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Je me réveille en nage. Toujours la même heure. À mes côtés, tous les muscles saillants de Connor se contractent régulièrement à l’unisson. Il respire profondément. Quelques mèches de ses cheveux recouvrent son front. J’y dépose un baiser avant de m’enfermer une fois de plus dans la salle de bain.

Seule, j’observe plusieurs gouttes s’écraser au fond de la baignoire. Leur son familier n’est pas sans me rappeler celui de l’évier de la cuisine, la veille de mon départ à UCLA. C’est cet instant précis que l’univers choisit pour me confronter à toutes mes émotions, mes regrets et mes remords.

Ma mère qui me manque et que j’ai laissée seule. Mon père qui nous a quittées beaucoup trop tôt. Le stress que le déménagement a malgré tout engendré. Meg, que j’ai le sentiment d’avoir autant utilisée qu’abandonnée. Le caractère de Stacy que j’ai dû apprendre à apprivoiser.

L’amour que je ressens pour deux hommes. L’un que j’ai le sentiment de trahir. L’autre que mon esprit a inventé pour combler un manque affectif. Matt me parait pourtant tellement réel. Mes mains ont caressé sa peau, mes lèvres ont goûté aux siennes. Je peux encore sentir la chaleur de son corps contre le mien.

Je m’effondre au sol et mes larmes jaillissent sur le carrelage glacial.

- Abby ? Abby que se passe-t-il ? Ouvre-moi…

La porte tremble sous les coups répétés de Connor. J’essuie du revers de la main mon visage humide et tourne la clé dans la serrure. Il entre brusquement, manquant de me bousculer.

- Qu’est-ce que… Abby tu vas bien ?

Constatant que je ne me suis pas blessée, il s’apaise.

- Tu m’as fait peur, soupire-t-il. Que se passe-t-il ?

Toujours étouffée par mes sanglots, il m’est impossible d’articuler le moindre mot. Il finit par me soulever délicatement pour me déposer doucement sur le lit, puis il retourne dans la salle de bain avant d’en ressortir les mains pleines.

- Tiens…

Il me tend un mouchoir ainsi qu’un verre d’eau. Décidément, je ne remercierai jamais assez l’univers d’avoir mis Connor sur ma route. Il est tellement gentil, tellement attentionné.

Les larmes se remettent à couler à flots. Trop de culpabilité en moi. Le simple fait de penser à Matt en ce même instant me fait me sentir monstrueuse. Dans ma tête se bousculent le sentiment tenace de trahir Connor et la peur de lui révéler un peu plus d’éléments au sujet de mes rêves étranges. Il pourrait mal réagir et je ne suis pas prête à prendre le risque de le perdre.

Néanmoins, il a le droit de connaître la vérité. Je chasse alors mes pensées égoïstes et décide de prendre mon courage à deux mains. Je me redresse dans le lit et m’adosse au mur, les jambes autant repliées que possible tout contre moi.

- Connor, il faut que je te parle.

Le ton sérieux que j’emploie doit le perturber car son visage blêmit. Il se redresse, puis il va machinalement chercher une chaise et la place près du lit, juste à côté de moi. Je peux percevoir une profonde détresse dans ses yeux brillants de larmes. Ils oscillent de droite à gauche et cherchent des réponses au plus profond de mon regard.

- Connor, je …

- Est-ce que tu veux rompre ? me coupe-t-il.

Sa voix se brise, ce qui contribue à me faire culpabiliser un peu plus. Il est important que je le rassure, mais je me dois d’être sincère avec lui.

- Non ! Je… Non, jamais ! Comment tu as pu penser que…

- Alors tu…

Une larme roule sur sa joue. Sa sensibilité me surprendra toujours, autant qu’elle me rassure. Je prends une profonde inspiration.

- Non, je ne veux pas te quitter et il n’est pas question que je te trompe.

Ses yeux sont maintenant pleins d’interrogations, mais également d’espoir. Malgré mes doutes et le sentiment de culpabilité qui me dévore, je suis obligée d’admettre que nous sommes pareils. Derrière cet homme si sûr de lui se cache un être vulnérable qui m’a accordé toute sa confiance et son amour. Rien que pour cela, il mérite que je lui livre un peu plus de moi.

- Je t’aime.

Les mots sortent spontanément de ma bouche. Je regrette presque aussitôt cette impulsivité prématurée, car je ne souhaite surtout pas le blesser. Cela me laisse un goût amer, à mi-chemin entre le besoin de lui dire la vérité qui me hante et ma volonté de le protéger de tout ce qui pourrait lui faire du mal.

- Je… Je t’aime aussi Abby.

Je savais qu’il m’appréciait énormément, mais c’est la première fois qu’on se dévoile réellement nos sentiments mutuels. Il se hisse de sa chaise et me rejoint sur le lit. Les larmes se remettent à inonder mon visage et je me laisse aller dans ses bras.

- Tu as envie de m’en parler ? me murmure-t-il après un instant.

- C’est tellement compliqué…

Je suis épuisée par le flot d’émotions qui me submerge, mais cela ne semble pas effrayer Connor. Pour la première fois depuis un long moment, il me sourit.

- Plus compliqué que d’avoir peur de te perdre ? Tu peux tout me dire, tu sais…

Connor a totalement raison. Je n’ai aucune raison objective de douter de sa sincérité. Depuis que nous nous sommes rencontrés, il m’a toujours écoutée et soutenue. Il s’est rendu disponible pour m’accompagner à chacun des rendez-vous chez le Dr. Hall, sans jamais me poser de questions ou insister quand il aurait eu besoin de le faire. Une fois de plus, je dois garder confiance. Il pourra comprendre. Enfin je l’espère… J’inspire profondément avant de prendre la parole.

- Tu sais que je fais des rêves étranges.

- Oui… Je sais surtout que dans cette petite tête – il désigne mon crâne du bout de l’index – se cache un imaginaire sans limites.

Je le dévisage, un peu déstabilisée.

- Pardon, je voulais juste t’aider à dédramatiser. Continue…

Je ne le remercierai jamais assez d’être aussi compréhensif et patient avec moi.

- Ça fait maintenant quelques mois que le même type de rêve se produit, encore et encore.

- Toujours le même ?

- Pas exactement. Je me trouve toujours au même endroit, et j’y rencontre systématiquement la même personne, dis-je après avoir hésité un instant.

Si je m’engage sur ce terrain, je vais être dans l’obligation de tout lui dévoiler.

- Un garçon, non ? Tu m’en avais parlé, demande-t-il avec curiosité.

Je ne peux plus garder cela pour moi. Plus le temps avance et plus j’ai le sentiment de le trahir.

- Oui. Il s’appelle Matt…

Contrairement à ce que j’imaginais, Connor semble plutôt amusé par ma révélation.

- Tu es gênée ? Il n’est pas anormal de fantasmer de temps en temps, tu sais. C’est même plutôt sain. Ça arrive à tout le monde, ajoute-t-il en me faisant un petit clin d’œil coquin.

Sa réflexion me fait autant sourire qu’elle me gêne.

- Ce n’est pas ça, dis-je sérieusement.

- Il n’est même pas un peu séduisant ? me taquine-t-il.

- Arrête, ce n’est pas drôle !

- Je suis sûr qu’il ne te fait pas ressentir la même chose que moi lorsqu’il te caresse.

- Ça suffit !

Il tente de se reprendre, mais je vois bien que la situation le fait rire.

- Ok promis, j’arrête. Raconte-moi tout…

J’espère seulement qu’il est vraiment prêt à entendre ce que j’ai à dire. Après un moment d’hésitation, je sors mon carnet de mon tiroir et lui relate mes aventures nocturnes page après page.

La sévérité de son visage me conforte dans l’idée qu’il prend ma peur au sérieux. Une fois mon récit terminé, je pose mon carnet, soupire et cherche du soutien dans son regard.

- Dis quelque chose…

Connor reste silencieux. Mes doigts commencent à trembloter. J’en viens presque à regretter de tout lui avoir avoué.

- C’est une magnifique histoire… Tu as bien fait de l’écrire, dit-il enfin.

Je ne m’attendais pas à cette réaction. Le calme qu’il emploie à me dire ces quelques mots doit beaucoup lui coûter. Après tout, je viens de lui avouer que je ressens des sentiments pour un personnage imaginaire.

- Tu ne m’en veux pas ?

- Ma belle, je te l’ai dit. Tu as une extraordinaire capacité d’imagination. Comment puis-je t’en vouloir de faire des songes aussi fantastiques ?

Sa voix devient un murmure.

- J’aurais juste souhaité que tu me fasses suffisamment confiance pour m’en parler plus tôt…

J’avale une gorgée d’eau, puis une deuxième.

- J’avais peur que tu le prennes mal. À cause de Matt…

- Je comprends. Peu d’hommes peuvent se vanter d’avoir un rival onirique, blague-t-il.

Mais je sens que la nouvelle l’a un peu blessé. Il semble réfléchir une seconde.

- En as-tu parlé au Dr. Hall ?

Mes craintes se réveillent. Il pourrait prendre peur comme Meg l’a fait la nuit où je lui ai tout dévoilé. Je suis tellement bouleversée que je ressens le besoin de me lever et je commence à faire les cent pas dans le studio. Connor se lève et m’enserre de ses bras.

- Calme-toi… Je ne vais pas partir, je te le promets. Je suis là…

Sa voix a un effet apaisant et mes muscles se détendent instantanément. À peine a-t-il prononcé ces mots qu’il se met à bailler. Il semble épuisé.

- Et si on tentait de se rendormir ? proposé-je. On aura tout le temps d’en discuter plus tard. Tu es d’accord ?

Il hausse les épaules et me dévisage de ses petits yeux cernés. La marque de sa larme a laissé un long sillon sur sa joue. J’y dépose un baiser et l’attire vers le lit.

Blottis l’un contre l’autre, nous finissons par nous endormir alors que les premiers rayons du soleil caressent déjà la fenêtre.

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