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Arriver pour la première fois sur un campus universitaire, c’est une forme de renaissance. La découverte de ce nouvel univers est autant excitante que déconcertante. Alors que la navette franchit lentement l’enceinte du campus, les bâtiments aux briques blanches et vermeilles se succèdent. De longues rangées d’arbres étendent leurs feuilles au-dessus des allées de pavés rouges.

Le complexe de UCLA se situe dans le quartier de Westwood, à mi-chemin entre Bel Air et Beverly Hills. Sa taille n’a rien de comparable avec celui de Berkeley, alors qu’il me paraissait déjà immense. Une bonne centaine de personnes s’y promènent. Armés de plans, beaucoup d’étudiants découvrent les lieux pour la première fois. Certains embrassent leurs parents, d’autres versent quelques larmes, d’autres encore vagabondent dans les allées en trimbalant derrière eux leurs bagages.

Après nous avoir déposées, la navette reprend sa route et disparaît à l’angle d’un bâtiment asymétrique. Sous une chaleur oppressante, nous nous dirigeons à grandes foulées vers le bâtiment des admissions.

- Bon, dit Meg, une fois l’admission faite, on file au logement, on pose nos valises et on va se manger un truc. Ça te tente ? Perso, je meurs de faim !

Les gargouillements plaintifs de mon estomac ne pouvant la contredire, j’acquiesce d’un bref hochement de tête.

Le bâtiment des admissions est, à lui tout seul, plus grand que mon ancien lycée. De longues rangées de casiers bordent chaque mur. Meg sautille dans tous les sens en trainant son gros sac.

Derrière le comptoir de l’accueil, une employée d’un certain âge, au chignon bien serré, nous salue brièvement avant de rechercher nos dossiers dans sa banque de données.

- Doooonc… commence-t-elle longuement. Abbigail Porter et Megan Thompson.

Elle se tourne vers son ordinateur et parcourt les touches de son clavier.

- Je vois que vous êtes actuellement en transfert de Berkeley pour débuter un Master, constate-t-elle d’une voix grinçante tout en tapotant un peu plus frénétiquement son clavier avant de plonger la main dans un tiroir.

- Alors… vingt et un an toutes les deux, très bien…

Elle glisse deux petits étuis sur le comptoir.

- Voici vos cartes d’étudiantes et vos documents d’accréditation.

Sa voix haut perchée commence à m’agacer. Heureusement, elle s’arrête quelques instants pour farfouiller dans un autre tiroir. Meg, qui sent mon irritation, m’envoie un discret coup de coude.

- … et voilà vos clés pour votre logement. Alors, selon les données que j’ai devant mes yeux, vous avez opté pour un studio avec salle de bain. Vous logerez donc à la terrasse Weyburn.

La vieille femme plonge ses yeux sur son écran. Le cliquetis incessant des touches mécaniques commence à me faire perdre patience. Meg se met à sautiller nerveusement au son de ma lente expiration.

- Vous êtes au bâtiment 3, deuxième étage, chambre 22A. D’après ce que je constate, tous les frais de votre logement ont déjà été réglés pour le semestre.

Je la remercie et m’apprête enfin à partir, lorsque je suis stoppée net dans mon élan par sa voix aiguë. Meg gémit.

- Vous trouverez aussi dans cette pochette différents renseignements au sujet du campus. Oh ! N’oubliez pas de vous rendre cet après-midi à l’exposition des associations d’étudiants. Chacune aura son stand pour faire découvrir aux nouveaux étudiants les différentes activités ludiques présentes sur notre campus. N’hésitez pas non plus à vous rendre ce soir à la fête de présentation des confréries ! C’est le rendez-vous à ne pas manquer !

- Merci, Madame, dis-je pour marquer notre départ.

Elle se penche en avant et nous adresse un clin d’œil derrières ses petites lunettes rectangulaires, retenues par le bout de son nez.

- Pas besoin de vous le rappeler, mais ce sera le meilleur moyen pour vous de faire de nouvelles connaissances !

Meg la remercie d’un ton faussement enjoué, mais cela fait sourire la vieille femme. Je lui adresse à mon tour un petit signe de tête poli, puis nous sortons enfin du bâtiment.

Après plusieurs centaines de mètres, plan en main tout en trainant nos bagages, nous arrivons dans notre zone résidentielle.

- 3… Bâtiment 3… C’est… Oh regarde !

Meg le pointe du doigt tout en accélérant la cadence. Apparemment, elle doit être vraiment affamée. Pas étonnant, l’après-midi est déjà bien entamé et ce n’est pas le maigre sachet de cacahuètes englouties dans l’avion qui nous a rassasiées.

Une fois arrivée devant notre porte, Meg se remet à trépigner sur place.

- Hey salut ! nous lance une voix masculine.

Un charmant étudiant aux reflets blonds passe dans notre dos. Il s’arrête et scrute rapidement l’écriteau de notre porte.

- Megan et Abbigail. Eh ben… bienvenue les filles ! Je sens qu’on va s’éclater cette année… marmonne-t-il joyeusement tout en reculant un peu pour mieux nous observer.

Les joues empourprées de Meg en disent long tandis qu’il lui adresse un clin d’œil, en reprenant sa route le long du couloir. J’éclate de rire.

- Apparemment t’as déjà un ticket.

- Oh ça va hein !

Elle lève les yeux au ciel, tourne la clé dans la serrure et se précipite dans le studio. La pièce principale est assez grande et lumineuse. Séparée en deux par une longue bibliothèque traversante, chaque partie de la chambre dispose de son propre lit individuel et d’une petite table de nuit. Deux bureaux personnels adossés aux murs opposés se tournent le dos. Au centre de l’espace commun trône une table ronde entourée de quatre chaises. Près de l’entrée, une kitchenette et quelques placards longent le mur de droite.

De mon côté, une porte donne sur une petite salle de bain fonctionnelle, mais suffisante. Non loin du lavabo se trouve une baignoire, certes étroite, mais toujours préférable aux douches communes du bâtiment. Du côté de Meg, une autre porte donne sur un grand dressing séparé par une cloison. Chaque espace possède sa propre penderie, plusieurs tiroirs et un grand miroir.

- Oh, bordel ! Abby… C’est vraiment cool !

Elle ne peut s’empêcher de sauter sur place, puis bondit à genoux sur son lit.

- Eh, regarde dehors ! On voit tout le quartier résidentiel et même une partie du campus !

Agenouillée sur mon lit, je distingue à travers les carreaux de la fenêtre quelques étudiants en train de déambuler à l’ombre des arbres environnants. Au coin de la maison d’en face, il y a même un endroit aménagé pour les barbecues entre amis. Plusieurs tables accompagnées de bancs sont disposées tout autour du grill.

- Bon allez, on y va ? On rangera nos affaires plus tard. Je crève vraiment la dalle là !

Mon ventre grogne une fois de plus en signe d’approbation. Meg est déjà postée dans le couloir, me faisant signe de la suivre. Je passe rapidement me rafraichir à la salle de bains et j’en profite pour prendre au passage toute la documentation qu’on nous a donnée, avant de fermer la porte du studio.

Nous faisons une balade sur le campus, un sandwich à la main. De loin, je suis sûre qu’on doit ressembler à deux petites touristes fraichement arrivées et perdues. Heureusement, on ne semble pas être les seules à découvrir les lieux. La terrasse Weyburn est vraiment bien organisée. Elle se situe un peu en contrebas du campus et abrite plusieurs bâtiments locatifs, des locaux appartenant à la faculté des sciences et quelques snacks.

Après nous être un peu repérées, Meg me propose d’aller parcourir les stands des associations. Nous traversons tout le campus pour rejoindre les jardins qui séparent Royce Hall de la bibliothèque Powell. Nous restons bouche-bée en contemplant ces deux majestueuses bâtisses toutes de briques rouges.

- Tu savais que les pierres qui ont servi à construire la bibliothèque ont été importées d’Italie ? dis-je avec une émotion que je peine à dissimuler. Je le sais car mon père avait rédigé un article sur l’architecture du campus.

- D’Italie ? Non mais t’es sérieuse ? Waouh ! Mais c’est carrément incroyable !

J’adore la voir dans cet état euphorique. Elle n’est jamais dans la retenue. Quand ce ne sont pas ses paroles, ce sont ses gestes qui parlent pour elle.

En continuant un peu plus notre découverte des lieux, je constate à quel point Meg déborde d’énergie positive. Pétillante, elle salue tout le monde en souriant. Sa frange flamboyante rebondit sur son front au rythme de ses sautillements. Ses mouvements ne sont pas sans rappeler le déplacement agile des gazelles au milieu des parcs naturels du Kenya.

Les stands des associations d’étudiants s’étendent le long de l’allée d’arbres et continuent leur course dans les jardins. On y retrouve les amateurs de pâtisseries en tout genre, les passionnés du club d’échec, ou encore la fanfare du campus.

Meg s’arrête quelques instants devant l’un des stands.

- Le club de lecture… Ça peut être pas mal pour toi ça, tu ne crois pas Abb…

Elle est rapidement coupée dans son élan par une voix qui, je le sens, risque fort de devenir familière au cours de ces prochaines semaines.

- Eh ben, comme on se retrouve ! Megan et Abbigail, c’est ça ?

Nous voilà nez à nez avec le beau blond du couloir. Les joues de Meg reprennent feu.

- Abby, ce sera plus simple ! dis-je en lui tendant la main.

- Ok Abby… Au fait, moi c’est Ethan. Et toi, Megan, tu préfères qu’on t’appelle Meg peut-être ?

Elle baisse les yeux. Troublé par l’absence de réponse, il enchaîne timidement.

- Alors, le club de lecture te botte Megan ?

Meg grince des dents, surprise par le coup de coude que je lui envoie dans les côtes.

- Heu… Oui, heu… Non en fait. C’est pour Abby. Mais oui, c’est Meg, ajoute-t-elle d’une voix mal assurée. Tu aimes le campus ? Je trouve que c’est un endroit très sympa !

Ce dernier mot sonne presque faux. Non pas qu’elle n’apprécie pas l’endroit – son enthousiasme de ces dernières heures le démontre – mais je sens une forme de malaise grandissant chez mon amie. Comme d’habitude, elle se met à gesticuler et à bafouiller tout en parlant et ses joues prennent la teinte de ses mèches, ce qui décroche un rire étouffé de la part de notre interlocuteur.

- Oui, j’avoue. Je me suis déjà installé depuis quelques jours. À vrai dire, je vis sur le campus depuis pas mal de temps déjà, donc je connais bien les lieux. Je pourrais te le faire découvrir, si tu le veux…

Ne constatant aucune réponse de mon amie qui, écarlate, évite timidement de croiser le regard d’Ethan, je m’empresse de répondre à sa place.

- Ah ben, ce serait cool Meg, non ? D’ailleurs, ce soir, on se rend à la soirée des confréries, tu te rappelles ?

Je lance un regard complice en direction d’Ethan qui comprend tout de suite ma volonté.

- On pourra s’y croiser ce soir ! Depuis le temps que je dois le faire, je pense enfin m’inscrire dans une fraternité.

Contre toute attente, Meg se ressaisit et bafouille quelques mots.

- Ok, heu… Oui, super ! Alors, à ce soir, Ethan !

Meg saisit mon bras et m’emporte dans son élan. Je tourne la tête et voit ce pauvre garçon reprendre sa route en secouant la tête tout en se passant la main dans les cheveux, manifestement déconcerté par la situation.

Finalement, nous quittons les lieux avec quelques prospectus en main. Meg a décidé de s’inscrire au club des arts et moi je ne repars avec rien d’autre que les informations sur le club de littérature.

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