chapitre Deux :

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Salvinius di Moricalum

Clodoald dormait d’un sommeil sans rêves quand il sentit qu’on le secouait doucement. Il sursauta brusquement et, en s’asseyant sur son séant, vit sa sœur Ma Rielle. Celle-ci était vêtue d’une longue chemise épaisse en laine, et la candela qu’elle portait faisait briller sa chevelure blonde, ondulant comme les blés.

Elle chuchota :

« Lève-toi, il faut te préparer. Père dort encore, fais doucement. »

Le jeune homme se redressa sur le bord de sa couche, chercha ses mules du bout des orteils.

Une fois chaussé, il suivit la jeune femme jusque dans la cuisine. Une douce chaleur diffusée par la cheminée l’enveloppa agréablement. Un bol de soupe fumante et odorante, accompagné d’une généreuse tranche de pain brun et d’un demi-oignon, était déjà posé sur la table. Comme depuis son plus jeune âge, un élan d’affection le poussa à prendre sa sœur aînée dans ses bras pour la remercier. Elle le

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serra plus fort que d’habitude, lui sembla-t-il. Elle frictionna sa chevelure brune, lui déposant un baiser sur le front. Parmi ses deux sœurs, elle était la plus douce.

Après avoir avalé son déjeuner, fait une rapide toilette et s’être habillé, il alla jeter un œil au feu dans la forge. Ta Tine entassait des fagots près du tas de charbon. Ils parlèrent de choses et d’autres, rangeant ceci, déplaçant cela.

Soudain, un garçon d’environ une douzaine d’années, aux cheveux couleur rouille, fit irruption dans l’atelier en criant :

« Les soldats arrivent ! Ils viennent te chercher, Clodoald ! » Puis il repartit en riant.

Le jeune homme regarda sa sœur, hébété. Puis ils éclatèrent de rire.

« Il ne changera jamais, ce « Rouquemouille ». »

Son regard se troubla pourtant lorsqu’il vit, pour la première fois, des larmes couler sur les joues de Ta Tine. Il la prit tendrement dans ses bras, lui baisant le front comme lorsqu’il avait lui-même eu besoin d’un câlin, naguère.

La voix de Clavis résonna depuis la cuisine :

« Qui c’est qui hurle comme ça, palsambleu ? »

Ta Tine s’écarta doucement de son petit frère, s’essuyant les yeux avec sa manche en reniflant :

« C’est « Rouquemouille » qui vient de prévenir que les soldats arrivent », répondit-elle en entrant dans la cuisine.

Le gros homme se posa lourdement sur le banc, seul meuble assez solide pour supporter son poids et

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assez large pour accueillir son énorme fessier, en posant sa « quille » sur le dallage.

Ma Rielle avait préparé un bol fumant pour leur père et était partie rejoindre son amie, Lili, la fille du meunier. Les soldats et leurs recrues auraient certainement besoin de pain et de farine avant de repartir. Et, comme à son habitude généreuse, l’aide qu’elle apporterait à son amie ne serait pas de trop pour ensacher la farine, préparer les pâtes à pain et les biscuits de soldats.

Elle avait un temps voulu s’engager parmi les cantinières pour garder un œil sur son petit frère. Mais leur père avait décidé que ce serait une mauvaise idée : Clodoald devait devenir un homme sans être couvé, comme un petit poulet prêt à se faire dévorer dans la basse-cour. L’image avait réussi à arracher un sourire au « petit poulet » et à ses sœurs.

Clodoald avait réussi à se raser le peu de poils qui formaient une ombre sur son menton, sans s’égorger avec le coupe-chou que son père lui avait forgé et affûté, quand un piétinement résonna dans la rue étroite longeant les premières habitations.

Une troupe nombreuse venait d’arriver dans le hameau, accompagnée du cliquetis caractéristique des armes frappant les armures faites de cottes de mailles pour les plus pauvres, ou de plaques de métal pour les plus aisés. Des enfants couraient autour des cavaliers, excités par la vue des hommes et des chevaux marchant au pas. Quelques mulets renâclaient en tirant de lourdes carrioles, dont les roues peinaient dans les ornières creusées au fil du temps.

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Il rinça le savon noir à l’odeur amère, enfila rapidement sa chemise de laine que Ma Rielle lui avait préparée, imprégnée d’un doux parfum de thym. Il enfila une paire de braies, ses chausses et ses guêtres, prit sa veste en peau de mouton et entra dans la cuisine.

C’était la dernière fois qu’il verrait sa famille au complet.

Le père se tenait debout, encadré par ses deux filles : l’une aux cheveux couleur jais, l’autre à la chevelure blonde comme un champ de blé. Ta Tine, qui tenait un balluchon, le tendit vers son petit frère :

« Tiens, un peu de quoi manger, si ce qu’ils te donneront ne suffit pas ou n’est pas bien préparé. Tu as aussi des habits propres et une couverture. Ne les perds pas ! »

Clodoald prit le sac, remercia silencieusement sa sœur, regarda longuement son père dans les yeux, mélangeant le vert des marais avec tout le bleu du ciel.

Ils sortirent sur le perron de la forge. Un soleil timide émergeait doucement derrière la maison, entre des nuages, diffusant une douce chaleur.

Un attroupement se formait de chaque côté de la ruelle, s’élargissant vers le patio. Des gamins étaient perchés dans les arbres, d’autres juchés sur la fontaine, en équilibre précaire, pour mieux voir arriver les soldats.

Ils furent précédés par une rumeur, un bruit de pas désordonné, puis le cliquetis, et enfin ils apparurent : environ trois cents hommes, une dizaine de

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cavaliers, et les carrioles chargées d’armes, de matériel de campagne, de victuailles.

Ils paraissaient fourbus, épuisés et affamés. Certains s’assirent à même le sol, d’autres sur les marches menant à une chapelle, ou à la maison de la Commune.

Ils portaient des gilets en cottes de mailles ou des carapaces faites de plaques de fer, un casque de cuir surmonté d’une semi-coque en fer terminée en pointe avec des joues articulées protégeant la mâchoire, un glaive court au côté droit, et un écu rond fixé dans le dos, portant un Tau bleu et cuivre en son centre.

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Un bruit de sabots résonna dans la cour formée par les habitations, et un cavalier apparut, escorté par cinq ou six autres. Son casque métallique était orné de plumes rouges sur le sommet. Il avait un nez aquilin, des pommettes saillantes, et un regard dur. Aussitôt, des soldats se relevèrent timidement. D’autres, trop épuisés pour faire le moindre effort, restèrent assis. Le gradé sembla ne pas en tenir rigueur, descendit de son destrier et tendit les rênes à l’un de ses subalternes.

Le bourgmestre s’avança et s’inclina respectueusement en se présentant :

« Je suis le chef de ce marquisard, je représente le comté de Tolosa. Puis, s’inclinant encore : Je me

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présente, Justinius Gallimacius, pour te servir, mon seigneur. »

Le soldat regarda d’un œil légèrement amusé l’obséquieux magistrat, puis répondit :

« Mes hommes ont beaucoup marché et auront besoin de se restaurer, puisses-tu faire le nécessaire, je te prie. Je suis le chef du Septième de garnison de la maison du comté de la Ville en Draut, Salvinius di Moricalum, bourgmestre. Nous ne resterons que le temps de trier les recrues dont nous aurons besoin et de nous reposer. Nous devrons gagner les bourgs suivants, vers le Sud, dans la matinée de demain. Nous aurons besoin d’une grange pour passer la nuit, de quelques vivres et de foin pour les chevaux. »

Le bourgmestre ne semblait pas s’attendre à devoir loger trois cents hommes. Il resta un instant sans réaction, les yeux allant de droite à gauche, cherchant une solution. Une voix forte s’éleva alors de la foule :

« Je sais où pourront dormir tes soldats, chef ! »

Le gros Clavis s’approcha en claudiquant, son tampon de liège martelant d’un son sourd les dalles de pierre. Il s’avança vers le soldat et s’inclina du mieux qu’il put :

« Il y a l’ancienne grange du père Baccinus, en remontant une lieue vers le levant, en longeant l’Estey. Et les seuls vivres que pourront donner les habitants de ce hameau pour tes hommes ne seront que quelques légumes et du pain. »

Le bourgmestre regarda le forgeron, éberlué devant une telle franchise. Il voulut reprendre la parole,

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exercer son autorité, mais le soldat s’était tourné vers le gros homme :

« Je vois avec ton tablier de cuir noirci par les flammes que tu es le forgeron. J’aurai besoin de fers pour les chevaux aussi. Pourras-tu m’en fournir, si d’aventure j’ai besoin de tes services ? »

Clavis regarda le soldat dans les yeux :

— J’ai déjà effectué une commande pour le comté, que tes hommes pourront charger. Je te montrerai où des fers seront à ta disposition.

Le gradé opina, puis demanda, à brûle-pourpoint :

— Tu as perdu une jambe en guerroyant pour quels écus ? »

Le gros forgeron sourit, d’un air gêné :

—Uniquement pour nourrir ma famille, Seigneur. Une mauvaise blessure causée par un sanglier. »

Le soldat posa sa main sur l’épaule de Clavis :

— Une guerre tout aussi noble, mon brave. »

Puis, se tournant vers Gallimacius :

— Il me faudrait la liste de tous les jeunes adultes de plus de seize printemps, ainsi que tes bureaux, pour mon service de recrutement. »

Le bourgmestre s’empressa de répondre que les locaux de la maison locale étaient à sa disposition. Clodoald fut désigné pour accompagner les soldats et leurs carrioles vers l’ancienne grange.

Ils se mirent en œuvre pour nettoyer les quelques ballots de paille, confectionnant des couches d’un côté, laissant l’espace pour les chevaux et les carrioles de l’autre. Les cantinières qui suivaient le convoi établirent un coin repas à l’entrée.

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Un roulement de tambour, suivi d’une voix, s’éleva de la place du bourg, rebondissant en écho contre les murs des maisons jusqu’à la grange :

« Oyez, oyez ! Avis à vous, braves gens, oyez, oyez ! L’ost du seigneur Bacchius de Saltes a besoin d’hommes forts et en bonne santé ! Que tous les hommes adultes à partir de seize printemps se présentent à la maison locale, oyez, oyez ! »

Il répéta trois fois, tambour compris.

Clodoald s’excusa puis s’éclipsa vers la bâtisse cossue qui s’élevait au centre, jouxtant le patio. Une longue file d’une cinquantaine d’hommes de tous âges s’étirait déjà. Le jeune homme reconnut ses deux amis, Solfhir et Marcus, qui piétinaient sur place avec les autres hommes du hameau. Ils ne purent s’empêcher de se faire un signe, levant la main simultanément qui se ferma en un poing, signifiant : « Force et courage ! »

Des enfants, entraînés par « Rouquemouille », tournaient en courant autour de la file, criant d’une voix aiguë, surexcités par l’événement. Les mères tentaient de les calmer avec maintes et vaines menaces.

Le hall de la maison locale avait été transformé en espace de recrutement. Trois files convergeaient vers des bureaux improvisés à l’aide de planches. Deux personnes par bureau recevaient les recrues, dirigées vers eux par un soldat.

Clodoald se présenta après avoir été convié par un garçon guère plus vieux que lui, au bureau du centre. Il déclina son identité, l’un des deux hommes

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chercha dans un registre et cocha le nom du jeune homme. Un autre, au bureau de droite, prit le livre pour le consulter à son tour.

L’un des officiers posa des questions à Clodoald sur d’éventuelles maladies passées. Il dut se dévêtir torse nu pour qu’un autre officier regarde, palpe et ausculte. Il lui fut demandé de signer ou de mettre une croix s’il ne savait écrire. Clodoald saisit la plume qu’on lui tendait et, après en avoir trempé l’extrémité dans un encrier, écrivit d’une main malhabile son nom.

On lui donna un bon avec un numéro et on lui indiqua de se présenter avec celui-ci à la grange qui servait de camp.

Des odeurs de soupe l’accueillirent lorsqu’il se présenta avec son papier à une tente servant de poste de garde, dressée durant son absence. On lui assigna un coin où, avec son bon, il lui serait remis un paquetage.

Après avoir déposé son sac avec l’écu et la semispatha (épée courte à double tranchant) qu’on lui avait fournis sur une couche qui lui avait été indiquée, il alla aider au chargement d’une carriole servant à transporter des armes. Il aperçut au loin son ami Marcus qui lui fit un signe de la main. Il lui répondit en levant le poing. Marcus fit de même, un large sourire étirant ses lèvres en réponse à ce message muet.

La fin de l’après-midi se déroula ainsi, allant d’un côté à l’autre, aidant à installer divers matériels dans une carriole, aidant à préparer une chambrée pour les soldats gradés dans la salle principale de l’auberge.

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La nuit fut courte, Clodoald cherchant à tasser convenablement la paille rêche sous sa couverture. Les chevaux renâclaient à côté, grattant la terre battue de leurs sabots. Parfois, un sanglot venait percer le calme du dortoir improvisé dans la vieille grange du vieux Baccinus.

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Un roulement de tambours résonna dans la cour, hantée par les ronflements et les reniflements de ces hommes qui allaient devoir partager une longue route ensemble. Les recrues se levèrent en râlant, pour la plupart. D’autres, résignés, s’habillaient dans la pénombre. Clodoald avait eu du mal à fermer l’œil, déstabilisé par le fait d’avoir dormi hors de sa petite chambrée.

Il revit son père, seul sur le perron de la forge lorsque la troupe s’ébranla en direction du levant, pour rejoindre le comté de Tolosa. Leurs yeux se croisèrent, pour la dernière fois. Le regard embué de Clavis émut le fils, qui fixa le sien sur les talons du jeune recru devant lui

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Ils arrivaient enfin en vue de la garnison. Cela faisait quatorze jours qu’ils marchaient. Les villages qu’ils traversaient avaient peu de vivres à partager, mais offraient des recrues qui amplifièrent la cohorte. Ils durent camper sous des tentes quand le

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climat se détériora, les contraignant à dormir sous une pluie battante qui martelait bruyamment la toile, laissant pénétrer des gouttes malgré l’imperméabilisation. Le lendemain, il y eut une altercation entre deux recrues. Clodoald reconnut la silhouette massive de Solfhir, les jambes écartées et les poings serrés comme à son habitude, toujours prêt à en découdre. Il y avait un désaccord entre lui et un jeune paysan d’un village qu’ils avaient traversé. Solfhir l’accusait de lui avoir volé une bourse contenant quelques pièces que son père lui avait données. Son adversaire fit l’erreur que Solfhir attendait : il lui fonça dessus, tête baissée. L’ami de Clodoald eut un léger rictus et cueillit le paysan d’un crochet du droit à la mâchoire. Le jeune homme s’écroula comme un sac de charbon qu’on jette à terre. Solfhir se pencha, fouilla sous la tunique et en extrait une bourse en cuir retourné, ficelée avec un cordon tressé, qu’il brandit victorieusement.

« Qu’est-ce que je vous disais ! » hurla-t-il.

Clodoald ne put s’empêcher de crier vers son ami :

Solfhir !

Celui-ci se tourna, et Clodoald leva le poing. Son ami lui offrit son sourire en levant également le poing et murmura en articulant :
— « Force et courage ! »

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La garnison était un bastion perché sur les hauteurs de la Garonne. Pour y accéder, il fallait grimper le long des coteaux, emprunter un étroit

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pont fait de poutres de chêne, qui enjambait une gorge au fond de laquelle bouillonnait un ruisseau, puis marcher encore jusqu’à arriver à un pont-levis.

La cour du bastion fourmillait de toutes sortes de personnes. Des lads s’empressaient de prendre les montures des cavaliers en charge, les tirant vers des écuries pour les panser. Des maréchaux-ferrants s’activaient bruyamment sur les forges, formant des fers qui iraient rejoindre les sabots des chevaux, ou forgeaient des épées et des glaives qui seraient fourrés dans les fourreaux des nouveaux venus. Des soldats érigeaient des tentes pour accueillir les nouvelles recrues, avant leurs mutations prochaines vers les lieux d’entraînement et de combat. Des cantines furent installées, des chaudrons remplis d’eau furent mis à chauffer sur des fourneaux improvisés, les petites mains se mirent à éplucher des légumes, tandis que le boucher et ses aides découpaient des morceaux de viande à mettre à sécher dans le saloir.

Le jeune homme se présenta à un maréchal-ferrant, lui proposant son aide. Son passé de forgeron auprès de son père lui avait donné une solide formation, et il put se mettre à l’œuvre, forgeant les armes nécessaires pour le bataillon. L’artisan lui fournit deux jeunes apprentis qu’il prit sous son aile, leur donnant à lustrer au sable fin les glaives déjà préparés.

Ils restèrent ainsi deux semaines, à s’entraîner au maniement des armes et apprendre quelques prises de lutte.

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Le tambour résonna plus tôt ce matin-là. Clodoald avait des difficultés à s’habiller. Il faisait encore nuit, et le peu de lanternes qui éclairaient la grande tente abritant les recrues avec qui il partageait la chambrée ne l’aidait guère.

Il se présenta devant une cantinière qui lui remplit une écuelle d’un gruau de légumes et de viande séchée. Il s’installa à une table avec d’autres hommes qu’il connaissait vaguement, pour avoir un peu discuté, établir des liens. L’un d’eux, nommé Chlodric, venait d’un hameau voisin. Il détenait une ferme, avec sa femme et ses deux fils, de douze et quatorze printemps. Ils se connaissaient, ayant eu à faire affaire ensemble. Clavis lui avait fabriqué deux socs pour sa charrue que Clodoald lui avait livrés.

Une fois le déjeuner avalé, il se présenta avec d’autres recrues devant un officier, debout dans la cour du bastion, paquetages aux pieds. Il chercha des yeux s’il apercevait ses amis, Solfhir ou Marcus.

Les soldats, réunis au complet suivant l’appel d’un des gradés, se mirent en branle vers la sortie, bruyamment accompagnés par des carrioles tirées par des mulets. Clodoald aperçut Marcus qui chargeait une carriole avec d’autres jeunes gens, mais celui-ci était trop loin pour que son ami puisse le remarquer.

Le convoi franchit le pont-levis, marcha sur le pont de chêne qui tremblait sous le pas de cette centaine de carrioles, d’hommes et de chevaux montés par des cavaliers en armure.

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Ils avançaient dans une forêt aux essences variées, assombrie par la canopée fournie que formaient les faîtes. Un camp fut établi, les tentes dressées, et les cantinières se mirent à préparer une soupe grasse et épaisse. Des soldats en armes se disposèrent tout autour du campement. Les lueurs dansaient, faisant faire une gigue ridicule aux ombres des hommes et des femmes qui s'activaient.

Clodoald s’était assis en tailleur avec d'autres soldats autour d'un feu de camp. Ils mangeaient en silence, mâchant la viande séchée avec un morceau de pain brun trempé dans l'écuelle de soupe insipide. C'était chaud, ça tenait l'estomac. C'était tout ce dont ils avaient besoin. Un jeune officier s'approcha du groupe :

« Vous trois, dit-il en désignant Clodoald et deux autres recrues, vous prendrez le prochain quart sur le versant du Couchant. Vous autres, indiqua-t-il en désignant les trois derniers. Vous assurerez le suivant jusqu'au petit matin, vu ? »

Ils opinèrent tous du chef, finissant de manger leur pitance.

Le quart se déroula sans encombre, à peine perturbé par un marcassin venu se perdre près du camp, créant un tintamarre de tous les diables lorsqu’il s’empêtra dans les cordages servant de haubans.

La nuit fut courte, et le sommeil tarda à venir.

Le petit matin dardait ses premières lueurs quand un coup de pied au postérieur le réveilla. Le Soleil luisait de sa pleine couleur orangée, un halo

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vaporeux lui donnant l’illusion d’avoir une chevelure flamboyante. Un soldat en armure se dressait au-dessus de lui, le dominant d’une stature imposante.

« Lève-toi et suis-moi ! »

L'ordre, bref et murmuré, ne laissait aucune liberté ni possibilité de résistance. Il était exprimé de telle façon que celui auquel il s'adressait ne pouvait qu'obéir. Clodoald repoussa la fine couverture qui devait le protéger du froid et se mit debout, enfilant les chausses qu'il avait dû quitter pour dormir. Le soldat exprima son impatience en soupirant.

Ils sortirent de la tente et se dirigèrent vers une tablée où trônait Salvinius di Moricalum. Une cantinière le héla et lui tendit un plat empli de viandes et de légumes. Les repas qu'il connaissait habituellement n'avaient pas les mêmes saveurs. Il reconnut certains des officiers qui assistaient à la réunion du chef du Septième de Garnison de la Ville en Draut. Celui-ci avait étalé une carte, tenue en ses coins par des pierres. Il expliquait ses intentions pour reconquérir un terrain que les Maures avaient décidé d'occuper, se rapprochant dangereusement des côtes du Sauternois. Il retourna chercher un pichet de vin, servit les coupes que les gradés lui tendaient.

Ensuite, il fut appelé à aider à plier et charger les tentes dans des chariots, avec d'autres recrues.

Une fois le campement démonté, le convoi quitta les lieux et les soldats se préparèrent pour un autre combat. Clodoald fut terrifié par la violence avec laquelle ses congénères s’employaient à vouloir tuer leur prochain.

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Les jours puis les semaines s'écoulèrent, parsemés de batailles éphémères, d’avancées stratégiques, de reculs nécessaires pour préserver tel terrain ou telle quantité d’hommes. Il avait été décidé en haut lieu d'envoyer une troupe dans les alentours au Levant de Tolosa. Des soldats Maures avaient été repérés, et ils devaient les empêcher de progresser dans les campagnes. Ils dévalisaient les paysans et menaçaient d'attaquer un bastion.

Une fois les préparatifs faits, Clodoald se retrouva avec un bataillon de deux cent cinquante hommes sous les ordres de Salvinius di Moricalum. La marche fut longue et pénible. Ils arrivèrent en vue d'un petit village, où les habitants les accueillirent chaleureusement. Une cantine fut mise à disposition pour les guerriers. Une grange leur permit de passer une nuit à l'abri.

Le lendemain, ils reprirent la route et, arrivés dans les campagnes environnantes de Tolosa, des sentinelles envoyées en reconnaissance vinrent parlementer avec le chef du Septième de Garnison. Celui-ci monta sur une souche et clama d'une voix forte :

« Ces messieurs viennent de me signaler la présence de soldats Barbares. Nous allons devoir arrêter leur progression, coûte que coûte ! »

Des ordres furent donnés aux chefs de cohortes, qui répartirent les rôles aux chefs d’équipes.

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La procession repartit. Clodoald avait mal aux pieds. Les chausses qu'il portait depuis son arrivée dans la caserne ne le protégeaient que partiellement des cailloux, malgré l’épaisse semelle en cuir de bœuf. Le sac qu'il portait lui cisaillait les épaules, et la fatigue se faisait sentir cruellement.

L’officier désigna deux sentinelles qui partirent en avant, tandis qu’une halte fut décidée. Une collation fut organisée, des victuailles distribuées. Clodoald mangeait son pain brun et son oignon dans son coin lorsque des cris fusèrent, venant de l’orée de la forêt qui bordait la sente.

« Les barbares arrivent, ils sont des centaines ! »

Salvinius di Moricalum se redressa d’un bond :

Aux armes, aux armes ! Préparez-vous au combat !

Clodoald avait déjà dégagé son sac, emparé son glaive et fait basculer son écu, accroché à son dos, sur son bras gauche. L’officier remonta en selle et harangua ses soldats, criant sur ceux qui traînaient à réagir :

Allez, debout, préparez-vous au combat ! Plus vite !

Puis, tournant bride, il partit à la tête d’une dizaine de cavaliers bituriges, en direction de l’ennemi.

Une rumeur parvenait à leurs oreilles, accompagnée du cliquetis caractéristique d’armes métalliques s’entrechoquant. Une des sentinelles revenait, une flèche fichée dans l’épaule. Aussitôt suivie par des hommes armés d’arcs et de lances. L’un d’eux banda son arc et acheva le blessé d’un coup précis, le

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touchant dans le dos. Le pauvre homme s’écroula, face contre terre.

Des soldats aguerris de la garnison se lancèrent alors dans la mêlée en hurlant. Leurs glaives taillaient, tranchant, plantant. Les écus paraient les coups adverses, et d’autres les suivaient. Clodoald sentit un bouclier le pousser dans le dos, tandis qu’une voix criait :

« Avancez par Teutatès, repoussez l’ennemi ! »

Il suivit un homme qui avançait, tenant son écu devant lui, la lame de sa courte épée reposant sur l’écran protecteur dressé devant son torse. Clodoald l’imita du mieux qu’il put. La peur soudaine lui faisait trembler les membres. Il avait envie d’être ailleurs, loin de ce tumulte.

À une vingtaine de pas, des hommes se battaient férocement. Puis, un olifant résonna depuis le Levant. Le son lugubre rebondissait contre les vallons, et les barbares reculèrent, mettant fin au combat.

Chacun récupéra ses blessés, profitant de cette trêve. Clodoald fut agrippé par un gradé qu’il reconnut, Romanius le Biturige :

— Toi, va aider les ambulanciers !

Le jeune homme rejoignit un groupe, fut associé à un garçon à peine plus âgé que lui. Leur rôle consistait à parcourir une zone précise du champ de bataille, s’assurer de la survie des hommes, puis planter un bâton orné d’un ruban blanc ou noir selon qu’ils étaient encore vivants ou non.

Ce marquage indiquait aux brancardiers où récupérer les blessés pour les emmener à

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l’infirmerie. Cette méthode, mise au point par Salvinius di Moricalum lui-même après de nombreuses expériences sur le terrain, avait pour but de sauver le plus d’hommes possible. Ne laisser aucun combattant qui puisse être sa

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