Chapitre III

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Bien qu'il soit vrai qu'aucune mère ne mange de bébé pour de vrai, elles le feraient si elles le pouvaient. Si elles le désirent tant, concluait la sorcière, c’est qu’il est bien évident que c'est possible et elle se trouvait milles excuses, de l’importance de goûter, des histoires qu’elle entendait. Elle avait le droit et même le devoir d’essayer ! Sa mère et ses principes anti-sorcières-mangeuses-d’enfant, c'est qu'elle vit dans un autre monde que le sien, elle ne pense donc pas comme les siens. Si c’est dans leur culture c’est autorisé, et si c’est autorisé, elle ne pourra pas l’en empêcher. Elle le ferait sans lui demander et elle était déterminée.

Et voilà qu’un jour, alors que Tatayata se perdait dans ses réflexions, et tout en réfléchissant, continuait à marcher sans regarder, et sans y penser, se heurtait soudain à une poussette à l’arrêt. La poussette n’était pas seule à être figée, tous les passants cessaient d’avancer, de parler, le regard vide, et même on pouvait voir les curieux du voisinage, qui scrutaient l’instant d’avant à leur fenêtre et qui se tenaient immobiles à leur poste d’observation, eux aussi, les yeux vides. Le temps était suspendu. Seule Tatayata demeurait éveillée. Elle n’était pas touchée du sort jeté sur le quartier et un sort se réalisait à ce moment même sous son nez. Elle n’était pas frappée du sort qui figeait tout êtres alentour pour garder le secret. C’était elle, sa mère, qui faisait encore des siennes avec son sort sur les mères et les enfants, les mères trop impatientes, ou indifférentes, colériques ou plaintives ou inquiètes, qui en font des tonnes ou bien pas assez, c’est leur punition, tomber endormies, leurs enfants aussi, emportés bientôt par les fées-nounous, chaque maman dans un lit pour les dix ans à venir et les enfants gardés et élevés par les fées dans leur maison dédiée.

Elle décidait alors de saisir l’occasion et sans une hésitation, annula le sort de moitié ! Les fées emportèrent la mère et oublièrent l’enfant. Elle avait enfin un bébé à manger, il ne devait pas se réveiller !

Tatayata avait un peu de temps devant elle mais elle n’oubliait pas que sa mère pouvait la surprendre à tout moment. Elle devait se dépêcher de le faire cuire avant ! Il ne fallait pas qu’elle la voit dans sa boule magique, il ne fallait pas qu’elle la trouve sur son chemin. Elle alla donc se cacher dans un buisson avec le bébé dans les bras.

Tatayata toute occupée à s’inquiéter et mal à l’aise dans sa cachette, avait perdu la notion du temps. Les yeux de l'enfant s’ouvrant sur elle, elle commença à paniquer et à s’exclamer : « Une heure déjà s’est écoulé ! »

Le bébé ne pleurait pas, il faisait juste dadada. Voyons, et ce conte-là où la sorcière mange les enfants, elle ne s'attendrit pas, elle, pensait Tatayata. Mais sa mère lui a répété maintes fois qu'il ne fallait pas les écouter ces histoires-là, on ne mange pas les enfants parce-que c’est cruel. Certaines le font mais sûrement pas elles.

Selon Tatayata, les sorcières sont vraiment méchantes et manger des bébés, c’est bien leur genre sinon pourquoi c’est si courant dans les contes pour enfants ? Pourquoi ne devraient-elles pas faire pareil ? Sa mère prend bien des décisions sans queue ni tête, comme ce sortilège, mais de quoi se mêle-t-elle ? C’est sa faute, pensait-elle et si elle me voit, je n’ai pas honte car c’est sa faute, sa faute à elle, et si elle décide d’écouter mes pensées, même si elle ne l’a jamais fait, je n’ai pas honte de le penser, vraiment pas.

Et maintenant, elle se retrouvait coincée dans ce buisson inconfortable, un bébé sur les bras. Le bébé commençait à avoir faim. Il commençait à pleurer. Et ses pleurs ressemblaient étrangement à des miaulements. Certains bébés font ça, ils sont rares, sûrement qu’ils sont un peu chats. Et Tatayata adore les chats. Comme toute sorcière qui se respecte. Surtout les noirs et surtout les gris. On peut pardonner à une sorcière de croquer un petit d’homme mais sûrement pas de croquer un chaton ! Jamais, jamais, je n’en mangerais, pensait-elle si fort comme si elle s’adressait à quelqu’un qui la jugeait. Ce serait pire que tout, c’est un signe, se disait-il et puis elle se demandait si ça valait la peine de contredire sa mère finalement, et de se faire punir jusqu’à la nuit des temps. Sa mère ne lui pardonnerait jamais, une sorcière ça ne pardonne jamais, c’est comme ça, ça accepte juste de t’aimer quand même, à condition d’accomplir ta peine, et maintenant il fallait rester discrète…

Tatayata ne pouvait pas faire revenir les fées ni leur rendre la mémoire. Et elle ne pouvait pas rentrer, pas comme ça, avec un bébé ! Elle ne pourrait pas juste dire : je ne sais pas ce qui s’est passé, j’ai trouvé ce bébé abandonné. Elle n’y croirait pas. Personne ne fait ça, pas ici . Avec les voisins qui s’épient ?

Elle pourrait peut-être accuser le sort ? Mais le sort est infaillible! Une autre sorcière peut bien l’annuler, mais ici il n’y a personne à accuser, aucune sorcière à la ronde, ni même l’ombre d’un magicien…

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