mon histoire. Après le dernier mot, la dernière vague, je clouerai tout et je laisserai flotter mes mots au hasard, jusqu’à quelqu’un. Alors j’écris.

   Sur le pas de la porte, on observe l’eau qui clapote, les grains de sable qui roulent dans l’écume, qui déjà percutent les rochers disséminés autour de la maison. Les grenouilles sautent sur les bidons de plastique qui flottent, avant de se précipiter à l’intérieur, lorsqu’ils tanguent trop. Je passe mon temps à les repêcher, entre deux déliés. On regarde les arbres briser les vagues, les feuilles tomber en plein été.

   A mon bureau, une araignée. Je fais semblant de ne pas la voir. C’est le meilleur moyen de ne pas interrompre son chemin. Je ne veux pas être un obstacle. Je ferme les yeux et je l’imagine s’éloigner et tisser sa toile quelque part dans un coin obscur de ma demeure. Elle n’est pas obligée, bien sûr. Elle peut juste visiter. Je ne serai pas celle qui époussettera sa maison et son piège, qui la jettera dehors, plus maintenant. Et, quand j’apercevrai un fil de soie scintiller dans la pénombre, je lui dirai : merci. Je ne sais pas si elle entendra, si elle comprendra, mais tout ça n’a pas d’importance. Elle sera là.

   J’écris. Furieusement, comme un incendie embrase la forêt : je trace jusqu’à allumer des étincelles. Mes souvenirs, les portraits de tous ceux que j’ai rencontrés, la folie des hommes, le pourquoi du comment de la catastrophe, les formes des fleurs, toutes les légendes dont je me souviens, le nez du hérisson, les statues et les peintures, les coupables et les héros. Je noircis le papier de mots entrecroisés, je plie. Je passe mes journées à califourchon sur le toit à lancer avions en papier, grues et oiseaux en origami, tous couverts de mots, pour qu’ils volent loin, volent toujours, jusqu’à trouver les yeux d’un lecteur. Certains s’échappent, percent les nuages et je les regarde disparaître avec espoir. D’autres sombrent dans les vagues et se délitent en écailles mouillées. Tant pis. J’y glisse des fleurs fanées, des éclats de coquilles. Comme eux, mes mots sont des ombres : en les lisant, on peut y imaginer la lumière passée. On entend Aritz jouer. On voit Ondine cracher ses consonnes. On se questionne sur l’ancienne maison du bulot, volée et cachée dans le creux d’une main.

   Et sans doute Aritz est là, perdu dans un désert, à planter en chantant les graines qu’il espère. Si vous venez de voir tomber à vos pieds un avion froissé et couvert de signes, si vous lisez ces mots, habitants des continents, s’il vous plaît ; allez l’aider ! Vous le trouverez sans doute entre deux dunes, armé d’une flûte et d’une guitare, tout seul. Le tigre sera parti. Il vous suffira d’apporter un parapluie contre les bombes, un non, un oui, un coup de pelle, un arrosoir, un cri, une présence. Allez-y.

   Je pose sur l’océan une flotte de bateaux pliés et je regarde les vagues les engloutir. Je grave sur toutes les faces des rochers. Après le déluge viendra le désert et vous lirez l’arche revenue des profondeurs. Sinon, la mer au moins se souviendra. Après le déluge, le désert ; on trouvera, au-dessus de la couche d’ossements, une écorce de papier. Alors on saura. On découvrira qu’il existait, au cœur du Thanatocène, une rébellion et un espoir. Alors, on vivra enfin avec les rats et les oiseaux, les immortels, tous les sans noms, tous les sans mots. On mangera des fruits.

   J’écris pour me révolter en cachette, j’écris pour me révolter en silence. J’écris pour qu’on me découvre, cachée là avec toutes les traces vivantes auxquelles j’ai mêlé les miennes.

   Le déluge, le désert : je sais qu’il restera quelqu'un, peut-être quelqu'un qui sait lire et qui sait écouter. Il trouvera mon île de papier et il saura, il saura que l'humanité a existé, et cette île

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