Ver

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Un jour, un nanti est venu réciter de la poésie sur la coursive. Une bonne action, histoire d’eduquer les frustres. Ça arrive de temps en temps. Quelqu'un regarde les dernières nouvelles au telrcran et décidé que ohlala, il faut nous apporter quelque chose, qu’on peut pas vivre comme ca. Donc il rameute ses copains nantis, ils prennent un service de sécurité et de grandes vates d’air premium, parce que éduquer.les masses, oui, mais respirer le même air, faut pas exagérer, et ils s'en viennent nous partager une miette de comment on vit de l’autre côté des anneaux avant de repartir très contents d’eux-mêmes, jusqu'à la prochaine fois.

Cette fois-là, c'était un poeme. Apres les sculptures de lumière et la symphonie d’odeurs, comme ils disaient (ils s'étaient pas demandé ce que ça donnerait de mélanger tous leurs parfums dans une atmosphère viciee à trois dans les bons jours, je dirai rien là dessus, ça vaut pas mon souffle). Donc un petit jeunot tout beau, avec tous ses doigts et même pas une brûlure de radiation, un lau-ré-at comme ils l'appelaient, faudra que je m'achète le mot si je reviens s'est planté au milieu de la coursive. Il a récité, c'était très joli, avec des voyelles qui s'échouent en murmurs contre les bordures d’acier et des échos qui gouleyent (bon, celui-là, j’en suis pas sûr, il était dans la poésie, je l’ai retenu parce que des mots gratuits, ça vous tombe pas dans l’oreille tous les jours mais je suis pas trop sûr de ce qu’il veut dire.)

C: était très beau, mais tout le monde s’en grattait les ulcères. À quoi ça sert, je m’étais dit, d’avoir des mots comme ça plein la bouche alors que nous, on sait déjà pas si on pourra continuer à payer pour respirer d’ici le prochain job. Et là, le lau-ré-at m’a perdu. Un moment ça va et l’autre, il parle d’yeux cerulerins comme un lac.

Déjà, ceruleeuns, je savais pas ce que ça voulait dire. C'est le premier mot que je me suis acheté pour avoir le sens. Au départ, j’avais haussé les épaules.Mais les lacs, j’en avais déjà vus. Je me considérais même comme un vétéran, vu que sur les trois rotations auxquelles j’avais participé, j'avais été affecté une fois à un lac ferrugineux, une à un lac d’azote, j’y avais laissé un bout de jambe, et la dernière, je me rappelais même pas, c'était une opération propriétaire. En tous cas, à aucun des moments dont je me souvenais, j’avais entendu ce mot et ça me plaisait pas. Peut-etre que si je l avais su, j’aurais pu sauver mon muscle ? Ou je pourrais éviter de vendre mes doigts ou un organe ? Le petit qui savait ce que ça voulait dire, ceruleeuns, il avait encore tous ses membres, je me suis dit à un moment. Ça devait être après quelques verres, je pense, sinon j’aurais pas osé. J’ai empoché les factures d’air que j’avais gagnées, et je suis allé au terminal le plus proche. Ça m’a pris un moment de trouver le bon menu, je me souvenais que vaguement du mode présentation et j’avais pas fait beaucoup attention à autre chose que comment payer pour l’air et s’inscrire pour travailler quand je l’avais utilisé. Mais j’ai fini par y arriver. Une sous-arborescence coincée entre les fonctions de maintenance et l’historique des ventes corporelles. Pas là où on préfère aller. Avant de dessaoulé, j’ai engagé un sous qui me restait de la soirée, et le terminal a chargé le mot dans mon cortex.

Un sous c’est pas et c’est tant mieux. Même comme ça, je me suis senti volé par moi-meme et le lau-ré-at. Ceruleeuns, ça veut dire bleu. Bleu. Le gars a jamais vu de lac de sa vie. J’avais pas tous ses mots, et je les ai toujours pas, mais je peux vous dire qu’un lac, c’est pas bleu. Déjà, un lac de quoi ? Le ferrugineux, ça ressemble plus à ma pisse au matin quand j’ai trop bu. L’azote, c’est des flonflons blancs. Et le lac de je sais plus quoi, il me reste une image, il était noir. Noir comme l’abîme. Moi aussi je peux faire des comparaisons.

Bon, ce sou, je l’ai regretté, mais petit à petit, ça m’a gagné, les mots. C'était moins cher que les coups à boire et je risquais moins de me réveiller le lendemain avec une bosse sur la caboche et en route pour aller collecter du gaz incandescent dans un tas de tôle troué de partout. C’est là où j’ai laissé mes deux doigts de la main gauche. En plus, je me suis rendu compte que d’accord, j’usais plus d’air, mais les gars autour surtout après un verre ou deux, ils étaient prêts à me donner un peu de leurs crédits pour que j’aligne les mots. C’est là où j’ai choisi mon nom. Ver. L’animal qui survit à l’espace, même coupé en morceaux et le début de verbe. Ça m’a plu, comme idée.

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