Chapitre 5

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Un mois était passé depuis l’arrivée des Allemands et la vie avait repris son cours à Lormont, bien que le climat ne fût plus le même qu’avant. Les soldats inspiraient de la peur, du respect, de l'aversion. Cependant, pour certains opportunistes il y avait un désir taquin de les rouler, de profiter d'eux, de s'emparer de leur argent.

La Wehrmacht imposait librement ses règles. Les ressources étaient rationnées pour les Français, le pain blanc qui faisait la fierté de la nation était remplacé par un autre, trop mou, trop gris et qui imputait des problèmes digestifs. Les rations de bacon, de beurre et de sucre s’amaigrissaient.

Le maire de la ville passait son temps à se faire bien voir du colonel Von Faber et s’appliquait scrupuleusement à « concilier les points de vue Allemands et Français ». Les troupes avaient la priorité partout : dans les transports, les commerces, les services de santé. Des jours sans viandes étaient imposés : mardi, jeudi, vendredi. Au cinéma, une demi-clarté était maintenue. En l’espace de plusieurs jours, Lormont s’était transformée.

Durant ces dernières semaines, Madeleine avait tout tenté pour s’occuper. Chaque fois qu’il y avait besoin d’aller à l’épicerie, à la boulangerie ou n’importe où en ville, elle se rendait volontaire et enfourchait sa bicyclette, allant toujours faire un tour chez Eliane au passage. Cependant, elle commençait à tourner en rond et il lui fallait une occupation quotidienne.

Cette après-midi de 2 août, la jolie brune se rendit au marché acheter quelques fruits et légumes de saison. Alors qu’elle patientait dans une file, elle entendit une femme parler d’un emploi de pianiste à « la Guinguette de la Garonne » où l’ancien employé était parti précipitamment après l’entrée des Allemands. La voilà ton occasion !

La jeune femme se présenta quelques heures plus tard auprès de M. Boulay, le gérant de l’établissement. Elle était sûre d’elle, prête à tout pour occuper ses journées en compagnie d’un piano et de clients, même Allemands.

  • Eh bien jeune fille, si vous souhaitez prendre ce poste, il va falloir me montrer vos talents. Je vous prends en essai jusqu’à 19h. On va bien voir si la clientèle apprécie votre registre.

M. Boulay était un homme corpulent d’une bonne quarantaine d’années. Il avait un visage rond avec des petits yeux bruns et des joues dodues. Il ne se montrait jamais sans son béret, qui lui permettait de cacher son crâne dégarni. C’était un personnage doux et son absence totale d’arrogance donnait la certitude qu’on pouvait avoir confiance en lui. Il invita Madeleine à s’installer au piano.

À l’intérieur de la guinguette, il y avait un mélange de soldats allemands et de Lormontais. Les discussions allaient bon train, certains clients buvaient une tasse d’ersatz de café d’autres avaient un verre de vin. À cette heure-ci le piano n’était qu’une musique de fond et la jeune femme décida de jouer du classique. Après quelques mélodies, un Allemand s’approcha :

  • Vous, chanson française, bitte ? demanda-t-il dans un français confus.

Madeleine fut embarrassée, elle était pianiste pas chanteuse. Elle se tourna timidement vers le gérant, suppliant du regard pour qu’il réponde par la négative, mais d’un geste de la main il lui fit signe de se lancer. Sans réfléchir, elle chanta la dernière chanson qu’elle avait entendue.

On se rappelle toujours sa première amie

J'ai gardé d'la mienne un souvenir pour la vie

Un jour qu'il avait plu

Tous deux on s'était plu

Et puis on se plut de plus en plus

J'lui d'mandait son nom, elle me dit Valentine

Et comme elle prenait chaque jour la rue Custine

Je pris le même chemin

Et puis j'lui pris la main

J'lui pris tout enfin

Elle avait de tout petits petons, Valentine, Valentine

Elle avait des tout petits tétons

Que je tâtais à tâtons, Ton ton tontaine

Elle avait un tout petit menton, Valentine, Valentine

Outre ses petits petons, ses petits tétons, son petit menton

Elle était frisée comme un mouton

Elle n'était pas d’une grande intelligence

Mais dans un plumard, ça n'a pas d'importance

Quand on a dix-huit ans

On n'en demande pas tant

Les Français s’esclaffèrent suivi de quelques Allemands qui comprenaient les paroles. Un sourire étira les lèvres de Madeleine, heureuse de son effet, et elle continua la chanson de Maurice Chevalier :

Hier, sur le boulevard, je rencontre une grosse dame

Avec de grands pieds, une taille d'hippopotame

Vivement elle m'saute au cou

Me crie bonjour, mon loup

Je lui dis "pardon madame, mais qui êtes-vous ?"

Elle me répond, "mais c'est moi, Valentine"

Devant son double menton, sa triple poitrine

Je pensais, rempli d'effroi

Qu'elle a changé, ma foi

Dire qu'autre fois

Elle avait de tout petits petons, Valentine, Valentine

Elle avait des tout petits tétons

Que je tâtais à tâtons

Elle avait un tout petit menton, Valentine, Valentine

Lorsque la chanson se finit, les Français riaient franchement. Les soldats, bien que ne comprenant pas grand-chose, affichaient un large sourire. Ils étaient happés par l’euphorie du moment. Il n’y avait plus de mauvais regards, de messes basses. Les frontières se dissipèrent un instant, faisant régner la bonne humeur dans l’enceinte. Pour continuer sur cette lancée, d’autres clients de la guinguette demandèrent une chanson en échange d’un peu de monnaie. Le propriétaire, voyant là une bonne opportunité, vida une boite de bonbon pour en faire une boite à chanson. Ses yeux brillaient de joie, cela faisait longtemps qu’il n’avait pas vu son établissement ainsi.

  • Je vous garde, décida M. Boulay lorsque 19h sonna, vous ne vous débrouillez pas trop mal.

Il lui fit un clin d’œil avec un large sourire et la prit par les épaules pour la pousser gentiment à la porte, de manière complice il ajouta :

  • Allez oust, à demain 14h ! Et ne soyez surtout pas en retard.

Madeleine quitta l’établissement, heureuse d’avoir trouvé ce travail. Elle avait passé une bonne après-midi, sûrement la meilleure depuis qu’elle était revenue. Elle était surexcitée, dans une bulle loin des tracas, et ne voulait pour rien au monde gâcher cet instant en rentrant chez elle et se confronter à la mauvaise humeur habituelle de sa mère.

Pour fêter cette petite victoire, elle décida d’aller chez Eliane. Cette dernière était méfiante depuis l’arrivée des Allemands. Elle avait quitté Paris, pris des risques pour finalement se retrouver prisonnière. Elle ne sortait que très peu, uniquement pour des provisions nécessaires et empêchait Annie d’aller s’amuser à l’extérieur. Ainsi, les visites de Madeleine étaient toujours un vent d’air frais dans ce minuscule appartement. Elle avait dû acheter quelques meubles : un lit, une table et des chaises, qui n’étaient pas fournis à la location.

Lorsque son amie sonna à la porte, c’est avec plaisir qu’elle l’accueillit.

  • Je suis très contente pour toi, s’enthousiasma Eliane lorsque Madeleine lui annonça son nouvel emploi.
  • Je ne vais plus avoir à supporter ma mère toute la journée, plaisanta la pianiste.

Elles rirent ensemble, cela faisait du bien en ces temps. Elles papotèrent ainsi un long moment, buvant un peu de thé – une denrée qui se faisait de plus en plus rare – et jouant avec Annie. Personne ne vit le temps filer et le tocsin sonna vingt-et-une heures, annonçant le couvre-feu.

Madeleine sursauta, soudain rattrapée par la dure réalité. Son pouls s’accéléra et la bulle se brisa en même temps que l’assurance et la joie de la jeune femme.

  • Reste-ici, tu peux dormir dans le lit avec Annie, dit Eliane, inquiète.
  • Et où dormirais-tu, toi ? C’est très gentil, mais je ne peux pas. Je vais me dépêcher, avec un peu de chance, je ne croiserais personne.

La jolie brune sourit pour ne pas l’affoler et se leva. Elle embrassa son amie, la petite Annie et sortit précipitamment de l’appartement avant de regretter son choix. Ça ne peut pas être si terrible ? Elle se mit à marcher rapidement, l’estomac noué. Elle ne regardait pas autour d’elle ce qu’il pouvait bien se passer et ne remarquait donc pas les quelques soldats allemands qui patrouillaient. Elle fixait droit devant, œillères en place, comme si maintenir son objectif en ligne de mire allait l’amener plus vite.

  • Halte-là ! Entendit-elle soudain.

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Je me permets de glisser un petit mot.

Déjà merci à ceux qui lisent et m'aident, ça compte beaucoup pour moi.

Je pense avoir fini de poser le décor et les pions (même si d'autres vont arriver dont un assez important...), l'histoire va pouvoir vraiment commencer et évoluer.

Ces 5 premiers chapitres sont, je pense, les plus importants à travailler (ceux qui doivent accrocher le lecteur) donc si vous avez le moindre conseil n'hésitez surtout pas, au contraire tout est bon à prendre.

Je sais que j'ai encore pas mal à apprendre, que c'est loin d'un beau récit avec un style qui claque (bon, après ce n'est pas voué à être édité hein haha), mais je compte m'améliorer et votre aide m'est précieuse.

Voilà voilà, j'arrête de vous embêter. 

Bises,

Cyrielle.

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