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Les bras de Matt sont le seul abri qui me permet de m’apaiser. Plus rien n’a d’importance. Ni le temps, ni l’espace. Je suis maintenant bien loin de la réalité et je profite de chaque seconde qui s’écoule dans notre refuge.

Le monde s’offre à nous. Un univers riche et dense que nous construisons ensemble à chacune de nos retrouvailles. Je ne voudrais être nulle part ailleurs qu’ici. Matt représente tout ce dont j’ai toujours rêvé.

J’ignore comment ce souvenir refait surface, mais je sais que j’ai trouvé dans le monde réel cet homme idéal sous les traits de Connor. Il représente tout ce que je désire et tout ce dont j’ai besoin. Je lui en suis reconnaissante et je ne peux que l’aimer pour tout ce qu’il m’apporte.

Mais lorsque je retrouve Matt, je me sens plus que jamais à ma place et je me laisse bercer par des instants magiques comme celui-ci, en compagnie de celui que je considère désormais comme mon âme sœur.

Alors je chasse de mes pensées ce sentiment coupable qui me ronge et je choisis de me laisser le droit d’être réconfortée par les deux êtres que j’aime, si semblables et pourtant si différents. Complémentaires.

L’un le jour, l’autre la nuit.

Nous sommes silencieux, allongés dans l’herbe fraiche. Le seul fait d’être ensemble nous transcende. Une forme d’alchimie nous pousse l’un vers l’autre et lorsque nous nous touchons, nous ne formons plus qu’un. Accomplis et prédestinés l’un à l’autre.

- Reste avec moi, chuchote Matt.

Le scintillement des étoiles complète poétiquement le croissant à peine voilé de la lune. Là, près de notre banc, nous contemplons l’espace infini qui s’étend au-dessus de nos corps. Ce soir, tout est calme. Pas un nuage, pas même le bruissement des feuilles agitées par le vent. Juste le murmure de l’écume qui rencontre le sable et la roche.

Il y a tant de questions que j’aimerais lui poser, tant de mystères à élucider, mais ce n’est pas l’heure. Je mets de côté toutes ces interrogations pour ne profiter que de l’instant présent.

- Reste avec moi… me souffle-t-il encore une fois.

Je voudrais pouvoir lui dire que jamais je ne le quitterai, que jamais rien ne nous séparera, mais je reste consciente que tout a une fin et que le monde réel m’attend au réveil.

J’aimerais avoir eu la chance de le rencontrer dans le monde réel, lui et personne d’autre. Mais le visage de Connor s’impose à mon esprit et une vague de culpabilité me traverse. Alors je chasse cette pensée égoïste qui s’impose à moi.

Pourtant je ne peux nier que plus les jours passent et plus je m’attache à un univers qui n’est pas le mien, comme si cette échappatoire du subconscient voulait se substituer à ma réalité.

Je regrette presque l’époque où je ne me posais pas autant de questions. L’époque où ces instants de songes étaient à chaque fois différents. Ces rêves dont on n’a pas conscience de ce qu’ils sont et qui nous laissent comme une forme d’amertume, une boule qui s’agrippe à l’estomac dès le réveil. Je les regrette car ils étaient naïfs. Je les regrette car ils étaient éphémères.

Maintenant, tout est différent. J’ai pleinement conscience de toutes les émotions qui me traversent. Avant, pendant et après le sommeil. Et ça ne me rend que plus mal à l’aise lorsque je retrouve chaque jour au réveil celui dont je suis tombée amoureuse, qui accompagne et égaie mon triste quotidien et qui serait prêt à tout pour que je sois enfin heureuse.

Alors, une fois de plus, je décide de balayer ces pensées de ma tête et de vivre l’instant présent. Je me laisse aller au creux des bras réconfortants de Matt, avant d’être arrachée une fois de plus de son étreinte contre ma volonté.

Aux premières notes du chant mélancolique si familier, je comprends qu’il est temps.

Me débattant de toutes mes forces en agitant les bras dans un vide glacial, je suis comme aspirée par une force invisible qui me ramène en une fraction de seconde dans un univers auquel je me sens de plus en plus étrangère.

Peut-être bien que je sombre dans la folie…

Connor dort paisiblement à mes côtés. Il ne me suffit que de quelques secondes pour réaliser à quel point cet homme est extraordinaire et toujours plein d’attentions à mon égard. Je connais peu d’hommes qui auraient été aussi compréhensifs que lui en de pareilles circonstances.

J’évite de le réveiller et me glisse discrètement dans la salle de bain, armée de mon carnet.

Après ma lamentable entrevue avec Meg, Connor a passé plusieurs heures à me réconforter en écoutant patiemment mon discours décousu, entrecoupé de sanglots. Malgré mon refus énergique, il a choisi de rester au studio, préférant veiller sur moi pendant la nuit.

Je ne comprends vraiment pas en quoi je peux bien l’attirer, ni comment il fait pour me supporter au quotidien. Car jusqu’à présent, je suis loin de me montrer sous mon meilleur jour.

Mon vœu n’a pas changé. J’aimerais qu’il puisse découvrir la femme que je suis réellement, ou plutôt que j’étais. Dynamique, pleine de vie, heureuse, tout simplement.

Au lieu de ça, il s’attache à une personne triste et sombre qui ne fait que de pleurer lamentablement et qui tente jour après jour de garder la tête hors de l’eau. Je ne me reconnais pas et je ne supporte plus celle que je suis devenue depuis que la vie m’a enlevé celui qui m’a tout appris.

Ce jour-là, la mort est passée, emportant avec elle les miettes de mon cœur brisé. Et maintenant qu’il commence enfin à se reconstruire, je compare ce petit organe à un jeune enfant qui a tout à apprendre de la vie. Chaque nouveauté est une épreuve que je dois franchir pour en tirer une leçon. Peut-être bien que la leçon la plus importante est sous mes yeux. Je dois réapprendre à me laisser avoir le droit d’être aimée sans craindre de perdre ceux auxquels je tiens.

Connor mérite que je lui donne le meilleur de moi-même, quitte à vraiment entreprendre une nouvelle démarche pour me reconstruire et m’ancrer à nouveau dans la réalité.

Le miroir de la salle de bains reflète tout le pathétique de la situation. Je pleure un être imaginaire qui met en danger mon équilibre mental et mon couple. Je ne supporte plus d’être envahie par le sentiment de trahir Connor un peu plus chaque nuit.

Peut-être effectivement que je suis atteinte d’un trouble mental. Mais le Dr. Hall a échoué. Partiellement tout du moins. Il est passé à côté de l’essentiel. Matt n’est pas plus une représentation mentale de mon père qu’une création de mon esprit. Matt est un test. Il représente l’amour idéal que je me refuse à vivre librement avec Connor.

Je dois réussir cette épreuve et apprendre à lâcher prise. Mais je ne pourrai pas le faire seule. Si la thérapie a jusqu’à présent échoué, je sais qui pourra m’aider. Il doit m’aider. Il le faut.

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