Les dix baisers du Gobelin

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Il était une fois, un Gobelin prénommé Râna souhaitant devenir humain.

Comme il avait toujours été sage, la Reine des Gobelin lui accorda son souhait.

Avec ses immenses pouvoirs magiques, elle parvint à lui donner l'apparence d'un humain au physique magnifique. Elle le dota de muscles ciselés et forts, de mains travailleuses, d'une peau au teint hâlé, de grands yeux couleurs de feu, d'une chevelure noire comme la nuit, d'un nez fin et d'une bouche envoûtante.

Râna se regarda dans le reflet d'un miroir du palais et fut stupéfait. Il remercia la Reine avec le plus grand respect.

« Ne me remercie pas Râna, répondit-elle tendrement. Écoute attentivement tout ce que je vais te dire, c'est très important. »

Ils prirent place sur des fauteuils et Râna lui fit signe qu'il l'écoutait.

« Pour devenir humain, tu dois recevoir dix baisers humain afin d'apprendre leurs émotions. Tu devras les envoûter à chaque fois afin qu'ils coopèrent, pour cela, je vais te transmettre des pouvoirs que tu ne devras utiliser qu'à cet effet. Si par malheur tu ne prends pas les dix baisers et tu utilises les pouvoirs à mauvais escient, tu reviendras dans notre monde et y seras enfermé à jamais. Je compte sur toi pour être sage, comme tu l'as toujours été. La possibilité de se transformer en humain n'arrive qu'une fois dans la vie d'un gobelin.

- Oh ma Reine, merci ! Cependant, l'envoutement et les baisers feront-ils du mal aux humains ? s'enquit-il.

- En aucun cas, le rassura-t-elle. Ils vivront cela comme un rêve ou un souvenir. Tu auras des humains attribués, je te révèlerai leurs identités au fur et à mesure de ta quête. Les pouvoirs te serviront aussi à te téléporter d'un endroit à un autre sans que personne ne remarque ta présence, ou si tu te retrouves dans une situation dangeureuse. Si tu as besoin de mes conseils, il te suffira de m'appeler par la pensée et je te répondrais ou te rejoindrais sur place.

- Bien ma Reine, je vous remercie de tout cœur... s'inclina-t-il. »

La Reine lui prit la main et le téléporta jusque dans le monde des humains. Elle le laissa à l'entrée d'une petite ville et repartie aussitôt, lui laissant le portrait d'un bucheron.



Il était un fois, un jeune palefrenier et serveur dans une auberge ne supportant pas les humains. Travailleur, intelligent et doté d'un caractère fort, il avait été tellement déçu et trahi à maintes reprises qu'il n'avait plus confiance en personne. Il avait pour passion la lecture et pour seul ami, le jeune libraire de la ville. Ils s'entendaient tous deux à merveille et passaient de bons moments à lire, à se raconter des histoires et à boire de temps en temps, du vin à l'auberge.


Un soir, en sortant les détritus à l'arrière de l'auberge, le jeune Alban vit, de ses yeux azurs, un homme embrasser le bucheron. Choqué car il savait celui-ci marié, il rentra prestement dans la cuisine, se répétant qu'il n'avait rien vu.

Pendant ce temps, Râna avala l'émotion du bucheron, le remercia de lui avoir transmit son émotion et lui jura qu'il en ferait bon usage. Puis il disparut d'un claquement de doigts.

Le bucheron cligna des yeux en se demandant ce qu'il faisait dans cette ruelle. Il partit en se frottant la tête et mit son absence sur le compte de la fatigue.


Le lendemain matin après avoir dormi au pied d'un arbre, Râna reçut un cordeau géant venant de son monde. Lorsqu'il déroula le papier, il lut un mot de la Reine et regarda le nouveau portrait.

Hier tu as acquis l'empathie. Félicitation jeune Râna, voilà ta première émotion humaine. Tu trouveras ci-joint le portrait du jeune libraire à qui tu prendras la deuxième émotion. Bonne chance...


Il se mit immédiatement en route mais s'aperçut en arrivant que la librairie ne serait ouverte que l'après-midi. Il partit se détendre à la rivière en attendant. Heureusement, le besoin de se nourrir s'apaisait avec l'énergie de l'eau, mais il comprit qu'une fois humain, il devrait satisfaire sa faim et sa soif.

Râna s'en retourna à la librairie. La nuit commençait à tomber.

Envoûtant le jeune libraire, il lui expliqua ce qu'il souhaitait et l'humain se laissa faire. Il l'embrassa même avec passion, libérant ainsi rapidement son émotion que le gobelin se hâta d'avaler.

Au même moment, Alban franchit le seuil de la librairie et eut une vision d'horreur. L'homme qui avait embrassé le bucheron hier, était en train de posséder son seul et unique ami.

Se remémorant ce qu'il avait subit, il fut pris d'une rage incontrôlable.

La fille dont il était amoureux quelques années auparavant, l'avait trompé et humilié devant toutes les personnes de son village natale. Revenant à lui il frappa Râna au visage.

« C'est à cause de gens comme vous que les humains me rendent malade ! hurla-t-il en saisissant le poignet de son ami. »

Choqué, le Gobelin resta coi et vit les deux garçons sortir prestement de la librairie.

« Tu ne devrais pas embrasser le premier venu Louis ! le sermonna Alban. Il faut toujours bien connaître une personne avant de lui ouvrir ton cœur...

- Mais je ne l'ai pas embrassé, fut-il sidéré. Je ne sais même plus qui était à la librairie... »

Surpris, Alban haussa les épaules. Son ami ne savait plus ce qu'il disait. Pour se remettre de leurs émotions, Alban l'invita à manger à l'auberge avant de rentrer chez lui.


La Reine apparut devant Râna, à l'orée d'une forêt proche de la ville.

« Félicitation Râna, tu as la compassion, sourit-elle. Je suis venue te chercher car rester trop longtemps dans le monde des humains risque de t'affaiblir tant que tu n'auras pas acquis au moins cinq émotions. »

Râna la remercia et ils s'envolèrent dans le monde des gobelins.


Deux jours s'écoulèrent où Alban travailla dur, comme à son habitude. Ce jeune-homme de grande taille, au teint mâte, aux cheveux chatains courts et bouclés, aux yeux couleur ciel de beau temps n'avait que faire de sa silhouette et préférait cultiver son intellect. Chaque jour ou presque il se levait aux aurores. Mangeait peu, quittait sa petite maison aux premiers rayons du soleil, s'occupait des chevaux des voyageurs avant de faire le service à l'auberge jusqu'au soir. Deux fois par semaine il se rendait à la librairie pour emprunter un livre qu'il dévorait avec passion.

Ce matin-là, l'aubergiste le prévint qu'il avait embauché un autre serveur, la belle saison arrivant, le monde affluait de plus en plus.

Il fut surpris de reconnaître l'homme aux mœurs légères et ne put s'empêcher de lui faire la remarque. Ce à quoi le gobelin répondit que cela ne le regardait en rien.

Ils travaillèrent d'arrache-pied toute la journée. L'aubergiste fut satisfait de constater qu'ils formaient une bonne équipe.

Râna était tout aussi satisfait. Ainsi, il proposa à Alban de le raccompagner chez lui.

Se sentant en confiance, Râna lui raconta tout ce qu'il avait vécu, ce qu'il était et ses souhaits pour l'avenir. Alban l'écoutait mais ne le crut pas au premier abord. Cependant, lorsque la Reine apparût devant sa maison, il fut forcé de constater qu'il y avait du vrai dans les paroles du gobelin.

Tendant le nouveau portrait à Râna, la Reine se tourna vers Alban et le pria de prendre bien soin de son protéger. Réalisant ainsi toute l'ampleur de la situation, Alban les invita à entrer chez lui.

« Je vous convie à partager mon modeste repas, proposa-t-il. »

Les deux gobelins le remercièrent et la Reine lui fit jurer de le protéger.

« Dans ce cas, déclara-t-il, en échange de ma protection et de mon aide dans sa quête de devenir humain, je souhaite que Râna travaille en tant qu'humain et préparent nos repas lorsque je m'occupe des chevaux de nos clients.

- C'est entendu, accepta-t-il en lui tendant la main. »

Ils la serrèrent devant une Reine plus que satisfaite.


Ils ignoraient tous trois qu'à cet instant, dans la montagne noire, la ligue des chasseurs et exorcistes des créatures du mal faisait un portrait du gobelin. Ils avaient décidé qu'une exorciste devrait le tuer pour preuve de sa fidélité envers la ligue.


Au petit matin, Alban se leva afin d'aller préparer les chevaux. Quelle agréable satisfaction de voir le déjeuner déjà prêt et conséquent !

Souriant en dévorant son repas, il promit au gobelin de l'accompagner le soir venu chez l'humain qu'il devrait embrasser.

Il s'agissait d'une femme ayant perdu son mari et son fils à la guerre. Alban attendit dehors alors que Râna pénétrait dans la demeure, déployant ses pouvoirs. Il croisa une photo du mari et en prit l'apparence. La femme battit des cils lorsqu'elle vit son amour passer la porte du salon. Assise près de la cheminée, elle se leva chancelante.

« Antoine, tu es revenu ? s'émeut-elle les larmes aux yeux.

- Oui mon aimée, je suis là pour te donner un baiser avant de repartir, sourit-il tendrement. "

Se penchant sur son visage, il posa ses lèvres sur les siennes. Elle entoura son cou de ses bras et approfondit le baiser comme si c'était le dernier.

Absorbant l'émotion, Râna invita la femme à se rasseoir dans son fauteuil avant de s'évaporer.

Ouvrant les yeux, la femme crut avoir rêvé et remercia avec nostalgie, son mari d'être venu la voir.

Apparaissant devant Alban, Râna ne pouvait arrêter les larmes de couler. Ne sachant pourquoi il se sentait très mal, il en fit part à l'humain qui comprit immédiatement.

« Tu as acquis la tristesse, ça va passer ne t'en fait pas, pleure autant que tu le souhaites, compatit-il. »


Sur le chemin pour regagner la petite maison, l'exorciste apparue devant eux. Reconnaissant son aura, Râna sécha immédiatement ses larmes.

« Je suis ici pour te tuer vile créature, rugit-elle. »

Sortant un poignard enchanté, elle s'élança vers le gobelin et fut arrêtée de justesse par le jeune humain s'interposant.

Abasourdi qu'un humain défende une créature du mal, se statufiant, ils en profitèrent pour s'enfuir puis s'enfermer à double tour dans la maison.

Pour le remercier, Râna donna un baiser dans les cheveux du jeune-homme.

Afin de garder contenance, Alban l'accusa de l'avoir hypnotiser car il se sentit chamboulé. Râna nia avoir utilisé ses pouvoirs et s’attela à préparer le repas. Encore sous le choc, Alban décida de mettre en place un plan afin que le souhait du gobelin se réalise, sans qu'il se fasse tuer par l'exorciste.

Le lendemain matin, un corbeau arriva avec un message. La Reine des Gobelins le félicita à nouveau et lui dévoila le portrait du forgeron.

Alban pensa immédiatement que c'était une mauvaise idée.

« Pourquoi cela ? interrogea Râna.

- Le forgeron sur ce portrait est instable émotionnellement. Nous ne savons jamais quelle va être son humeur... Il fait peur à beaucoup de monde. Heureusement qu'il travaille très bien sinon il ne verrait personne...

- Le pauvre... compatit le Gobelin. J'espère que mon baiser n'empirera pas les choses... »

La journée se passa agréablement.

Ils partirent en direction du village voisin, là où vivait le forgeron.

Sur le chemin, l'exorciste apparut. Alban essaya de la convaincre de passer son chemin.

« Protéger les humains en tuant les créatures est mon travail ! s'exclama-t-elle. »

Immédiatement, il s'interposa en prenant Râna dans les bras.

« Je ne sais point pour les autres créatures, déclara-t-il, mais sachez que celui-ci est gentil et sensible. Vous ne m'empêcherez pas de l'aider à réaliser son rêve de devenir humain. »

Lorsqu'il le défendait, Alban avait remarqué que l'exorciste se transformait en statue de sel. Ainsi, il serait facile de lui échapper s'ils procédaient de cette manière à chaque fois.

Rejoignant le village à vive allure pour ne pas être poursuivis, ils entrèrent dans l'atelier du forgeron presque avec fracas.

Celui-ci s'énerva aussitôt mais Râna l'envoûta instantanément.

Se laissant faire, le forgeron donna le quatrième baiser, délivrant une émotion que le gobelin absorba.

Ils sortirent de l'atelier, laissant un forgeron dubitatif, qui ne fut plus jamais de mauvaise humeur...

Néanmoins, Alban remarqua un changement radical dans le comportement de Râna. Celui-ci marchait d'un pas déterminé, les poings et les mâchoires serrés.

Arrivés à la maisonnette, Râna dut faire éclater cette nouvelle émotion et frappa, sans s'arrêter une planche en bois. C'est lorsque Alban intervint qu'il s'aperçut qu'il l'avait fait jusqu'au sang.

L'humain le soigna, et le pansa.

« As-tu enfin calmé ta colère ? demanda-t-il simplement.

- Ce sentiment s'appelle la colère ? interrogeait-il surpris.

- En effet, confirma-t-il. Au vu de ton poing, elle était très forte, rit-il.

- Merci d'être là pour moi, s'émeut Râna dont les battements du cœur s'accéléraient. »

Il eut envie de chérir cet être prenant soin de lui. Alors, se penchant au dessus de la tête de l'humain, le gobelin déposa un tendre baiser sur son front.

Aussitôt, Alban se sentit rougir. Se raclant la gorge, il décida d'allumer le feu dans la cheminé et ordonna à Râna de faire le repas. Celui-ci s'y attela un sourire en coin.

Au matin, un rouleau placé dans un vase, heureusement vide, attendait que Râna le déroule.

La colère est très puissante, tu devras la maîtriser au mieux. Le cinquième et le sixième baisers doivent s’effectuer aujourd'hui pour ne pas t'affaiblir.

Tu devras aller voir cette bergère et ce parfumeur avant le coucher du soleil, sinon, il te faudra revenir dans le monde des gobelins et te recharger pendant un mois. Je compte sur Alban pour t'aider dans cette quête.


Ne souhaitant revenir dans son monde car étant déjà attaché à l'humain, Râna pria Alban de partir au plus tôt pour qu'ils puissent continuer à vivre sereinement.

« Je connais la bergère, l'informa Alban. Allons-y dès maintenant, nous n'aurons plus qu'à aller chez le parfumeur à la pause déjeuner, c'est le voisin de Louis. »

Rassuré, Râna le suivit jusqu'à la ferme à la sortie de la ville. Là, il salua une jeune-femme souriante, assise sur un banc dans sa cour, tenant un agneau dans ses bras.

Alban s'écarta lorsque Râna l'hypnotisa. Se penchant au dessus d'elle, il l'embrassa. Elle souriait en se laissant faire.

Alban eut un pincement au cœur. Il était de plus en plus difficile devoir son compagnon de quête donner des baisers à tous ces gens, cependant il se donna une claque mentale et revint à lui. Leur tournant le dos, il aperçut près du portail l'exorciste.

Maintenant ses poings sur ses hanches, il fronça les sourcils, faisant signe que si elle s'approchait, elle allait voir de quel bois il se chauffe.

Découragée pour cette fois encore, l'exorciste disparut.

Ils quittèrent la ferme et se rendirent à l'auberge. Pendant tout le trajet, Râna était pris de fou-rire, contaminant son compagnon qui comprit qu'il avait acquis la joie.

« J'adore cette émotion ! s'exclama le gobelin en sautillant. »

Alban sourit de toutes ses dents, se demandant qu'elle serait la sixième émotion...

A la pause de midi, ils s'éclipsèrent tout deux rapidement jusqu'à la parfumerie.

Ils trouvèrent le parfumeur assit derrière son comptoir, terminant un mélange de senteurs boisées.

Alban préféra attendre sur le pas de la porte. Le cœur toujours pincé de savoir que Râna posait ses lèvres sur d'autres.

Comme à son habitude, Râna envoûta le parfumeur et se laissa embrasser jusqu'à recevoir l'émotion. Après l'avoir remercié, il sortit rejoindre Alban.

« J'ai envie de te demander quelque chose...

- De quoi s'agit-il ? demanda Alban intrigué.

- Je souhaiterai devenir ton ami, serais-tu d'accord ? s'enquit-il intimidé.

- Avec plaisir, accepta-t-il souriant. »

Râna sauta de joie alors qu'Alban cacha sa déception. Il réalisait peu à peu qu'il souhaitait être plus intime avec le gobelin et non un simple ami.

Retournant travailler, ils croisèrent à nouveau l'exorciste qui s'agaça de ne pouvoir rien faire face à la détermination de cet humain. L'angoisse lui monta à la gorge, réalisant qu'il ne restait plus que quatre baisers au gobelin pour devenir humain.

Du monde était arrivé à l'auberge. Les deux serveurs travaillèrent jusqu'à tard et rentrèrent épuisés.

La Reine apparut alors qu'ils s'attablaient avant d'aller dormir.

« Toutes mes félicitations à vous deux, sourit-elle. Alban, pour protéger Râna, et Râna pour avoir acquis le désir. »

À ses mots, Alban s'étouffa avec sa soupe faisant rire la Reine sous le regard incompréhensif de Râna.

Elle montra le nouveau portrait. Il fallait, avant le lendemain soir, que le gobelin ait embrassé le Duc séjournant à l'auberge.

Alban faillit tourner de l'oeil en voyant le portrait. Il s'agissait d'un Duc aux mœurs plus que légères, qui organisait souvent, disait-on, des orgies de plusieurs jours dans sa grande demeure. Néanmoins, il n'en souffla mot en espérant que l'émotion qu'il transmettrait au gobelin serait sans danger.

Il ne fut, au final, pas surpris, lorsque sortant de la chambre du Duc, Râna lui lança un regard pétillant de malice. Il avait absorbé l’enthousiasme voire l'excitation.

« Je veux être un humain comme toi Alban, j'adore ton sourire ! »

Son vis à vis ne répondit pas. Il prit la fuite, les joues rosies et le cœur attristé.

Il ne savait plus comment se comporter. Plus le gobelin avait d'émotion et plus il lui plaisait...


Le lendemain, Alban demanda à Râna d'aller chercher une miche de pain chez le boulanger. Il s'y rendit aussitôt. Entrant dans la boulangerie, il vit la boulangère exposant le pain encore chaud.

C'est elle ton huitième baisers, souffla la Reine dans la tête du gobelin.

Après avoir payé le pain, il l'envoûta et prit son émotion en la remerciant toujours très poliment.

S'évaporant de la boutique, la boulangère cligna des yeux, pensant avoir rêvé.

Alban le rejoignit à l'auberge, lui demandant quelle émotion il ressentait, Râna ne sut répondre.

Le soir venu, lorsque le jeune libraire vint les inviter à boire du vin, le gobelin eut un pincement au cœur. Les deux amis s'entendaient très bien et il se sentit mal. Voir Alban beaucoup rire alors qu'il ne lui souriait pas autant lui donna envie d'être colère. Cependant, il essaya de ne rien laisser paraître et fut ravi lorsqu'ils décidèrent de se séparer.

Alban était légèrement grisé par l'alcool. Arrivés chez eux, il ne put s'empêcher de poser des questions à son colocataire.

« Que veux-tu faire en premier lorsque tu seras humain ?

- Je ne sais pas, dans la mesure où je suis ton ami, le reste m'importe peu, répondit-il franchement. J'ai l'impression d'être humain chaque jour, un peu plus, et tout cela grâce à toi. »

Touché, Alban le prit dans ses bras, s'apercevant au même instant qu'il était tombé amoureux du gobelin.

La Reine apparut, comprenant immédiatement les sentiments de l'humain, pourtant, elle n'en dit rien. Elle prévint les garçons que le neuvième baisers se ferait à l'auberge car il s'agissait d'un soldat rentrant chez lui et qu'il ne fallait absolument pas le manquer.

Comme prévu, le soldat s'attabla le midi. Râna s'occupa de lui et prit son baiser. Pendant ce temps, afin d'éviter de le voir, Alban s'occupa des chambres à l'étage.

Tout à coup, Râna monta les marches quatre à quatre, faisant un énorme vacarme avant de sauter dans les bras d'Alban.

« Mais que ce passe-t-il enfin ? s'enquit l'humain prêt à voir débarqué l'exorciste dans la seconde.

- Je n'imaginais pas que les araignées étaient aussi effrayantes ! s'angoissa le gobelin.

- Ah... Ce soldat t'a donc transmis la peur... Intéressant... »

Afin de le rassurer, Alban lui chanta une petite comptine et ils se remirent au travail jusqu'au soir.

L'exorciste les intercepta de nouveau et ayant pris l'habitude de ses apparitions, les deux l'ignorèrent, marchant bras-dessus bras-dessous, jusqu'à la maisonnette.

La Reine les attendait sur le pas de la porte, avec une jeune-femme.

« Voici la dixième Râna, présenta-t-elle. Nous allons vous laisser, Alban, offrez-moi un thé s'il vous plait, demanda-t-elle gentiment. »

Ils rentrèrent dans la maison, les laissant dehors.

Alors qu'il prépare le thé, le Reine tournait en rond, montrant qu'elle avait quelque chose à dire.

« Que se passe-t-il ?

- Eh bien, je dois vous révéler quelque chose qu'en aucun cas vous ne devrez répéter à Râna...

- Dites-moi, je vous écoute, répondit-il en s'asseyant face à elle.

- Pour parfaire sa transformation, un gobelin doit donner un dernier baiser à la personne qui l'aime en retour ainsi il sera humain. Cependant, il oubliera tout de sa vie passée de gobelin, y-compris son premier amour.

- Comme cela est triste...

- En effet, c'est pour cela que je suis restée gobelin à tout jamais. Ceci ne se produit qu'une seule et unique fois...

- Pensez-vous que c'est moi qu'il doit embrasser ? Je l'aime mais je ne sais pas s'il ressent la même chose...

- Vous verrez bien lorsqu'il entrera dans cette pièce... finit-elle en s'évaporant. »

Aussitôt la porte s'ouvrit et Râna entra.

« Alors, cette émotion, sais-tu ce que c'était ?

- En aucun cas... J'avais juste envie de rentrer pour te voir et discuter, répondit-il l'air ailleurs.

Le repas est prêt, attablons-nous. »

Après avoir mangé, Alban ne put s'empêcher de poser des questions à Râna qui s’efforça de répondre avec franchise.

« Lorsque tu embrassais les humains, tu ressentais quelque chose ?

- Non, rien de particulier. Je sais qu'il ont quelque chose que je souhaite et ils me le donnent...

- Si je te donne un baiser, tenta-t-il, ressentiras-tu quelque chose ?

- Je ne sais pas... balbutia le gobelin. »

Ayant peur de ce qui le traversa tout à coup, Râna évita le baiser alors qu'une vive douleur transpersait son cœur comme une flèche.

Agacé par sa réaction, rouge de honte et de colère, Alban quitta la maison, se précipitant à l'auberge où il savait la présence de Louis. Il espéra trouver le réconfort qu'il cherchait, après tout, Râna venait de lui briser le cœur...

De son côté, Râna regretta de ne pas avoir été franc avec Alban. Déterminé à le retrouver, il sortit de la maisonnette.

Dans ses pensées, la Reine le félicita d'avoir acquis l'Amour.

Arrivant dans une ruelle qu'il prit comme un raccourci, l'exorciste se planta devant lui.

Le voyant seul, elle profita de ce moment pour l'immobiliser en le poignardant à l'abdomen. L'odeur du sang se répandit dans la ruelle faisant apparaître la Reine qui s'enquit de l'état de son jeune protégé.

Reconnaissant la femme face à elle, elle se souvint, à quel point, plusieurs siècles auparavant, elles avaient été amoureuses. Alors que sa vis à vis allait donner le coup de grâce, elle l'attrapa fermement par le bras, la téléportant dans une chambre de son château qu'elle ferma à double tour.

L'exorciste réalisa qu'elle avait échoué, elle était maintenant prisonnière de son premier amour et sera certainement banni de la ligue...


Au même instant, Alban brisa un verre. Pressentant que quelque chose se passait, il partit en courant, laissant son ami figé.

Apercevant Râna allongé sur le sol, du sang partout autour de lui, il sanglota.

La Reine apparut, soigna le gobelin avec ses pouvoirs et les emmena dans la maisonnette.

« Alban, il faut que ce soit fait demain avant le coucher du soleil sinon Râna sera gobelin à tout jamais. »

L'humain acquiesça le cœur brisé.

Réveillé et en pleine forme, Râna se leva pour rejoindre Alban. Celui-ci avait l'air épuisé. Il n'avait pas fermé l’œil et avait commencé à soigner les chevaux au petit matin.

« Avant ce soir je devrais te donner un baiser, ce sera le dernier. Demain matin, lorsque tu te réveilleras tu seras enfin humain, expliqua-t-il en s'attablant.

- Comment sais-tu tout cela ?

- La Reine m'as confié cette mission hier quand tu étais évanoui. »

Content à l'idée de pouvoir se faire pardonner pour la veille, Râna passa la journée joyeusement. Alban masqua sa tristesse au mieux jusqu'à la fin d'après-midi.

Il invita Râna à s'asseoir près du feu et déposa un baiser sur les lèvres tentatrices. Le gobelin lui répondit avec passion et s'arrêta lorsque le baiser devint salé. Alban ne parvenait plus à arrêter ses larmes.

« Que se passe-t-il ? Pourquoi pleures-tu ?

- Notre dernier baiser et la dernière fois que nous nous voyons, sanglota-t-il. »

Il n'eut pas le temps de comprendre, la Reine apparût, endormit l'humain et hypnotisa le gobelin avant de l'emporter.


Alban se réveilla quelques heures plus tard. Courbaturé d'avoir dormi par terre, il s'empressa de se préparer pour aller travailler, avec la constante sensation d'oublier quelque chose.

Sur la route, il croisa un très bel homme aux cheveux de jais et aux yeux de feu. Un meunier apportant la farine au boulanger. Ils se sourirent et continuèrent le chemin ensemble.

« Nous sommes nous déjà rencontrés ? demanda Alban.

- Je ne sais pas, peut-être dans une autre vie, sourit le meunier. »



L'histoire s'arrête ici, cependant, nous pouvons imaginer qu'une Reine et une exorciste se réconcilièrent et s'aimèrent comme au premier jour.

Qu'un jeune-homme et un jeune meunier apprirent à se connaître et s'aimer jusqu'à la fin de leurs jours.

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