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À l’ombre de son porche, l’Ancienne est paisiblement assise dans une chaise à bascule. D’un air attendri, elle observe une dizaine d’enfants qui jouent en courant autour de l’enclos. Les rubans multicolores attachés au bout de leurs baguettes volettent dans les airs, au grand émerveillement des plus petits.

Lorsqu’elle nous voit arriver, elle ne peut s’empêcher d’afficher une mine plus que réjouie.

- En voilà une belle surprise. Je ne m’attendais pas à ta visite, Matthew.

- C’est toujours un plaisir de vous voir, Ancienne, dit-il en déposant un baiser sur son front.

- Et toi, ma douce Abby… C’est seulement maintenant que tu reviens me voir…

Je n’ai pourtant pas l’impression qu’il s’est écoulé énormément de temps depuis ma dernière visite. Mais peut-être que, tout comme bon nombre de personnes âgées, l’Ancienne perd la notion du temps lorsque ceux qu’elle apprécie ne sont pas à ses côtés.

- Je… Je suis désolée Ancienne, dis-je en lui tendant la petite boîte.

- Oooh ! À ce que je constate, tu as croisé Oliver aujourd’hui. Il n’a pas oublié ce que je lui avais demandé. C’est vraiment un homme d’une grande bonté ! Tu ne trouves pas, Abbigail ?

J’esquisse un sourire en repensant à l’aide qu’il m’a apportée.

- Oui. Il est vraiment gentil et attachant.

L’Ancienne me dévisage curieusement.

- Je sens que quelque chose te perturbe, Abbigail. Veux-tu m’en parler ?

Elle a raison, comme toujours. Quelques larmes me montent aux yeux.

- Ancienne, je vous demande pardon d’être partie aussi brusquement la dernière fois que nous nous sommes rencontrées.

- Tu n’y peux rien, ma douce. Tu es partie parce que je te l’ai recommandé. L’heure était venue… Mais un jour, il faudra que nous allions au bout de ce que nous avons commencé toutes les deux. Après tout, je n’ai toujours pas fini de t’enseigner mes secrets de cuisine. Nous avons une soupe à terminer et le temps n’est pas indéfiniment extensible. J’espère seulement que tu t’en souviendras avant qu’il ne soit trop tard.

- Je vous le promets, Ava…

Je souhaite de tout mon cœur que ses paroles ne sous-entendent pas que nous pourrions ne plus jamais nous revoir. Il ne s’agit que d’un rêve. En admettant que je me concentre suffisamment, je devrais pouvoir l’influencer et faire en sorte que l’Ancienne y apparaisse à chaque fois que je le souhaiterai.

Je lui jure une fois de plus de tenir parole et de revenir très prochainement à la chaumière lorsqu’un frisson me parcourt l’échine. Je nous revois, toutes deux sous le porche, en proie à la terreur lorsque le portail est apparu au milieu du village.

- Ancienne, je suis navrée de vous ennuyer une fois de plus, mais il faut que je comprenne quelque chose… Que sont exactement les Auras ? Vous m’avez expliqué lors de notre dernière rencontre, que ce sont des passeurs. Mais j’ignore toujours leur raison d’être. Pourquoi apparaissent-ils de la sorte ?

Elle se retourne vers Matt et lui lance un regard interrogatif.

- Je ne lui ai toujours rien dit, Ava.

- Je sais… Tu ne pouvais pas. Pas plus que moi… Entrons maintenant. Nous allons discuter autour d’un bon thé.

L’intérieur de la chaumière est toujours aussi accueillant.

- Abbigail, il est important que tu comprennes que malgré notre envie, nous ne pouvons pas te révéler tout ce que tu désires. Nous ne pouvons que partiellement nous livrer à toi.

- Mais…

- Je sais ce que tu vas dire, m’interrompt-elle. Tu ne comprends pas la raison pour laquelle tu ne peux pas pleinement avoir connaissance de ce que tu ignores alors qu’il s’agit de ton propre rêve.

- C’est exactement ce qui m’interpelle.

- Alors je te demande seulement de me faire confiance. Très bientôt, tu obtiendras les réponses que tu désires tant.

Même si la curiosité me pique, je me dois d’être patiente, ne serait-ce que pour respecter sa demande.

- Je vous fais confiance.

- À la bonne heure ! Maintenant, reprenons là où nous en étions. Je ne crois pas me tromper en disant que tu as déjà croisé la route de plusieurs Auras depuis que tu visites la Borne.

- Exact.

- Comme tu as pu le constater, ils ne semblent pas vraiment des plus aimables à notre égard.

Je me rappelle avec émotion l’homme à la fourche qui espérait protéger une petite fille terrorisée. Ils ont tous deux vite été emportés par les Auras à travers le portail.

- En effet…

- Comme je te l’ai dit la dernière fois, les Auras sont des passeurs. Ils sont les gardiens de la Borne. Eux seuls décident du destin de chacun. Ils choisissent qui doit rester et qui doit partir.

- Partir d’où ? D’ici ?

Je ne comprends pas ce qu’elle veut dire. Il ne s’agit que d’un rêve. Un rêve sur lequel je devrais avoir le pouvoir d’influer.

- Quitter la Borne, oui.

Voilà probablement la raison pour laquelle elle les a appelés des « passeurs ». Les Auras permettent aux gens de passer de la Borne vers un autre endroit. Mais où ? En dehors du rêve ? Je ne peux pas me contenter de cette réponse.

- Ancienne, si l’objectif des Auras est de m’atteindre pour que je me réveille, pourquoi est-il aussi important que j’apprenne à maitriser ma dominante ? Cela n’a aucun sens. Je devrais simplement me laisser faire plutôt que m’évertuer à essayer de leur échapper.

Matt et l’Ancienne se regardent longuement sans prononcer le moindre mot. Je comprends à travers ce silence qu’ils me cachent à nouveau quelque chose, ou que je n’ai pas encore assez d’éléments en ma possession pour décrypter leurs messages cachés.

- Ils t’attirent à eux et te font traverser un portail vers l’Ombre… C’est tout de même suffisamment angoissant pour préférer sortir de la Borne d’une manière plus douce, tu ne crois pas ? me demande l’Ancienne.

Je les observe tour à tour. Le regard de Matt est fuyant. Je me demande ce qu’il peut bien vouloir éviter. Ses yeux ne peuvent me mentir. Il craint peut-être que je découvre ce qu’il se refuse à me révéler.

- Je comprends votre argument, Ancienne, mais je reste persuadée qu’il y a autre chose que vous refusez de me dire.

- Abby, n’insiste pas trop… supplie Matt.

- Mais enfin, tu peux comprendre que j’ai besoin de réponses ! La simple idée que je puisse effleurer la vérité torture mon esprit !

Prise de légers tremblements, l’Ancienne gémit. Je lis de l’inquiétude sur le visage de Matt qui saisit vivement une couverture pour recouvrir délicatement ses frêles épaules.

- Pardon, Ancienne… Je ne voulais pas vous perturber…

- Ne t’inquiète pas, Abbigail. Ce n’est qu’un petit malaise… Poursuis ta réflexion.

Je me sens coupable. Tout ceci l’affecte beaucoup trop. Je devrais peut-être me satisfaire de ce que je sais. Pourtant, il faut que j’éclaircisse un point. Il subsiste une incohérence dans ce qu’elle vient de me dire.

- Ancienne… Ava. Expliquez-moi ce qui m’échappe, je vous en supplie. Que ce soit paisiblement ou en sursaut, je finis toujours par me réveiller. Donc à moins d’être exposée à un réel danger, je ne vois aucune raison logique de craindre les Auras, ni de traverser un portail.

- Tu ne comprends toujours pas… répond-elle les yeux brillants.

- Mais vous savez très bien que je ne demande qu’à comprendre. Qu’un Aura m’emporte à travers un portail ou que je sois expulsée d’ici en appliquant le concept de la dominante, cela a la même incidence, non ?

- Pas tout à fait, Abbigail.

Je soupire. Impossible de comprendre le message que mon subconscient essaie de me transmettre. Et si cela avait un lien avec mon passé ? Un vague souvenir des cauchemars qui hantaient mes nuits me submerge.

- Est-ce que cela peut avoir un rapport avec ce que j’ai vécu durant l’enfance ? Sauter dans l’Ombre générerait des cauchemars ?

- Tu n’y es toujours pas… répond Matt.

- Abbigail, reprend l’Ancienne, te souviens-tu du jour où l’on t’a tous deux parlé de la dominante ?

Je plisse les yeux, pensive. Cela me semble maintenant si lointain…

- J’en ai quelques souvenirs, oui. Nous nous trouvions précisément ici, dans la chaumière.

- Et te souviens-tu de ce que nous t’avons expliqué au sujet du rêveur qui n’a pas conscience de rêver ?

- Je crois bien, oui. Son subconscient est persuadé que tout ce qui se passe dans les rêves est la réalité.

La réponse me paraît soudainement si évidente. Ce n’est pas le fait de se réveiller qui est à craindre. Le plus grand danger réside dans le fait que notre corps soit convaincu de sa propre mort. Voilà pourquoi les Auras sont craints. Ils représentent le passage vers un autre état. Vers la mort, peut-être… Si je meurs dans le rêve, il y a de fortes chances que mon corps meurt aussi dans la réalité.

- Mais Ancienne… Logiquement, puisque je suis consciente de rêver, je ne risque rien. Par conséquent, même si mon esprit croit mourir en franchissant un portail, je devrais tout de même me réveiller. Tant que mon esprit différencie le rêve de la réalité, je dois pouvoir m’en sortir, vous ne croyez pas ?

Matt et l’Ancienne se dévisagent.

- Qui peut vraiment le savoir, Abbigail ?

Probablement personne… Ni l’Ancienne, ni Matt ne sont capables de m’apporter de réponse supplémentaire. Ils semblent tout autant démunis que moi.

Toutes ces questions sans réponse me rongent de l’intérieur. Je ressens une profonde envie de hurler, mais je me contiens. Si seulement je pouvais obtenir quelques clés supplémentaires, je pourrais peut-être enfin réussir à tisser les liens qui me manquent tant pour enfin avoir la chance de construire ma vie. J’ai vraiment l’envie et la volonté de me tourner vers l’avenir, mais cela me sera impossible tant que je resterai bloquée dans cet univers plein d’incertitudes.

- Je suis désolée Ancienne. Je suis certaine que vous avez de bonnes raisons pour ne pas me dévoiler certains éléments, mais je me sens si proche du but. J’aimerais enfin comprendre pourquoi je dois tant craindre les Auras alors que j’ai la capacité de contrôler mes émotions et d’influencer le rêve.

- Abby… Nous ne sommes certains de rien, mais nous avons des raisons de penser que lorsqu’un Aura nous extrait de la Borne en nous faisant traverser l’Ombre, c’est pour ne plus jamais pouvoir y revenir. C’est la seule chose que l’on peut te dire de plus.

Un départ définitif. Le cerveau serait donc capable de se déconnecter définitivement d’un univers onirique qu’il a généré, de la même manière que l’on clôt le dernier chapitre d’un livre. Aucun retour en arrière possible… Si je suis extraite de la Borne, je ne pourrai jamais plus en rêver.

- C’est… irrévocable ?

- Jusqu’à présent, nous n’avons jamais revu ceux qui ont été emportés par les Auras.

- Vous êtes en train de me dire que si je ne m’extrais pas par moi-même de la Borne, mais qu’un Aura finit par m’emporter dans l’Ombre, jamais plus je ne pourrai en rêver ? Je ne reviendrai donc plus ici ?

- C’est ce que nous croyons, oui… admet l’Ancienne.

La pièce devient totalement silencieuse, à tel point que je perçois les rires des enfants qui continuent de jouer dehors. Matt s’approche de moi. Il dépose un baiser sur mon front, puis il me prend dans ses bras.

- Et si je te disais qu’il s’agit de bien plus qu’un simple rêve ?

L’Ancienne lui lance un regard inquiet. De quoi parle-t-il ? Ça ne peut être qu’un rêve. Il n’y a qu’ici que j’ai le sentiment de pouvoir être pleinement moi-même. Vivante. Entière…

- Je ne vois pas ce que cela pourrait être d’autre…

Matt soupire. Le visage de l’Ancienne se durcit.

- Matthew, tu es bien conscient de ce que tu fais ?

- Tout à fait. Faites-moi confiance, Ava…

L’Ancienne secoue la tête, hésitante, puis finit par reprendre la parole.

- Ce que Matthew essaie de te dire, c’est que la Borne est ton avenir, Abbigail. Comme ton passé…

Je reste muette. Perplexe. Je ne comprends absolument rien. Comment se peut-il qu’un rêve fasse partie de mon passé et de mon avenir à la fois ? La seule explication possible, c’est que tout ceci ne soit qu’une métaphore de ce que je vis et de tous les changements qui se sont opérés au cours de cette dernière année. Mon passé, mon présent, mon avenir.

Et si mon subconscient tentait de me transmettre un message bien plus profond ? Plus antérieur ? Il y a assurément un lien étroit avec le deuil que je traversais. Que je traverse. Mais peut-être qu’un autre événement est la clé de tout…

Et s’il s’agissait de quelque chose en rapport avec ma naissance ? Je suis certaine que quelque chose s’est produit au moment où j’ai cessé de respirer. Je le sais. C’est étrange d’ailleurs que je m’en souvienne alors que je suis en plein rêve. J’ai perdu un frère et j’ai frôlé la mort… J’ignore pour quelles raisons, mais je sens au fond de moi que ce drame est, d’une certaine façon, intimement lié à la Borne.

Je me torture l’esprit. Ou plutôt, mon esprit me torture… Les regards inquiets de Matt et de l’Ancienne se posent sur moi. Ils paraissent désolés de me voir ainsi tourmentée, mais je ne leur en veux pas car je reste consciente que leur objectif est de m’aider à prendre conscience de certaines vérités. Je sens que je touche au but. Si seulement ils pouvaient m’en dire un peu plus. Rien qu’un tout petit peu…

- Ancienne, j’ai besoin de savoir une dernière chose.

- Je t’écoute, Abbigail.

- Récemment, j’ai vu dans l’un de mes rêves cinq portails dont les halos lumineux étaient tous de couleur différente. Il y en a certains que je n’avais encore jamais vus dans la Borne. En quoi sont-ils différents les uns des autres ?

- J’aimerais pouvoir te répondre, avoue-t-elle avec douceur. Mais tant que nous ne traversons pas l’un des portails, nous ignorons la nature profonde de leur différence et ce qui se trouve réellement derrière l’Ombre. Nous ne connaissons que la fonction que tu leur connais. Ce sont des passages.

L’Ombre. Ce voile flou qui empêche quiconque de percevoir ce qu’il se passe au-delà des limites des portails. La frontière entre ici et l’inconnu. Je comprends mieux maintenant pourquoi les gens d’ici ont appelé cette terre « la Borne ». En d’autres termes, la limite… Ils ne l’ont pas appelée ainsi parce qu’il n’existe rien au-delà, mais plutôt parce qu’ils ignorent ce qui se cache au-delà des portails. Au-delà du voile. À travers l’Ombre….

- Savez-vous si nous pouvons emprunter l’un de ces portails de notre propre volonté ?

- À moins qu’un Aura ne nous emporte, pas que je sache, répond l’Ancienne. Mais raconte-moi plutôt le rêve que tu viens d’évoquer. Tu ne m’en avais pas encore parlé. Quelles sont les couleurs que tu y as vues ?

Je fronce les sourcils, songeuse. C’est vrai que je n’ai jamais pris le temps de lui en parler. À Matt non plus. Comment aurais-je pu le faire ? Je viens seulement de me souvenir de ce rêve étrange. Enfin je crois. Tout est un peu confus…

- Il y avait un portail très sombre. Du noir mêlé à du violet, exactement comme celui que j’avais déjà vu lorsque j’étais seule, sous les trois saules.

- Un portail obsidienne, oui.

C’est donc comme cela que les gens l’appellent.

- Qu’est-ce donc exactement ?

- Nous n’en savons rien. Nous supposons que c’est un endroit à craindre.

L’Ancienne hésite, mais elle semble totalement sincère.

- Un portail obsidienne est exactement tel que tu nous l’as décrit, ajoute Matt. Il est aussi fascinant qu’effrayant. Sa teinte noire mêlée de violet attire l’œil comme le miel allèche l’ours. Mais ce genre de portail n’annonce rien de bon, tout du moins pour toi.

- Parce que je ne dois pas me tourner vers les choses négatives de la vie ? Serait-ce la symbolique cachée ?

- Disons que c’est tout ce que tu dois savoir pour le moment, répond l’Ancienne.

- Donc vous savez, une fois de plus, quelque chose que j’ignore…

- Tu te trompes. Je sais seulement que l’heure n’est pas encore venue pour toi de comprendre ce qui se cache au travers de ce voile. Par conséquent, tu ne peux t’en approcher. Je te l’ai dit ; nous ignorons ce qui se cache au-delà de l’Ombre. Parle-moi plutôt ce que tu as vu, je te prie.

Je soupire, mais je n’insiste pas. Si l’Ancienne ne souhaite pas m’en dire plus, c’est qu’elle doit avoir ses raisons.

- Il y avait également un portail vert, comme ceux que nous avons souvent vus avec Matt.

- Un portail émeraude, acquiesça l’Ancienne.

Je visualise très clairement le hall de gare, comme si je me trouvais dedans en cet instant précis.

- Dans ce rêve, il y avait aussi certains portails que je n’avais encore jamais vus. Un portail rouge écarlate, un bleu et un dernier portail différent qui dominait les autres au centre de la salle.

Des petites ridules apparaissent autour des yeux de l’Ancienne tandis qu’elle fronce sérieusement les sourcils.

- Comment était-il exactement ?

- Il avait quelque chose de très étrange. C’était le plus lumineux des cinq portails et de loin le plus grand. Son cœur était blanc, d’une pureté que je n’avais encore jamais vue de toute ma vie. C’était un flux iridescent, une sorte de prisme qui semblait refléter toutes les couleurs de l’univers.

L’Ancienne ne dit rien. Son expression inhabituelle dépeint l’émotion qui la traverse. La bouche à demi ouverte, elle laisse une larme perler au coin de son œil, avant de la laisser rouler lentement en direction de ses lèvres.

- Ancienne, le plus perturbant c’est que j’ai cru percevoir quelque chose au-delà du voile. Il y avait un grand arbre en fleurs. Un énorme cerisier blanc.

- L’arbre racine… murmure-t-elle avec émotion.

- Mais qu’est-ce exactement ?

- Je ne suis pas certaine de le savoir, Abbigail… On raconte qu’il représente tout ce que chaque être vivant s’évertue à rechercher au cours de sa vie.

Ses lèvres tremblent. Sa voix se brise.

- … une réponse ?

- Un espoir, ma chérie…

La pièce devient brusquement sombre. Matt se tourne vivement vers la fenêtre.

- À propos d’espoir, si vous souhaitez en conserver ne serait-ce qu’un tout petit peu, il serait peut-être temps de songer à partir !

- Non !

J’ai encore tellement de questions sans réponses.

- Je te comprends, Abbigail. Mais ce sera pour plus tard. Ou peut-être pour avant…

Encore une réponse énigmatique dont je suis incapable de comprendre le sens.

- Ancienne, je vous en prie. J’ai besoin d’en savoir plus !

- Tu ne pourrais pas mettre de sens derrière mes paroles si je te révélais maintenant ce que tu dois apprendre toute seule. Et je risquerais par la même occasion d’influencer tout ton avenir si tu apprenais de ma bouche ce que tu ne dois savoir que par ta propre expérience.

- Mais ce n’est qu’un rêve… Comment pourrait-il influencer mon avenir ?

- C’est ton rêve, Abbigail. Il ne peut que t’influencer puisqu’il t’amène à réfléchir. N’oublie jamais ce que je m’apprête à te dire. Il y a une raison à toute chose dans l’univers.

- Mais…

- Toute vérité n’est pas bonne à dire, Abbigail. Tôt ou tard, tu devras trouver les réponses par toi-même. Mais maintenant, tu dois partir !

- Mais…

Matt s’éloigne brusquement de la fenêtre.

- Ancienne, ils se rapprochent !

- Ma douce, promets-moi de toujours veiller sur toi-même et sur tes proches, me murmure l’Ancienne.

Elle me fait signe de m’approcher d’elle et se glisse tendrement dans mes bras.

- Mais, Ancienne…

- Elle doit partir, Ava ! Maintenant !

« Elle » ? Mais pourquoi cette remarque me concerne uniquement ? Pourquoi ne vient-il pas avec moi ? Nous pourrions fuir ensemble et rejoindre notre division.

Matt s’approche rapidement et prend mon visage entre ses mains pour déposer un baiser fougueux sur mes lèvres. Ses yeux inquiets n’annoncent rien de bon.

- Abby, tu me fais confiance ?

- Pour toujours…

Il m’embrasse une dernière fois.

- Prends ta respiration !

- Quoi ?

Sans que je n’aie le temps d’ajouter quoi que ce soit, ni de comprendre ce qu’il se passe, Matt me projette violemment en arrière, tout droit dans le chaudron en ébullition. Je pousse un cri, mais étrangement, le liquide fumant ne me brûle pas. Je me mets à couler, toujours plus loin, sans ressentir la moindre douleur. D’habitude, je suis pourtant assez bonne nageuse. Mais cette fois, rien n’y fait. Je continue à m’enfoncer dans les profondeurs aqueuses sans jamais en atteindre le fond. Ayant conscience d’être dans la Borne, je choisis alors de lâcher prise et je laisse mon corps poursuivre inlassablement son chemin en me focalisant sans relâche sur ma dominante et sur mon médaillon.

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