Chapitre 21 - Liam

9 minutes de lecture

27.02.22

Wymountain school, LONDON – 3:23pm.

Je lève une énième fois les yeux sur la pendule accrochée au-dessus du tableau, bien que j'ai l'heure numérique sur ma tablette posée devant moi qui me sert de support, et étouffe un soupir de désespoir ; il reste sept pauvres minutes avant que le cours ne s'achève mais Mr Brandt semble économiser la moindre seconde pour finir son cours. Surtout qu'il nous a promis de nous rendre enfin les notes de nos exposés qu'on avait fait il y a deux semaines. La classe contient tant bien que mal son effervescence, c'est une note importante qui impactera fortement notre moyenne, d'autant plus que le semestre se termine bientôt.

— Bien, nous allons nous arrêter là. Je vais maintenant passer à la distribution des synthèses de vos exposés.

Un brouhaha s'élève mais il continue, imperturbable.

— Comme vous devez vous en douter car on arrive à la fin du semestre, cet exposé était le dernier projet qui pouvait donner un coup de pouce à votre moyenne voire la sauver, ou bien la faire plonger. (Il se saisit d'un paquet de feuilles sur son bureau) Je ne ferais aucune remarque, vous tirerez vous-mêmes les conséquences de votre travail.

Il commence à circuler entre les rangées et distribue les copies en appelant à haute voix les élèves. On retient tous nos souffles car on sait que Mr Brandt à la fâcheuse tendance à rendre les évaluations par ordre croissant des notes. Autrement dit, le premier qui reçoit sa copie a la plus médiocre note et ainsi de suite. Ce que je déteste par-dessus tout, même si c'est rare que je fasse partie des premiers. Je réussis toujours à m'en sortir en révisant au dernier moment.

Les premiers gémissements de désespoir arrivent et on chuchote derrière moi. Je suppose qu'il n'y ait pas allé de main morte quand il a noté. Quelques instants plus tard, Tobias reçoit sa copie et je lui adresse un regard interrogateur.

— Ça va, je m'en sors bien, fit-il dans une petite moue. Quatre-vingt-cinq.

Il me montre sa copie.

— Liam, marmonne Mr Brandt en déposant ma copie devant moi.

Je murmure un rapide remerciement et souffle de soulagement. Quatre-vingt-dix. Ma moyenne ne sera pas impactée.

Je relève la tête : les jumeaux ne devraient pas tarder à recevoir leurs synthèses. Sachant que c'est un travail en groupe, on devrait avoir la même note. Effectivement, le prof tend une feuille à Oscar. Puis, Chloe et Luna reçoivent la copie et nous lisons sur leurs lèvres : quatre-vingt-six et quatre-vingt-dix-sept. Il était évident qu'en se mettant en binôme avec Luna, Chloe obtienne une bonne note. Ma meilleure amie n'aurait pas toléré moins.

— Et enfin, Sarah, s'exclame Mr. Brandt. Je tiens à te féliciter, tu as obtenu la meilleure note de la classe, tu as fait un très bon travail. Comme quoi, peu importe d'où on vient, il suffit de travailler pour réussir à dans notre établissement.

Je jette un coup d'œil à Luna : je comprends à sa tête qu'on va passer le quart d'heure suivant à se plaindre et surtout à frémir de rage. Elle ne va pas aimer que Sarah ait obtenu mieux qu'elle, elle qui a toujours été au-dessus de tout. Pas aimer du tout.

— Comment ça, elle a eu plus que moi ? rugit Luna à peine sortie à l'air libre.

Je suis étonné, elle a réussi à tenir jusqu'à ce qu'on sorte du bâtiment.

— Elle n'a fait que réciter ce qu'elle avait mémorisé par cœur, sa présentation était fade et, sans vouloir te vexer Tobias, interviewer un magnat de l'immobilier n'a rien de bien passionnant.

— Penses-tu, tu ne me vexes pas... marmonne Tobias tout bas, ce qui nous arrache un sourire, à moi et Chloe.

Mais Luna était partie dans un monologue inarrêtable et dans ces moments-là, elle n'écoutait personne d'autre qu'elle.

— Alors que nous, nous avons parlé de la mère de Chloe ! Enfin quand même, une femme à la tête d'un domaine viticole qui gère des dizaines d'hectares et des centaines d'ouvriers à elle tout seule !

Chloe fait une mimique condescendante et cette fois-ci, nous ricanons. Luna nous lance un regard noir.

— Riez maintenant, mais vous pleurerez quand elle prendra votre place dans l'école que vous vouliez. Je suis sûre que Mr Brandt a fait exprès de lui attribuer la meilleure note pour donner une bonne image du lycée. Vous avez l'entendu quand il dit que l'établissement offrait sa chance à tous ? Il faisait juste sa pub, Sarah va raconter à sa mère qu'elle a obtenu la meilleure note et sa mère s'en vantera à tout le monde dans son quartier de débauché, fière comme un paon, et Mr Brandt aura réussi son coup !

— Tu ne crois pas que tu vas un peu loin là, quand même ?

Je dois avouer que sur le principe, elle n'a pas tort. Chacun aurait dû avoir la même note que l'autre dans le binôme puisque c'est un travail collectif. Oscar a reçu sa note après moi et même si l'écart ne dot pas être bien grand, il a quand même eu plus que moi. Alors que je considère avoir fait ma part du boulot aussi bien que lui.

Luna me fixe et renifle dédaigneusement.

— Vous verrez bien quand j'aurais raison. Tiens d'ailleurs, regardez qui sors.

Oscar et Sarah passent les portes automatiques du lycée. Ils se parlent et, vu le sourire pendu aux lèvres de Sarah, je me doute que c'est à propos de sa note obtenue à l'exposé. Luna a dû en venir à la même conclusion car je la sens se crisper. Heureusement que nous sommes assez loin d'eux où elle aurait été capable de se jeter sur elle.

Ils remontent le chemin sans nous voir et, arrivés au parking où les attend le bus qui les ramènera chez eux, Oscar et Sarah se séparent. La jumelle grimpe dans le bus tandis que son frère se dirige vers l'étendue d'herbe devant le lycée. Je fronce les sourcils ; ils ne se quittent jamais d'habitude et encore moins après les cours.

Je ne lâche pas du regard alors qu'il s'approche d'une table de pique-nique. Un gars est assis dessus et lorsqu'Oscar s'approche, il relève le nez de son téléphone et descend de son perchoir. Leur poignée de mains me paraît bien plus chaleureuse que ce que les convenances nécessitent.

— Vous le connaissez ? lâché-je à mes amis d'une voix sèche.

— Qui ?

— Le gars avec Oscar.

— Il ne me dit rien, répond Luna.

Etrange. Très étrange. Luna connaît tout le monde sur le campus. Et tout le monde la connaît.

— Il ne porte pas l'uniforme du lycée, fait remarquer Chloe.

Et en effet, il n'a pas l'air de faire partie de nous. Ses cheveux coupés courts et sa barbe de quelques jours lui donne une allure négligée, relevée par ses vêtements, ou plutôt son jogging gris. Même de là où je me trouve, je peux voir qu'il n'est clairement pas Anglais. Ainsi, il viendrait du quartier d'Oscar.

— On peut me dire ce qu'il fout par ici ?

Luna a dû en arriver à la même conclusion.

— Je vais aller lui toucher deux mots, moi. Voilà ce que c'est d'ouvrir la porte du lycée à n'importe qui. Bientôt, on va finir envahi par tous ces gens-là.

Je la retiens par le bras.

— Attends Luna. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de faire un scandale maintenant. Ça va te retomber dessus, il n'a rien fait de mal.

Luna est têtue, mais pas idiote. De toute façon, ils s'apprêtent à s'en aller : Oscar et l'autre gars se mettent en marche. Alors qu'ils se trouvaient à une distance respectable l'un de l'autre, le type se rapproche de lui et pose le bras sur ses épaules. Puis, devant mon regard effaré, il glisse la main le long du dos d'Oscar avant de s'attarder sur ses hanches puis de le lâcher.

— Je crois que tu t'es trompé, Liam. Il ne semble pas te manger dans la main autant que tu le pensais, marmonne Tobias, hésitant.

Je ne décroche pas le regard de l'endroit où ils ont disparu. Ma mâchoire se contracte sous l'effet de la colère.

C'est qui ce type ?

XXX

27.02.22

24 Paradise Street, Quartier de Southwark, LONDON – 9:13 pm.

Je fait tourner ma feuille de salade dans mon assiette avec ma fourchette et me perds dans ses striures vertes. Mais mon cerveau tourne à plein régime.

— Liam chéri, ne joue pas avec la nourriture, s'il-te-plait.

Je lève les yeux au ciel.

— Oui, maman.

— Quelque chose te tracasse ? C'est le lycée ?

Cette fois-ci, je relève la tête et manque de lui rire au nez.

— Parce que tu crois vraiment que je me soucie du lycée ?

— Tu devrais, tonne mon père. Je te rappelle que ton avenir dépend de tes résultats, mon garçon. Et je ne t'ai pas envoyé là-bas pour que tu échoues.

— Et je n'échouerai pas, papa, réponds-je d'une voix mielleuse, sinon je sais ô combien ta réputation en pâtira. C'est bien pour ça que je sais que tu feras tout pour que je réussisse.

Il m'assassine du regard, comprenant facilement le sous-entendu mais sans doute la présence de l'enfant prodige assis à côté de lui – Eric –, l'empêche de me sermonner comme il le voudrait. Il a toujours été plus clément quand Eric était là.

— Donc, quelque chose te tracasse bel et bien, reprend ma mère après un silence, heureuse d'avoir su lire en moi, pour une fois.

— Rien que tu puisses remédier, lâché-je.

— Tu es sûr ? Tu sais que tu peux tout me dire, Liam.

Par miracle, je croise le regard de mon frère et le supplie silencieusement de me venir en aide.

— Au fait, j'ai reçu un dossier du cabinet américain tout à l'heure. Ils me demandent mon avis et puisque c'est en rapport avec une société immobilière, je me suis dit que tu pourrais y jeter un coup d'œil, papa.

Je le remercie silencieusement. Mon paternel essuie ses lèvres avec sa serviette avant de répondre, le visage radouci :

— Si tu veux, mais je ne suis pas sûr d'être une grande aide. Je ne comprends rien au jargon juridique que tu utilises.

Pour un peu, j'aurais presque envie de le prendre dans mes bras. Pauvre Philipp, il y a quelque chose en ce bas monde qu'il ne maîtrise pas.

S'en suit une discussion sur le sujet préféré de mon père, ce qui me laisse tout le loisir de me couper du monde et de mettre de l'ordre dans mes pensées.

Qui diable était le gars avec Oscar ? Il va sans dire que ça doit être une connaissance de son quartier, un voisin d'appartement peut-être. Mais jamais en deux mois depuis que les jumeaux sont ici, quelqu'un est venu les chercher à la sortie des cours, pas même leur mère. J'ai bien déjà entendu Oscar parler de certains de ses amis, mais même si je n'ai jamais mis les pieds dans ce monde -à, je doute qu'on s'autorise à être aussi tactile avec un autre homme. Certes, Oscar vit son homosexualité en plein jour et ne s'en cache pas, mais il ne le crie pas non plus sur tous les toits, bien moins que moi. Et je ne connais personne qui poserait une main là où le type l'a posé, à moins d'être proche. Et aux dernières nouvelles, Oscar n'est pas en couple. Je ne pense pas que ce soit du genre à tromper son partenaire et au souvenir de la soirée en boîte de nuit il y a une vingtaine de jours, il avait très envie de moi. Mais maintenant que j'y repense, nous nous sommes très peu adressé la parole depuis, et encore moins à propos de ce qu'il s'était passé entre nous. Je pensais qu'au contraire, cela nous rapprocherait – enfin, le rapprocherait de moi – mais rien de tout ça. Je vrais presque croire qu'il m'ignore.

Je sors alors mon téléphone de ma poche et décide de consulter les réseaux sociaux d'Oscar. Tous les moyens sont bons pour parvenir là où on le souhaite.Tiens, le vieux serait fier de moi, je tiens ça de lui.

— Liam, pas de téléphone à table, soupire ma mère. Je te vois sous la table.

— Ça tombe bien, j'ai terminé, annoncé-je en me levant.

— Mais tu n'as rien mangé !

— Je descendrai quand j'aurai faim.

Et avant qu'elle ne puisse rétorquer quelque chose, je m'enfuie de la pièce et grimpe jusqu'à ma chambre. Enfin en paix, je fouille les réseaux sociaux d'Oscar. Mais après plusieurs minutes de vaines recherches, je dois m'avouer vaincu : rien ne me saute aux yeux et je n'ai clairement pas la foi d'aller fouiner en profondeur.

Je n'ai plus qu'à attendre que les choses se fassent, je finirai bien par connaître la vérité et je compte sur mes amis pour m'aider, surtout Luna.

Il faut que je sache tout de ce type et que je m'en débarrasse à tout prix ou sinon, tout tombera à l'eau.

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