Darker

4 minutes de lecture

Quinze hommes contre nous trois. Jesus Vallejo, celui que la DEA et les services secrets colombiens surnomment "L'Archange noir", est venu en force.

Pour sortir vivants de cet infierno, mon plan repose sur l'esbroufe, une mise en scène incertaine. Je neutralise les trois hommes que Vallejo envoie dans la jungle sur son flanc droit. Cruz, elle, élimine ceux de l'autre côté de l'étroit sentier. Quelques flashs scintillent sous la canopée mais je ne sais pas s'il s'agit de reflets de l'orage ou de coups de feu.

Depuis la plage, il faut dix minutes au narcotrafiquant pour arriver au point de rendez-vous, une petite clairière battue par la pluie. Ses sbires ont vite fait d'entourer Marcos et le prêtre, yeux bandés, à genoux dans la terre. Face aux AK-74 braqués sur lui, mon vieil ami ne bronche pas.

Le plan fonctionne comme prévu. Quand Vallejo s'approche de Marcos, pistolet à la main, j'allume l'installation électrique de fortune bricolée dans la journée. De l'autre côté de la frondaison, Cruz en fait de même. Aussitôt, ce sont vingt faisceaux lumineux qui se braquent sur la petite troupe dans le creux de la forêt. L'Archange s'immobilise, surpris. Je me méfie tout de même. Il n'est pas arrivé au sommet de ses ambitions par hasard. Même déstabilisé, il reste extrêmement dangereux. Imprévisible comme tout psychopathe. Mais j'ai quelques atouts dans ma manche.

J'avance dans l'espace herbeux, le point rouge de mon Sig 552 braqué sur la tête de Vallejo. De l'autre côté des fourrés, l'ombre de Cruz surgit également. Je crie :

 " Tranquilo ! Tranquilo !

 - C'est toi, le gringo qui veut me voir ?

 - Sí.

 - Tu n'as rien qui puisse m'intéresser, pendejo.

 - C'est ce que tu crois, Vallejo.

 - Le gosse est à moi. Et aucun de vous ne repartira d'ici vivant !

 - J'ai une proposition à te faire. Si tu refuses d'écouter, personne ne repartira d'ici. Pas même toi. Comprende ? "

Je réponds ça avec le maximum de calme dont je suis capable. Je marche sur le fil d'un rasoir terriblement tranchant. Nous sommes tous conscients d'atteindre le point de bascule. Nous jouons tous à quitte ou double. J'abaisse mon fusil d'assaut et attrape le détonateur à mon cou :

 " Si je le lâche, tout saute dans un rayon de cent mètres.

 - Tu bluffes, hijo de puta.

 - T'es sûr de vouloir tenter ta chance, Vallejo ?

 - Je t'écoute, Jamison.

 - Une vie contre une vie. Celle du gosse contre celle de mon otage.

 - Qu'est-ce que j'en ai à foutre de ce vieux ?

 - Je pense qu'il t'intéresse particulièrement. Tu te rappelles du padre Salazar ? "

Vallejo ne dit rien mais il pâlit dans la lumière hésitante des torches. Son regard se durcit, sa mâchoire tremble de colère. Les yeux qu'il tourne vers le prêtre sont encore plus chargés de venin. Vallejo a lui aussi subi ce genre de violences pendant son enfance. Lui aussi connait la meurtrissure du non-consentement. Cela n'atténue pas les monstruosités qu'il a commises toutes ces années pour son enrichissement personnel. Mais ce soir, je me fous de son histoire, je veux ramener un gamin à sa mère.

Vallejo s'approche du vieux et lui tourne la paume vers le ciel. Un éclair opportun révèle une cicatrice dans le creux de la main. La même marque court sur le dos, de la largeur d'une lame de couteau. Je lance :

 " Un cadeau pour toi, Vallejo.

 - Très convaincant, Jamison. Qu'est-ce que tu proposes ?

 - Tu pars avec Salazar, je pars avec le gosse. Ce qui s'est passé ici n'a jamais eu lieu. J'ai déjà effacé toutes les traces de sa disparition en ville. Personne ne saura rien. Il y aura des soupçons mais rien qu'on puisse prouver.

 - Je devrais vous tuer tous et rentrer chez moi. Juste parce que tu sais.

 - Dans ce cas, on va transformer ce coin de forêt en une grande toile de Jackson Pollock.

 - Tu bluffes, Jamison.

 - Écoute, je me fous de ton business. Et je hais ce fils de pute à peu près autant que toi. On échange et on part chacun de notre côté comme si rien ne s'était passé. "

L'hésitation dans son regard m'en apprend beaucoup :

 " Comment as-tu su ?

 - Peu importe. Et je me fous de la suite. Tout ça peut être la fin ou juste un vague souvenir. Fais ton choix.

 - Ernesto, trae al niño. gueule Vallejo à l'un de ses hommes. Il reprend :

 " Tu es un homme rusé, Jamison. Et chanceux. Mais la veine finit toujours par tourner.

 - Mouais, c'est certain. Rappelle tes sicarios et rien ne sortira de cette clairière. Jamais.

 - Si j'entends le moindre vent de cette affaire, Jamison, je mettrai une si jolie prime sur ta cabeza que tu seras mort ainsi que tes amis dans la journée. Comprende ?

 - Sí, claro. "

Ernesto revient avec le gosse. J'empoigne Salazar et d'une bourrade, le pousse vers Vallejo. Il m'invective, me dit que j'irai en enfer pour ça. C'est probable mais je suis heureux d'être en vie. L'Archange noir et ses hommes repartent dans la jungle. Je lève les yeux vers la tempête tandis que Marcos et Cruz remontent vers la voiture avec Alejandro. J'ai le cœur en charpie, la pluie me balaie le visage, je crois sentir des larmes sur mes joues mais je n'en suis pas sûr.

Au bout d'un moment, je descends jusqu'à la plage. Les rouleaux qui se fracassent m'appellent. Je me déleste de mes armes, de mon gilet tactique et je m'avance dans le Pacifique. Ai-je commis un acte irréparable ou me suis-je offert un peu de répit ?

Dans l'océan, je me lave. De la sueur, de la peur, du doute.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Shephard69100 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0