Chapitre 14 - Oscar

6 minutes de lecture

24.01.22

Wymountain school, LONDON – 9:45am.

— Qu'est-ce qu'il y a, on dirait que tu as vu un fantôme ! s'exclame Arthur en me revoyant arriver.

— Rien du tout, réponds-je d'une voix abrupte.

— Tu es sûr ? s'inquiète Sarah.

Je hoche la tête et baisse les yeux pour ne pas avoir à croiser ceux de ma sœur. Elle devinerait à coup sûr que je lui mens. Là, je peux encore faire illusion.

En vérité, je ne sais pas vraiment ce que je ressens. Les paroles de Liam ont claqué comme un coup de fouet à mes oreilles. Et son sourire dégueulasse...

— Je t'avais prévenu, chuchote Arthur, craignant peut-être qu'on l'entende. La bande de Liam est à éviter comme la peste. Mais crois-moi, un jour ils tomberont sur un poisson plus gros qu'eux et ils se feront bouffer.

Que de rancoeur dans les paroles d'Arthur, on dirait que lui aussi en a fait les frais. Il pose sa main sur mon épaule avant de la retirer aussitôt sous le regard acéré que je lui lance.

Je décide de leur donner une réponse bidon pour clore le sujet :

— On a reparlé de l'exposé et il m'a dit qu'il n'avait pas avancé. Ça me fout les nerfs, on doit le présenter dans quelques jours.

Arthur fait une petite moue compatissante à mon égard. Puis, il nous indique que le cours va bientôt commencer. Je les suis jusqu'à la salle, un peu en retrait. Je fronce soudain les sourcils : depuis quand sont-ils aussi proches, tous les deux ? Leurs épaules se frôlent et Sarah rit sans retenue aux blagues d'Arthur. Je plisse les yeux, ma jalousie de frère qui remonte à la surface. Il faudra que je questionne ma sœur. Sans éveiller les soupçons, bien sûr.

Je passe l'heure de cours les yeux dans le vide et le stylo entre les doigts. Ma tête est clairement ailleurs même si je ne veux pas me l'avouer et je deviens parano, avec tous ces regards dans ma direction. J'ai l'impression qu'on me fixe sans arrêt, guettant mes moindres faits et gestes. Je viens de me rappeler pourquoi je ne m'aime pas me retrouver devant.

La discussion de toute à l'heure tourne en boucle dans ma tête. Certes, je ne m'attendais pas à ce qu'il m'avoue ses sentiments profonds. Mais quand même ! Il aurait pu dire les choses autrement. Et il me voit sérieusement comme une bite sur pattes ? Un gode vivant ? J'arrive pas à croire qu'il m'ait dit ça.

Pourquoi suis-je resté sans réaction ? Non, je n'ai fait que rester là, figé comme une statue, ne sachant pas quoi répondre. Je suis vraiment un gros con. Et lui, un pauvre type. Il y a deux soirs, il s'endormait littéralement dans mes bras et aujourd'hui, il me rabaisse plus bas que terre.

Mu par un instinct soudain, je me retourne. Nos yeux se croisent et il ne bronche pas. Il a les bras croisés sur sa poitrine, les jambes écartées. Il n'a pas l'air bien intéressé par le cours. Je me tourne à nouveau et me force à reporter mon attention sur Mr. Martin. Peine perdue. Mon incompréhension se transforme peu à peu en une colère d'abord retournée contre moi-même avant d'être projetée sur sa belle gueule d'ange. J'aurai bien aimé lui faire ravaler son sourire de vainqueur, l'encastrer dans le mur, lui défoncer le cul...

Le stylo que je tenais entre mes mains glisse entre mes doigts, roule sur ma table et finit sa course au sol dans un bruit assourdissant à mes oreilles. Certains lèvent les yeux dans ma direction. Je me penche pour le ramasser et en me relevant, je ne peux pas m'empêcher de le regarder une seconde fois. Son stupide sourire de blanc-bec pété de thunes flotte sur ses lèvres.

Je vais me le faire.

XXX

— Vous vous entendez bien avec Arthur, je suis content pour toi, lancé-je, l'air de rien, à ma sœur assis à côté de moi dans le bus.

Elle hoche la tête.

— Oui. Il est vraiment gentil avec moi. Et avec toi aussi, rajoute-t-elle en me regardant. Malgré ton fichu caractère.

Je lève les yeux au ciel.

— Ça va, je suis pas un tortionnaire non plus.

— Mouais. Encore heureux.

Je laisse un silence s'installer avant d'enchaîner :

— Et niveau cœur, il n'y a rien que tu voudrais dire à ton frère jumeau préféré ?

— T'es le seul, Oscar, répond-elle, faignant le sarcasme. Et non, pourquoi tu me demandes ?

— Je sais pas, comme ça. Aucun garçon te plaît ? Une fille, peut-être ?

— Non pas vraiment. Enfin je veux dire, Chloe est toujours aussi belle. Et Myriam aussi, tu sais la métisse.

— Ma sœur serait-elle dans ma team aussi ? m'exclamé-je avec un air exagéré.

— Tais-toi, Oscar, tu me fatigues. Non, personne me plaît. Pourquoi tu veux me caser à tout prix ?

Je reprends mon sérieux.

— Je ne veux pas te caser. Je veux juste te rappeler que je serai toujours là pour te supporter et que tu peux faire confiance à ton frère aîné. Alors si tu as des problèmes sentimentaux, tu peux me dire.

— Parce que toi tu me fais confiance ?

Touché. Je ne sais pas quoi répondre et elle en profite pour lâcher un « t'es chiant » avant d'enfouir ses écouteurs dans ses oreilles, mettant fin à la conversation. J'abandonne pour ne pas m'engager sur un terrain glissant. Je l'ai pas joué assez fin, finalement. C'est vraiment une journée de merde, aujourd'hui.

24.01.21

Appartement 32, étage 3, HLM B, Quartier de Barking & Dagenham, LONDON – 1:07am.

Le cliquetis du briquet perce le silence de ma chambre et bientôt, un point rouge incandescent illumine mon visage fatigué.

J'ouvre ma fenêtre et m'installe sur le rebord. Je tire une taffe de mon joint, retiens la fumée quelques instants dans ma gorge avant de l'expirer doucement. Ça faisait longtemps que je n'avais pas fumé. Je compte dans ma tête. Seulement un peu plus d'une semaine ?! Il faut que je me calme un peu, quand même.

En même temps, c'est de la faute de Liam. Depuis que je le connais, je fume beaucoup plus. Ce petit con.

J'ai beau me repasser le film dans la tête toute la journée, je ne comprends toujours pas. Pourquoi m'a-t-il dit ça ? Le pensait-il vraiment ? Oui. Liam dit toujours ce qu'il pense et je ne vois pas pourquoi il m'aurait menti. J'ai toujours dit qu'il fallait me méfier de ces gosses de riche et moi le premier. J'ai juste baissé ma garde alors que j'aurai pas dû.

Je tire machinalement sur ma cigarette. Ça ne sert à rien d'être agacé. Après tout, je m'en tape de lui. Certes, il n'aurait pas dû me parler comme ça. Mais c'est trop tard et ce serait ridicule de le remettre à sa place maintenant. Je passerais juste pour un idiot qui semble faire une fixette sur son plan cul d'un soir et qui se rappelle qu'il a une fierté. Non, je vais laisser couler. Tant pis.

J'embrasse du regard la nuit étoilée et resserre mes bras sur mon torse. J'aurai dû mettre un t-shirt mais j'ai la flemme de bouger maintenant. À la place, je tire sur mon joint et laisse la fumée me réchauffer.

Au loin, une sirène de police me parvient jusqu'aux oreilles et un chien aboie dans le quartier. Les immeubles autour de moi brillent par endroit. Certains oiseaux de nuit comme moi ne dorment pas encore.

Je baisse le regard sur mes pieds nus et bouge les orteils pour m'amuser. J'entame une fausse mélodie en battant le béton en rythme. Je souris puis arrête soudainement quand je reconnais l'air de la musique. Putain, il fait vraiment chier.

Je relève la tête et mes yeux percent la noirceur devant moi comme un puissant faisceau laser. Il veut jouer à ça, très bien. J'ai retenu la leçon et je suis un peu bon petit élève : je ne referai pas deux fois la même erreur.

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