La reconquête...

Tu es parti, je n'ai plus ri.

Je n'avais pas imaginé ta mort, je fus prise de remords.

Je n'avais rien prévu, tu m'as prise au dépourvu.

Quand je voulus écrire ma détresse, je fus débordée par le stress.

De ma tête, de mon cœur, de mon clavier, les mots s'éloignèrent. J'étais expulsée d'une sphère câline qui n'en était plus une. Sans toi, j'étais devenue un point sans majuscule.

Je courus après ces mots, les appelai à revenir dans ma tête et au bout de mes doigts, leur demandai de faire un effort. Je leur rappelai que j'avais toujours été gentille avec eux, que je les avais toujours respectés, qu'avec moi, ils avaient toujours fait ce qu'ils voulaient.

Moqueurs, ils m'invectivèrent : "eh bien, on veut que ça continue. Non, mais, regardez la". Et ils persiflaient "bouh, elle est veuve, elle est veuve, c'est bien fait pour elle, on ne la verra plus heureuse, elle a bu son miel, maintenant elle va devenir vieille."

Les mois passèrent, je chassai les secondes vides à coups de verres pleins. De larmes, pas de vin.

Quoique !

Puis, peu à peu, rebelle à l'apitoiement, je taisais mon désarroi. J'avais faim de vivre, de rire, de renouveau.

Il fallut alors affronter la réalité : écrire des contes ne me disait plus rien. La fiction était moins inventive que la vraie vie. Alors, écrire, à quoi bon ! La Faucheuse avait emporté mon Imagination jusqu'à ce qu'un soir je décidai qu'elle n'aurait pas ma raison. J'allais me battre.

D'abord, j'achetai de quoi redevenir un être humain, bien dans ses guêtres, bien dans sa peau. De nouveaux vêtements, de belles expositions, de belles randonnées. Les semaines passèrent et les activités dans diverses associations ne m'offrirent pas l'humanité recherchée. Revancharde, puis apaisée, je décidai d'apprivoiser ma solitude. En assez peu de temps, bonne élève, bien motivée, j'appris à l'apprécier. Si je voulais que les mots me reviennent, je devais être heureuse avec moi-même. L'objectif était ambitieux, l'entraînement fut extrême.

Désormais, sous mon toit et derrière mes fenêtres, j'acceptais de rester assise, sans bouger, à l'affût des prémisses d'un retour à la paix. Ce fut l'expérience enrichissante d'un premier face à face immobile avec l'ordinateur. "Allez tu peux y arriver, mon petit", m'encouragea une âme. "Allez, encore un petit quart d'heure. Tu vois bien que tu peux le faire" chuchota la petite voix. Et ce furent les premières unités d'un temps où j'eus le courage de ne pas fuir, d'affronter les fantômes d'une situation d'antan, rassurante, et d'où j'avais été chassée. Ces minutes se nourrirent jour après jour de paix et chassèrent le chagrin. Ce n'était pas évident pour quelqu'un qui avait passer des mois à errer dans les rues à la recherche de l'oubli.

Être capable d'affronter sans bouger son bureau, c'était acquis. Ne plus courir à hue et à dia, c'était gagné.

Restait la prochaine étape, le plus gros morceau : retrouver les mots, les fréquenter de nouveau. Mais ils m'avaient fuie. Mais ils s'étaient moqués. Allaient-ils redevenir dociles ? Loin de moi, qu'étaient-ils devenus ? Existaient-ils encore ? Je ne lisais plus de livres, je ne pouvais donc les voir. Quant à ceux sur mes écrans, ils étaient trop à la merci d'un doigt maladroit. N'écrivant plus, ne lisant plus, un désert sans mots s'étalait devant moi. Zéro. Il fallait que cela cesse, imposer l'embargo pour endiguer ce fiasco. Illico, j'éteignais le micro, remplissais le stylo, étalais une première page. Et le miracle se fit : un sujet suivi de son verbe et d'un complément apparurent. C'était reparti.

Condition de réussite à ce nouveau départ : m'adapter à ma nouvelle lenteur. Dans ma vie d'avant et de toujours, elle n'avait pas eu droit de séjour. "Je n'ai pas le temps", avais-je l'habitude de répondre. Ensuite, durant tous ces longs mois, mon esprit avait été totalement vidé, tel un réservoir à récurer, à rénover. Asséché, nettoyé, il devait se remplir de nouveau. J'entrai en convalescence.

Puis, un certain matin,  des bouts de rêves remplis de mots s'accrochèrent, curieux, au bord de mes paupières. Ils voulaient débarquer sur le papier et y créer de nouveaux territoires.  Je compris qu'ils voulaient, enfin, se réconcilier avec moi. Je saisis avec excitation mon stylo, ouvris mon cahier et dans une sérénité retrouvée, les phrases, telles les eaux d'une rivière paisible, s'écoulèrent dans la fluidité de mes pensées. Nous étions de nouveau amis.



 


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Commentaires & Discussions

La reconquête...Chapitre1 message | 7 ans

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