Chapitre 22 - Oscar

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03.03.21

Quelque part, LONDON, 03:12 pm.


Les yeux fermés, je tente de reprendre ma respiration et de calmer les battements de mon cœur affolés. J'ai chaud, je sens la moiteur collée à ma peau. Mes halètements résonnent à mes oreilles alors que mon cerveau plane à cent lieues de là, perdu dans les volutes de la satisfaction pleine et entière. Un froissement à côté de moi et deux lèvres sur les miennes me font reposer les pieds sur Terre.

— Je file à la douche, murmure une voix masculine avant que le lit ne soulève, signe qu'un de ses locataires est parti.

J'ai tout juste le temps d'ouvrir un œil pour apercevoir Mathieu nu qui s'enfuit de la chambre. Je referme les yeux, un sourire béat aux lèvres, l'image de ses fesses recouvertes d'un duvet léger en tête. Le bruit du robinet qu'on ferme me fait émerger de la torpeur dans laquelle mon cerveau sombrait. Je me tourne pour avoir la porte dans mon champ de vision et coince un bras sous mon visage. Elle s'ouvre quelques secondes plus tard, Mathieu se révèle à moi, les cheveux mouillés, la barbe et une serviette violette autour de la taille.

— Quoi ?

— Rien.

Il s'installe de l'autre côté du lit, ouvre la fenêtre et allume la cigarette qu'il tenait entre les doigts.

— Ça va ?

Il recrache rapidement sa bouffée pour me répondre :

— Oui, et toi ?

Je hoche la tête et le regarde tirer une nouvelle fois.

— Je regrette de ne pas t'avoir connu plus tôt.

Je me redresse, pas sûr d'avoir bien compris.

— Pourquoi ?

Il hausse les épaules.

— Je sais pas. Ça m'aurait évité de baiser avec des gars qui ne savait même pas me donner la moitié du plaisir que tu me donnes.

— J'avoue que c'est embêtant.

Il sourit à son tour.

— C'est aussi un peu de ma faute, j'ai accepté beaucoup de choses.

— Comme quoi ?

— Des choses et d'autres. Je ne sais pas pour toi, mais pour moi, c'est facile de trouver quelqu'un avec qui baisait.

— Pourquoi ? répété-je.

— Il se tourne pour me regarder, un sourire embarrassé aux lèvres.

— Tu sais très bien ce que je veux dire. Soyons réalistes deux minutes : tout est question que de physique dans notre milieu. Et moi, je cumule les bonus.

J'ouvre la bouche dans une exclamation muette. Je comprends où il veut en venir.

— T'as fait l'objet de fantasmes ?

Il grimace.

— Je ne dirais pas ça. Mais c'est vrai que mes origines, ma position au pieu et même mes fringues, n'aident pas. L'image du mec de cité discret...

— Tu penses qu'on a souvent été intéressé par toi que pour ça ?

— Il doit bien y en avoir dans le lot.

Il écrase sa clope sur le rebord de fenêtre avant de la jeter dans la poubelle et de s'allonger dans le lit. Je passe un bras sous sa nuque et il se cale contre mon épaule.

— Le pire, ce sont pas les vieux trop insistants ni les blancs qui veulent me baiser, ce sont les mecs comme moi. Ils veulent prouver qu'ils sont différents, qu'ils ne sont pas comme ça, et ils se vengent sur moi.

Je me redresse brusquement pour le regarder dans les yeux.

— Tu as été... ? Soufflé-je en n'osant pas continuer ma phrase.

Il fuit mon regard.

— Non. Enfin, je ne pense pas. J'aurais juste voulu que ce soit différent. Fait d'une autre façon. Je regrette oui, mais on a tous des mauvaises expériences, non ?

Son regard plonge dans le mien et ce que j'y lis me rend mal à l'aise.

— Enfin, bref, c'est du passé, lance-t-il vivement.

Il bouge pour se dégager de mon emprise et je le laisse faire, ne sachant que faire. Il s'assoit sur le bord du lit et se perd dans la contemplation du mur blanc.

— Mathieu, je n'ai jamais couché avec toi parce que tu étais...

— Je sais, Oscar, me coupe-t-il avant que je ne finisse. Sinon tu ne serais pas là, aujourd'hui. Ces gens-là ne couchent qu'une fois. Et je ne peux pas croire que tous les gars que je rencontre sont comme eux, sinon, je ne pourrais plus voir, personne.

Je hoche la tête parce que sa remarque n'amène rien d'autre qu'un assentiment. Je m'assois à côté de lui.

— Je vais prendre ma douche aussi, m'exclamé-je parce que j'ai besoin de briser le silence.

Il me retient par le bras alors que je me lève.

— Non, vas-y pas. J'aime bien sentir ton odeur après qu'on l'ait fait, m'avoue-t-il à voix basse.

Je souris, à moitié moqueur.

— Quoi ? Tu aimes l'odeur de ma transpiration ?

Il fronce les sourcils mais sa grimace le trompe.

— Ta gueule.

— Ah ouais ? Tu oses me dire ça ?

Je saisis ses poignets pour le faire basculer sur le lit. Surpris, il se laisse faire et je glisse une main sous la serviette qu'il porte toujours pour toucher son sexe. Une lueur illumine ses yeux et j'arrache la serviette qui ne tenait plus qu'à un fil pour coller mon bassin au sien afin qu'il sente à son tour mon désir contre ses reins. Il dégage une de ses mains et tire ma nuque à lui pour m'embrasser à pleine bouche.


03.03.21

Belmarsh Prison, LONDON – 05:42 pm.


Le bruit caractéristique du déverrouillage de la perte se fait entendre et mon père fait son entrée dans le box, encadré par deux gardes. Ils libèrent une de ses menottes pour l'attacher à la barre fixée sur le pupitre. Durant toute l'opération, mon paternel a les yeux rivés sur moi et ses rides au coin sont plissées par le grand sourire qu'il me fait. Je ne l'ai jamais vu aussi souriant en cinq ans qu'il est enfermé dans ce trou à rat. Je pressens ce qu'il doit m'annoncer. Malgré son impatience visible, il attend que les gardes sortent pour saisir le téléphone comme si les caméras n'étaient pas braqués sur nous.

— Mon fils, tu vas pas y croire ! S'écrie-t-il et je réprime mon geste instinctif de reculer le combiné de mon oreille. Mon avocat a eu une audience avec le juge, je sors à la fin du mois ! Tu te rends compte ? C'est génial ! J'vais enfin être libre, depuis le temps que j'attends ça. Bien sûr, je devrai quand même faire des séances chez le doc, 'fin j'ai pas bien compris, je dois être suivi et tout ça mais c'est pas le plus important. Il faudra aussi que j'trouve un logement c'est sûr et...

Mon cœur tambourine si fort dans ma poitrine que je n'arrive pas à suivre ce que mon père déblatère. La fin du mois... C'est si proche. Je sais, c'est mal, mais j'avais pensé que j'aurais plus de temps avant qu'il ne sorte, pour me préparer à tout ça et surtout, pour le dire à maman et Sarah. Elles ne doivent sans doute pas être au courant, ma mère a refusé de signer les papiers pour rester en contact avec lui et être tenue informé.

— … maman et Sarah ?

Je relève les yeux sur mon père.

— Quoi ?

— Tu penses qu'elles voudront me revoir ?

Ses coudes sont appuyés sur la table et il a rapproché son visage comme si ce qu'il me disait est intime. Son regard posé sur moi brille d'espoir. Il attend ma réponse.

— Je... je ne sais pas, papa. Tu leur a fait beaucoup de mal.

— Je sais tout ça et j'le regrette énormément. Tu leur as dit que j'le regrettais ?

— Oui, je leur ai dit. Mais ça n'a rien changé. Maman est toujours en colère contre toi et Sarah...

Je fais une grimace et il baisse les yeux. Soudain, j'ai l'impression qu'il vient de prendre dix ans de plus, vouté sur lui-même et le visage meurtri par toutes ces années d'enfermement, il me fait beaucoup de peine.

— Tu sais ce qui m'a fait tenir, reprend-il d'une voix basse, quand j'étais au plus bas, quand on me cherchait des noises et que je ne bronchais pas pour pas aggraver mon cas ? C'est vous, Oscar. Ta sœur et toi. C'est d'imaginer un jour que je pourrai vous serrer dans mes bras, à nouveau. De voir à quel point ta sœur a grandi et qu'elle est devenue une belle jeune femme. La dernière image d'elle que j'ai, c'est son visage noyé sous les larmes. Tu comprends Oscar ?

Il lève la tête et j'avale la boule qui s'est formée dans ma gorge.

— Elles me manquent.

— Pourquoi tu as fait ça, alors ? Pourquoi tu nous as abandonné ?

Ma voix s'est élevée et je vois mon père flancher.

— Je suis désolé, Oscar, tellement désolé. Je veux rattraper le temps perdu, être là pour vous deux, je veux que vous sachiez que vous pouvez compter sur moi.

Il pose la paume de sa main sur la vitre crasseuse du boxe.

— Je vous aime. Laisse-moi une seconde chance.

Je me mords les lèvres pour réfréner mes larmes. Je me suis promis de ne plus jamais pleurer devant lui, dans ce box sordide. Je lève mon bras et calque ma main sur la sienne. Son visage s'illumine et une larme perle au coin de ses yeux.


XXX


— Je suis allé voir papa tout à l'heure.

Aussitôt, les bruits des couverts se taisent. Je continue à triturer ma nourriture avec le bout de ma fourchette pour ne pas à avoir à affronter leurs regards électriques.

D'accord, répond ma mère d'une voix atone.

Elle attend que je continue. Elle sait que je n'aurai jamais pris le risque de parler de mon père à table si ce n'était pas pour une bonne raison. Une très bonne raison.

— Il va bien, commencé-je pour retarder le plus possible le moment fatidique.

Cette fois-ci, ni ma mère ni ma sœur ne répond. Je prends une grande respiration et relève la tête :

— Il m'a dit que le juge avait autorisé sa remise en liberté pour bonne conduite. Il sort à la fin du mois.

Le visage de ma mère n'exprime aucune émotion. Elle se contente de me regarder mais glisse une main sous la table.

— Quoi ?

Je tourne la tête vers ma sœur à côté de moi. Au contraire de maman, il est facile de voir ce qu'elle ressent.

— Ça fait quelque temps qu'il envisageait de sortir avec son avocat. Il voudrait nous revoir quand il sera libre.

— Après tout ce qu'il nous a fait ? Il veut reprendre sa place de père dans notre vie alors qu'il nous a lâchement abandonné, que maman a dû se débrouiller toute seule pour qu'on puisse vivre ? Il nous a laissés dans la merde !

— Sarah, vocabulaire, intervient ma mère pour la première fois depuis mon annonce.

— Tu peux pas la laisser faire, maman !

Elle se tourne vers elle. Je reste sans voix. Je n'avais pas pensé que ce soit Sarah qui réagisse comme ça, elle a toujours su que j'allais le voir et elle n'avait jamais montré d'animosité envers papa même si elle ne voulait pas que je lui raconte mes visites.

Les yeux de notre mère passent de ma sœur à moi et ses lèvres se muent en un triste sourire.

— David est votre père, que vous le vouliez ou non, mes enfants. Mais je suis votre mère. Et je vous jure que je ferai tout pour qu'il ne vous fasse plus jamais de mal.

— Ça veut dire quoi ça ? s'écrie ma sœur. Que tu acceptes qu'il revienne dans nos vies comme s'il s'était rien passé ? Comme s'il ne les avait pas détruites ? On ne peut pas lui faire confiance, tout ce qu'il sait faire, c'est tout briser : notre famille, nous, notre monde.

— Sarah, ma chérie, sa libération était inévitable, même si vous le voyez comme un monstre, ça n'en est pas un. Il ne mérite pas de rester toute sa vie en prison.

— Si, il le mérite, crache ma sœur en se levant de table.

Sa colère fait vibrer sa voix. Des larmes coulent le long de ses joues. Elle jette un regard de haine sur moi et maman.

— Vous me faites vomir.

— Sarah ! crié-je alors qu'elle quitte la pièce.

— Laisse, me retient ma mère.

La porte de sa chambre claque.

— Mais tu peux pas la laisser te parler comme ça !

Ma mère pose sur moi un regard doux mais je peux voir qu'elle est aussi bouleversée que nous. Elle prend ma main dans la sienne et la caresse du pouce.

— Vous êtes ce que j'ai de plus cher au monde. Et pourtant, je n'ai pas su vous protéger.

— Ne dis pas ça ! m'horrifié-je. C'est faux, et tu le sais, tu as toujours su faire ce qu'il fallait pour nous. Tu as pas hésité à prendre deux travails quand on était au plus bas et...

— Tu étais trop jeune quand ton père a été arrêté. Je ne sais pas si tu te souviens quand les policiers sont venus chez nous chercher David, du choc que ça a été pour ta sœur et pour toi.

Elle a raison, mes souvenirs sont flous de cette époque-là. Je me rappelle juste que j'ai vu mon père partir avec eux, menotté.

— Ta sœur l'a très mal vécu, reprend-t-elle d'une voix douce. Elle était proche de papa, bien plus que tu ne l'étais, en vérité. Elle a énormément souffert de tout ça, et encore aujourd'hui, je ne sais pas comment elle a fait pour réussir à garder la tête hors de l'eau. Ta sœur est est une battante, et même si notre monde fait tout pour écraser les gens comme elle, elle reste forte. Aujourd'hui, elle est juste bouleversée par tout ça, c'est comme si son monde s'écroule à nouveau. On ne peut pas lui en vouloir, tu comprends ?

Je sens une larme glisser sur ma joue et l'essuie du revers de la main.

— Mon bébé...

— Moi aussi, j'ai souffert.

Ma voix se brise sur les derniers mots.

— Oh, Oscar, je sais bien !

Elle tend ses bras et j'enfouis mon visage dans son pull pour étouffer mes sanglots incontrôlables. Je sens sa main caresser mes cheveux mais je n'entends pas ce qu'elle chuchote à mon oreille. Malgré notre position inconfortable, elle se met à me bercer comme lorsque j'étais enfant et mes larmes redoublent d'efforts.

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