Chapitre 9

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  • Hey ! Jeune homme ? Jeune homme ! Vous m’entendez ?

Une lumière vive force la barrière de mes paupières, je suis complètement aveuglé. J’essaie de lever la main pour me protéger mais suis pris d’une violente douleur à l’épaule. Je grimace.

  • N’essaie pas de bouger. Je m’appelle Taylor et je suis pompier. Et toi ?

Un pompier ? Mais pourquoi ?

Peu à peu, mon corps se réveille. J’ai des douleurs partout, particulièrement au thorax. Ah… Oui… La bande à Richie… Il a été plutôt étonné que je me défende… Du coup, ils s’y sont mis à trois. Je ne savais plus où donner de la tête. J’ai fini au sol, recroquevillé sous une pluie de coups de pied. J’ai certainement dû perdre connaissance.

  • Tristan ! Garçon ! Mais que s’est-il passé ?

Arnold déboule dans mon champ de vision, habillé de la tenue des secours.

Ah ? Je ne savais pas…

Mes pensées sont interrompues par une quinte de toux qui semble déchirer mes poumons. Je crache du sang.

  • Ce n’est pas bon tout ça, Arnold. Il a peut-être des côtes cassées. Tu le connais ? demande ledit Taylor.
  • Oui, oui. C’est le jeune dont je t’ai parlé. Nous venons tout juste de l’accueillir chez nous. C’est pas possible ! Il faut que je prévienne Stéphanie : je crois qu’elle va en faire une syncope.
  • Je l’emmène aux urgences : il doit au moins passer un scanner. On verra pour la suite.

Les urgences? L’hôpital ? Encore ?

Arnold hoche la tête avant de s’adresser à moi :

  • Tu sais qui a fait ça ?

Je hoche la tête doucement et essaie de lui faire comprendre pour le vélo par des gestes un peu chaotiques.

  • Très bien… On en discutera plus tard. Le vélo ? Non, il n’était déjà plus là.

Une rage sourde gronde au fond de moi. Ils m’ont piqué le vélo de Rey. Ils ont osé. Mon rythme cardiaque s’accélère faisant s’affoler les moniteurs.

  • Du calme, Tristan. Du calme, tout va bien se passer.

Non ! Non ! Rien ne va bien ! Rien ! J’ai perdu la seule chose qui lui appartenait ! Je… Je…

Je sens une aiguille s’enfoncer dans mon bras. Je somnole un instant avant de perdre contact avec la réalité.

Je me réveille dans une chambre d’hôpital (encore), le bras droit en écharpe et des pansements partout. Ma tête me lance et j’ai comme des nausées. Je vois une sorte de bassine à côté de moi : je l’attrape tout en tentant de freiner mes hauts le cœur. Finalement, je ne vomis rien.

Je m’affale sur l’oreiller et fais un peu le tour de mes douleurs : tête, estomac, thorax et mon bras droit. La porte s’ouvre sur une Stéphanie inquiète.

  • Oh ! Tristan ! Tristan, tu es enfin réveillé !

Elle s’assoit près de moi et me caresse les cheveux. Ce geste maternel me fait, comme à chaque fois, un bien fou et calme la crise de panique qui s’annonçait. Je ferme les paupières pour mieux apprécier ce simple contact. Elle se penche et va jusqu’à m’embrasser le front. Mes yeux doivent sortir de mes orbites car lorsque Stéphanie me regarde, elle a un petit rire.

Elle me raconte ce qui s’est passé. Un joggeur m’a retrouvé, le nez et la bouche en sang, près de la falaise et a de suite appelé les secours. Arnold étant pompier volontaire, ils ont tout de suite su qui j’étais. Heureusement car personne n’aurait su me reconnaître sinon… Arrivé à l’hôpital, j’ai passé une radio et un scanner. Plus de peur que de mal, je n’ai que deux côtes fêlées et l’épaule droite démise. Quelques jours de repos et tout devrait rentrer dans l’ordre.

  • Quand Arnold m’a téléphoné ! J’ai cru défaillir ! Cela fait à peine quelques semaines que tu es chez nous et… ça ! Sais-tu qui t’a agressé ?

Je fais signe que oui. Enfin, je ne connais que son prénom. Son visage est flou dans ma tête. Un médecin fatigué entre à ce moment-là et vérifie ma température, ma tension ainsi que mes radios et scans.

  • Très bien. Jeune homme vous allez pouvoir rentrer chez vous. Si jamais vous ressentez des douleurs à la tête ou des nausées, n’hésitez pas à consulter. Pour ce soir, ça devrait aller. Madame, je vous donne cette ordonnance afin que vous lui preniez des antalgiques, trois signatures et vous pourrez y aller.
  • J’arrive docteur. À tout de suite, Tristan.

Une vingtaine de minutes plus tard, je suis assis dans la voiture. Je suis épuisé… Il faut dire que ces deux derniers jours ont été rudes pour mon corps, ma tête, mon coeur… Entre la douleur que je me suis infligée, celles d’Érika et celles de Richie… toutes mes fibres me hurlent un “STOP !” retentissant. Arrivé à la maison, j’ai le droit à un bol de nouilles à la japonaise, histoire de ne pas me faire mal, un anti-douleur et au lit !

Je ne demande pas mieux. Je m’endors quasi instantanément.

  • Tu vois bien, il dort…
  • Ma, si j’attrape celui qui a fait ça…

Rey ?

Dans sa voix transperce une colère froide, meurtrière.

  • Chut, mon Rey. Laisse la police s’occuper de ça. Viens.

Mon cœur est parti au galop.

Je n’ai pas rêvé là, si ?

Mon corps est encore trop lourd… J’ai vraiment du mal à bouger et je n’ai qu’une envie c’est de m’enfoncer dans les profondeurs du sommeil.

  • Mon petit lion…

Cette voix… Cette odeur…

Un mélange d’huile, de menthe et de cigarette. Ce mélange d’arômes que j’apprécie particulièrement.

Je… je rêve ? Si c’est le cas… Je ne veux plus me réveiller…

Allongé sur mon lit, j’ai un bras puissant enroulé autour de mon corps douloureux. Sa large main est posée sur mon ventre et le caresse à travers le tissu de mon T-shirt.. Son torse appuyé contre mon dos, son visage est dans mon cou : il respire mon odeur à plein poumons. Sa jambe est passée au-dessus des miennes. Je suis prisonnier.

Prisonnier de Rey.

Je n’arrive pas à y croire. Il est bien là, dans mon lit, collé à moi, dans la fameuse position de la cuillère. Et… Je me sens bien. Protégé. Je n’ose plus fermer les yeux, de peur qu’il ne disparaisse à nouveau.

  • Si seulement je savais qui a osé lever la main sur toi… Je…

Rey resserre alors son étreinte m’arrachant un petit cri de douleur. Surpris, il cherche à enlever sa main mais je la retiens. Fermement. Après ce qui me semble être une éternité, il la prend dans la sienne et referme son poing sur ma main menue.

  • Tu es réveillé ? chuchote-t-il, près de mon oreille.
  • Oui… répondis-je d’une voix faible.
  • Pardonne-moi, mon petit lion… Pardonne-moi… Si j’avais été là… Ils n’auraient jamais osé t’approcher… Mais… Je…
  • Pourquoi es-tu parti alors ?

Ma voix est plus sèche que je n'aurais voulu, mon ton, plus coupant. Je le sens hésiter derrière moi. Je veux me retourner, le regarder dans les yeux, voir cet œil azuré que j’aime tant. Mon coeur tremble.

  • Ne bouge pas. Si tu te retournes, je m’en vais.

Non. Tout sauf ça.

Je me replace alors contre lui, accentuant exagérément ma position.

  • Petit lion… Aah… Ne fais pas ça… me susurre-t-il.
  • Ça quoi ? répondis-je, un brin provocateur, tout en me frottant contre lui.
  • C’est ça… Fait comme si tu ne comprenais pas.

Je sais qu’il sourit. Il penche alors son visage dans mon cou et y appose un léger baiser, s’attardant sur ma peau.

  • Tu m’as manqué, petit lion…

Je ne veux pas lui avouer que lui aussi. Pourquoi ? Aucune idée. Mais je ne veux pas.

  • Qui t’a fait ça ?
  • Dis-le moi. S’il te plaît.

L’image de Richie et de ses deux potes me revient alors en mémoire. Le souvenir de leurs poings me frappant encore et encore. Ma tentative pathétique de contre-attaquer… Les coups de pieds lorsque j’étais au sol, sans défense, qui ne s’arrêtaient pas… Mon corps se met à trembler. Rey resserre son étreinte, percevant ma détresse mais cela ne me calme pas. Les larmes me montent aux yeux et finissent par dévaler le long de mon visage. J’essaie de cacher mes pleurs mais ma poitrine me fait trop mal pour retenir mes sanglots. À nouveau, il embrasse mon cou.

  • Mon petit lion…

Sa voix… sa voix est chargée… de… de… quelque chose d’inhabituel…

  • Parle-moi… Dis-moi qui est le coupable… Je t’en prie…

Le je-ne-sais-quoi d’inhabituel dans sa voix m’incite à tout lui confier.

  • La bande à Richie. Richie a trouvé ton vélo super et a voulu me le prendre. Et puis, il a insulté Stéphanie… Richie m’a sauté dessus mais il ne s'attendait pas à ce que je riposte. Je… j’ai fait de mon mieux Rey… J’ai essayé de me défendre, de défendre Stéphanie… Mais… Mais… je… Je suis trop faible Rey ! Trop faible et inutile ! Je suis tellement pathétique… Il a pris ton vélo… Je suis dés…
  • Tais-toi. Ne dit plus un mot, Tristan.

Il… Il m’a appelé par mon prénom ?

Je ne sais plus où j’en suis. Mes larmes continuent de couler. La respiration de Rey est erratique, comme s’il essayait de se calmer. Appuyé sur un coude, sa main joue dans mes cheveux : il a enroulé une mèche autour de ses doigts et s’amuse avec, sa jambe toujours sur les miennes.

  • Je… Je peux rester dormir avec toi ? me demande-t-il dans un soupir.

Rester dormir ? Sa question me prend un peu au dépourvu.

  • Je… euh… Oui…
  • Très bien. Ne bouge pas alors et ne te retourne surtout pas.

Il se lève du lit. Je l’entends se déshabiller. Il se place sous les couvertures et reprend exactement la même position. Il est torse nu, je sens la chaleur de son corps à travers mon T-shirt. Mon dos collé à lui, il prend ma main dans la sienne. J’ose entrelacer nos doigts et il accentue la pression de sa paume sur le dos de ma main.

  • Essaie de dormir mon petit lion… Bonne nuit.

Mon cœur bat la chamade. Je me demande si je pourrais dormir dans ces conditions… Un baiser dans mes cheveux et…

Je me réveille le lendemain, le corps reposé et l’esprit apaisé.

C’est l’effet Rey ça ?

Je tâtonne à côté de moi… et ne touche que du vide…

J’aurais rêvé ?

Je me retourne et son odeur me frappe en plein visage. Je prends l’oreiller et le serre dans mes bras. Mon coeur semble vouloir sortir de ma poitrine… Mes sens s’affolent pour ce mélange cigarette/huile/menthe.

Deux coups sont frappés à la porte. Je lâche l’oreiller et me replace pour voir Stéphanie entrer avec un plateau, contenant un verre d’eau et des pilules.

  • Bonjour Tristan. Comment te sens-tu ce matin ?

Je lui souris pour lui signifier que je vais mieux. Elle paraît stupéfaite mais c’est la réalité. Mon corps est encore douloureux mais j’ai reçu une dose de drogue surpuissante dans la nuit.

Une drogue qui s’appelle Rey. Que vais-je faire s’il repart ?

Et qui me dit qu’il n’est pas déjà reparti ? Ou que je n’ai pas rêvé sa présence près de moi ?

Non. Son odeur est bien là… Il n’y a que lui pour sentir ça…

  • Bon, il est dix heures passées… Un peu tard pour un petit déjeuner… Je te prépare un sandwich ou tu attends ton repas de midi ?

Quoi ? Il est déjà si tard ? Cela faisait longtemps que je n’avais pas dormi aussi longtemps… J’opte pour la deuxième solution et indique à Stéphanie le douze sur mon horloge. Elle hoche la tête et s’apprête à repartir. Je la retiens pour lui demander où est Rey mais finalement je n’ose pas. J’ai peur de sa réponse.

Après m’être douché et avoir changé mes pansements comme j’ai pu, je descends au salon et m’installe dans le fauteuil. Je me sens étrangement bien. Comme le calme avant la tempête…

N’importe quoi…

Je baisse la tête pour sourire. La grille du garage s’est levée dans un grincement retentissant. J’ai sursauté et Stéphanie s’est précipitée vers la porte rejoignant les deux pièces. Elle s’ouvre et je vois Rey entrer… ensanglanté. Mon cœur rate un battement et je me lève trop rapidement. Ma tête se met à tourner violemment et je retombe lourdement sur le sofa, à la limite de perdre connaissance.

  • Trist ? Trist ? Ça va ?

J’ouvre les yeux pour le découvrir à genoux devant moi. Je peux enfin croiser son regard à l’azur doré. Un azur doré rempli d’inquiétude.

D’inquiétude… pour moi ?

Sa main s’est posée sur mon visage et sa douceur me transperce jusqu’au cœur. Je lui souris pour lui faire comprendre que ça va. J’ai envie de lui répondre mais Stéphanie me coupe dans mon élan.

  • Rey ! Mais que s’est-il passé ?

Après m’avoir fait un clin d'œil et une grimace “je vais en prendre pour mon grade”, Rey se retourne vers Stéphanie d’un air nonchalant.

  • Je suis juste allé récupérer le vélo de Tristan, c’est tout.
  • C’est tout ? C’est quoi tout ce sang ?
  • Rien.

Sa voix est sèche. Je le regarde, d’un air faussement énervé et Rey me sourit. J’ai des papillons dans l’estomac.

  • Comment ça, rien ? Je croyais que tu avais arrêté tout ça ? Moi qui pensait que toute cette violence était derrière toi !

Stéphanie est vraiment énervée. Elle ferait presque peur. Son regard est dur. Rey se crispe. La tension monte très vite dans la pièce. Tout ça… pour moi ?

  • Elle l’est ! Et tu le sais pertinemment ! Seulement…
  • Seulement quoi ? Hein ? QUOI ?
  • Ils n’auraient pas dû toucher à ceux que j’aime.

À ceux que… quoi ?

Stéphanie se radoucit et prend Rey dans ses bras.

  • J’ai juste peur Rey. Peur que tu ne redégringoles dans cet engrenage de malheur…
  • Ne t’en fais pas, Ma. A présent, j’ai une lumière pour me guider.

La main de Rey est posée sur la joue de Stéphanie mais son regard mort est braqué sur moi.

Sa lumière… C’est moi ?

Je n’ose y croire. Je ne veux pas y croire. Je ne suis qu’un être sans importance… Et pourtant… Pourtant… Je sens un sentiment naître dans mon corps et dans mon âme… Un sentiment que je ne connais pas, que je ne comprends pas.

Ce sentiment est doux, chaud comme un nectar onctueux qui glisse dans mes veines et à nouveau la plénitude m’envahit.

  • Je crois que je vais vieillir plus vite que prévu avec vous deux… murmure Stéphanie, d’une voix à peine audible.

Elle s’est assise près de moi et soupire. Mais elle sourit. Rey s’est mis de l’autre côté. Sa main s’est discrètement posée sur ma nuque et il a attrapé une mèche de mes cheveux.

  • Tristan ? Tu es sûr que tout va bien ?
  • Répond-lui Trist, me souffle-t-il, tellement près de mon oreille que mon corps se recouvre entièrement de frissons.
  • O…Oui… Stéphanie.

Elle se tourne alors vers moi, les larmes pleins les yeux. Sa main se pose sur ma joue et la caresse doucement, tandis que celle de Rey s’est éclipsée…

  • Si tu le dis, alors je te crois mon grand, me répond-elle, un sourire dans la voix.

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