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Dehors, il fait un temps magnifique. Des petits moineaux virevoltent dans le ciel et des enfants jouent dans la rue. Le jardin est en fleurs et les étendues de roses blanches parcourent le bord du chemin. Tout habillé de noir, Connor me tend les pommes de terre qu’il a pris soin de trancher finement, ce qui me permet de dresser le gratin dans le plat avant de l’enfourner.

Il sort du frigo les petits apéritifs, préparés un peu plus tôt, et il les dépose sur le plan de travail. Au passage, il en profite pour me voler furtivement un baiser, caressant délicatement les petites perles brodées sur mon bustier.

- Et voilà la bouteille !

Vêtue d’une sublime tenue qui moule parfaitement sa silhouette, ma mère entre joyeusement dans la cuisine, une bouteille de bordeaux à la main.

Elle remercie mon père qui se prépare à la déboucher et elle sort quatre verres en cristal du placard. Mon père, aussi grand et bien bâti que mon mari, tend son verre devant lui. Ses expressions ne cachent ni la fierté ni la joie qu’il ressent.

- À votre santé les jeunes mariés ! Que cette vie vous offre tout l’amour et le bonheur que vous méritez.

Les verres tintent et les rires se mêlent au goût enivrant du nectar parfumé de cassis. Connor m’enlace et dépose tendrement ses lèvres sur les miennes, sous le regard ému de mes parents.

Tout à coup, la joie laisse place à la stupeur. Le verre de mon père se brise sur le sol. Des milliers de petits fragments de verre mêlés aux gouttes de vin sont projetés à travers la pièce en rebondissant sur le carrelage en damier. À cet instant, le temps semble s’être arrêté. Toutes les têtes se tournent vers mon père, mais il est déjà trop tard. Ses yeux s’écarquillent. Son teint devient livide. Sa main droite se plaque sur sa poitrine. Le souffle court, il chancelle, puis chute. En tentant vainement de se rattraper, il envoie valser de sa main tout ce qui se trouve sur le bar. Sans même avoir le temps de l’attraper au vol, la bouteille se renverse tandis que mon père tombe à terre, inanimé. Le liquide sombre se répand à une vitesse affolante à travers chacune des fibres de ma robe de mariée. La ceinture en dentelle, si fine, si pure, est complètement souillée.

Connor s’élance vers le corps inanimé. Ma mère, en état de choc, me tend la première chose qui lui vient sous la main. J’éponge le plus rapidement possible l’étendue rouge quand mon attention se porte sur le hall d’entrée. Dans l’embrasure de la porte se tient un jeune homme. Il est à peine plus âgé que moi et me dévisage. Une larme roule sur sa joue. Quelques mèches de ses cheveux foncés virevoltent comme s’il faisait face à un léger courant d’air. Ses lèvres murmurent quelque chose d’à peine perceptible.

- Reviens…

Plus rien ne semble avoir d’importance. L’effervescence de ces derniers instants s’efface. La pièce se met subitement à tourner et je me sens glisser à travers le sol, devenu subitement fluide. Ma chute est lente. Longue. Quand elle se termine enfin, je me trouve allongée dans une pièce plongée dans le noir. Je me redresse sur mes bras et attends patiemment que mes yeux s’accoutument à l’obscurité. Après quelques interminables secondes, je commence enfin à discerner ce qui m’entoure. Je me trouve dans un tunnel dont les murs de métal sont altérés par le temps et par l’humidité.

Je me tiens maintenant sur mes deux pieds. Ma robe a laissé place à des habits plus conventionnels. Un peu plus loin, je distingue un mince filet lumineux qui s’échappe de l’embrasure d’une porte ronde. Quand je la franchis, un paysage familier s’étend devant moi et chaque détail me revient instantanément en mémoire. Au loin, Matt m’attend patiemment sur notre banc.

- Qu’est-ce qu’il se passe ? lui demandé-je après l’avoir rejoint.

Matt, impassible, garde le regard fixé sur le lointain.

- Je ne sais pas trop. Tout est en train de changer.

Il me montre l’horizon du doigt.

- Regarde…

Les couleurs chatoyantes du coucher du soleil ont laissé place à un mélange de noir et de bleu. Un peu plus haut, le rayonnement de la lune contraste avec ce spectacle lugubre. En son centre, un symbole argenté scintille.

- Le même symbole que celui de mon carnet, m’étonné-je en expirant le peu de souffle qu’il me reste.

Il sourit.

- Qu’est-ce que… Depuis quand c’est apparu ?

- C’est difficile à dire, soupire-t-il. Je pourrais t’affirmer que c’est comme ça depuis la dernière fois que nous nous sommes séparés, mais le temps n’a pas la même définition pour toi que pour moi.

Le regard toujours fixé sur l’horizon, il semble perdu dans ses pensées. Sans poser plus de questions, je me glisse au creux de son épaule et il dépose de doux baisers sur mes cheveux. Son souffle chaud se répand sur la surface de mon crâne.

- C’est toi qui provoques tout ça, affirme Matt.

- NON !

Je me redresse dans mon lit tout en hurlant de toutes mes forces. Je ne peux pas sortir comme ça du rêve, je ne peux pas ! Qu’est-ce que Matt voulait dire par là ? Je reprends péniblement mon souffle. Plusieurs mèches de cheveux sont plaquées sur mon front humide. Le rêve commence déjà à s’estomper, si bien que je me demande ce qui a bien pu me mettre dans cet état. Il ne m’en reste que quelques bribes. Seules les émotions subsistent et m’oppressent.

Je pivote en direction du réveil. 03h00. Encore la même heure… Meg, quant à elle, dort cette fois à poings fermés. Mes cris ne l’ont pas réveillée. Ou peut-être bien qu’elle fait mine de ne rien avoir entendu, car après tout elle est complètement dépassée par la situation. Qui ne le serait pas ?

Je n’ose la déranger. Elle a le droit de dormir. Elle en fait déjà bien assez pour moi. Peut-être même qu’elle est en train de rêver d’Ethan ?

Connor… Mon dieu… Je me trouve là à me lamenter de la perte d’un homme qui n’existe pas alors que j’ai la chance d’en avoir rencontré un tout autant formidable, qui est non seulement réel, mais qui est également sensible et patient avec moi.

Mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ?

Je commence malheureusement à croire que ma mère a raison. Il va me falloir de l’aide pour comprendre ce qui est en train de m’arriver.

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