Juste un travail

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Avec le soutien de  Drak_D, Ystorienne Histoire 
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Je déteste mon boulot, c'est un boulot merdique qui me bouffe la vie et la santé mentale. Il est dangereux et je cotoie des gens infects qui me donnent envie de me laver à l'acide, ou de LES laver à l'acide.

Pourquoi je continue ? Parce que je ne suis pas prêt à faire face aux conséquences néfastes d'une démission. On me dit que je peux partir, sous conditions, si j'en ai envie mais je ne tiens pas à vérifier la sincérité de mes patrons, c'est un pari que je ne suis pas prêt à faire.

Pour en revenir à mon boulot, il est relativement basique : je suis livreur-préparateur et là je termine une livraison.

Une fois le fourgon garé je prends le temps d'avaler une gorgée de café de mon thermos et repense au jour où ma fille me l'a offert. L'objet en soi est basique et sans attrait mais le cadeau d'une fillette de cinq ans vaut plus que son poids en or. Le jour de mon anniversaire il y a quinze ans j'avais dû partir travailler avant l'aube et cette petite s'était débrouillée pour se réveiller avant moi afin de le remplir et de me l'offrir. Ce fut une belle journée peu importe à quel point elle fut aussi merdique que les autres.

Fini la nostaglie il est temps de s'y remettre, je sors rapidement de mon véhicule, ouvre les portes arrières et sors le colis du jour. Ce qu'il est lourd bon sang ! Rien que pour cette partie là je cracherais pas sur un assistant, je vais finir par me luxer quelque chose avec toutes ces charges que je me trimballe...

J'installe machin sur le siège prévu à cet effet et lui retire le sac qu'il a sur la tronche. Si on oublie son air un peu perdu et la petite dose de sang seché il ressemble trait pour trait au type que j'étais sensé ramener. Une fois au lieu du client j'avais attrapé son petit frère, ça avait fait de ces histoires...

Puisqu'il semble toujours être un peu dans le gaz autant en profiter. Je sors la glacière de mon coffre, l'ouvre et plonge mes mains dans son contenu gelé. Bon sang ce que j'aime cette sensation du froid mordant et de mes mains qui perdent en sensibilité. Evidemment dès que je lui colle la première droite dans la face c'est plus pareil.

Et je commence à enchaîner les gauche-droite dans sa sale gueule. C'est mieux quand il est pas tout à fait conscient quand je commence, je préfère les grognements de douleur aux cris. Même avec mes bouchons les cris peuvent être vraiment difficiles à supporter dans certains cas.

C'est la partie du boulot qui me fatigue le plus, j'oublie toujours de m'échauffer et une fois que j'ai commencé je préfère pas m'arrêter pour pas perdre le rythme. Il commence à avoir du sang qui lui coule de la bouche et j'ai senti deux dents sauter, il a dû en perdre quatre du coup.

Je lui redresse la tête et j'ai le plaisir de prendre une lampée de sang sur la tronche. Je déteste toujours autant ça mais c'est ce que j'espérais : il est usé mais conscient.

- Alors c'est toi le felé dont tout le monde parle ?

Tiens ? C'est rare qu'ils causent, d'habitude ils me fusillent du regard ou m'insultent. Pour une fois que j'ai le droit à de la politesse, autant la rendre.

- Non moi je suis le blasé dont tout le monde se fout et qui, malheureusement, bosse avec le felé. Crois-moi je m'en passerais bien.

- Alors pourquoi tu le fais ?

C'est que je suis tombé sur un bavard... Etonnament je trouve ça plutôt rafraichissant, j'ai rarement l'occasion de discuter pendant le travail.

- Et toi ? Pourquoi t'as fait crâmer le Red House ? Pourquoi t'as cloué Al Heimes à son comptoir ? Pourquoi tu fais dans le trafic d'armes ? On fait tous nos saloperies pour certaines raisons.

Je lui prends la tête des deux mains et lui fracasse mon genou dans les dents. Le Red House était un bar sympa, j'ai l'impression que ça m'a énervé d'y repenser. De toute façon ce connard mérite bien pire que la dérouillée que je lui mets... Comme tous les précédents colis.

C'est quand il se met à tousser du sang que j'entends l'arrivée en fanfare de LA raison pour laquelle je déteste ce job.

- Hellooooo ! Bien le bonjour partenaire ! Toujours en pleine forme à ce que je vois.

- Bonjour professeur, il est prêt.

Ce putain de savant fou, avec son allure de quadragénaire décrépi en pleine crise existentielle. Un vieux blouson de cuir et des cheveux grisonnants, des gants à clous et des bottes en croco... Bien loin de l'image qu'on se ferait d'un type qui se fait appeler "professeur".

Le felé dont tout le monde parle, un des pires fumiers que je connaisse -et j'en connais beaucoup- et mon responsable direct.

Il sautille jusqu'à la chaise où est installé le colis en me collant une bonne tape dans le dos au passage comme à chaque fois. Et comme à chaque fois je dois me concentrer pour ne pas réagir, pour juste rester impassible et ne pas lui écraser ma glacière dans le visage.

- Appelle-moi "partenaire" voyons, je ne pourrais pas bien faire mon travail sans toi et ton indéniable efficacité. Allez maintenant tire-toi, je sais que tu ne veux pas voir la suite.

C'est le seul truc que j'apprécie chez lui : il a compris que son boulot me répugnait alors il me laisse partir quand il arrive, quand bien même mon boulot implique de m'assurer que tout se passe bien. Il est sadique mais il se déchaine suffisament sur nos clients pour que je sois épargné.

Je quitte le hangar, direction le café du coin, j'ai deux heures à tuer d'ici à ce que ce cinglé ait fini sa soupe, autant attendre au chaud.

C'est quoi son boulot à lui ? Transformer des dangers publics en dangers privés, ce pauvre fumier qui est entre ses griffes va se faire briser, charcuter, anéantir. Il n'y aura pas une seule goutte de sang mais ça sera bien pire qu'avec moi. Son esprit finira tellement fondu qu'il ne pourra même plus regretter mes coups de lattes. Je l'ai regardé faire une seule fois et je suis sorti vomir avant la fin de la première heure après avoir longuement hésité à lui faire bouffer ses putains de bottes en croco.

Quand tout sera fini le colis pourra tranquillement rentrer chez lui, avec un esprit bien réorganisé, pas pour en faire un bon citoyen propre sur lui mais pour en faire une putain de bombe. Il ne parlera jamais de ce qui lui est arrivé ici, en fait il oubliera tout : son trajet, le hangar, moi, le prof et tout ce qu'il a subi... Puis un jour, quand les bonnes conditions seront réunies, quand il entendra les bons mots, verra les bonnes images ou sentira la bonne odeur, il se souviendra de tout ce qu'il a enduré, de toute sa souffrance et surtout il se souviendra de ce qu'il doit faire pour ne pas souffrir à nouveau. Et ce jour-là il fera tout sans la moindre étincelle d'hésitation, peu importe les consignes que ce malade accroc au cuir lui aura données.

Voilà ce que c'est mon boulot en gros : livrer des salopards à un taré pour qu'il en fasse des armes afin d'attraper des salopards plus gros et recommencer encore et encore.

Je suis à deux pas du café quand mon téléphone sonne, c'est une petite mélodie de violon, la sonnerie qui correspond à ma chère petite étudiante. Rien qu'entendre cette musique suffit à me remonter le moral, que me veut ma princesse aujourd'hui ? La dernière fois qu'elle m'a appelé en pleine journée c'était pour m'annoncer qu'elle avait enfin osé inviter cette fille qui lui plaisait depuis des mois et qu'elle avait accepté. Elle avait plus crié que parlé et je n'avais pas pu en placer une mais ça m'avait donné le sourire pendant toute la journée.

Que va-t-elle me raconter aujourd'hui ? Décrochons et écoutons-ça.

- Bonjour monsieur Renner.

Cette voix rocailleuse n'est certainement pas celle de ma fille. En fait je sais précisément à qui elle appartient, au seul homme capable de nous faire passer, moi et le professeur pour des types biens : ce sale tricheur de Calvin Crowe. Pourquoi c'est un tricheur ? Parce que quand on se fait trancher la gorge d'une oreille à l'autre et qu'on se prend une balle dans la tête, le tout dans la même soirée, la règle c'est de crever. Mais ce cher monsieur Crowe a estimé qu'un oeil en moins et une voix de vieux bouffeur de nicotine étaient plus adaptés à son statut de fumier international.

Ce soir-là on avait été envoyés à douze et quatre de ses gars avaient été préalablement livrés au professeur, c'est eux qui avaient commencé le carnage. Le quatuor avait massacré leurs potes come des lions enragés à qui on aurait mordu le cul, c'était sale mais ça nous donnait un bon avantage pour démarrer. Malgré ça le carnage est devenu plus équitable et après l'"exécution" on est ressortis à trois. C'était une autre putain de mauvaise journée de travail.

Et aujourd'hui, après trois ans, cet enfoiré me donne des nouvelles avec le téléphone de ma fille, pas besoin d'être un génie pour comprendre la situation...

- Qu'est-ce que tu veux putain de nazi ? T'as pas des uniformes SS à racommoder ?

- Un ton plus bas monsieur Renner, vous ne voudriez pas qu'il arrive malheur à votre chair n'est-ce pas ?

- Me fais pas chier vieux fumier, tu la tueras dès que j'aurai fait la merde que t'es pas capable de faire toi-même. Alors dis-moi ce que tu veux et abrège !

- Vous n'avez aucun respect pour les convenances, c'est navrant. Mais très bien, ramenez-moi votre acolyte là où tout a commencé entre nous et, si vous venez désarmé, je vous tuerai et libérerai votre fille. Et ce malgré ses penchants douteux.

Rien qu'entendre sa voix me donne envie de lui faire bouffer ses dents et l'oeil qui lui reste. Comme tout aurait été plus simple si j'avais écouté le prof et lui avais ramené... La prochaine fois que je tombe sur un de ces phénomènes je lui arrache la tête et le coeur, histoire d'être absolument sûr.

- Passe-moi ma fille, je marcherai vers la mort pour la sauver, mais je ramènerai un tank si tu lui as fait le moindre mal.

J'entends ce salopard ricaner et donner quelques ordres puis je l'entends elle, je peux presque entendre les larmes qu'elle retient.

- Papa ?

- Salut ma belle, ça va bien se passer.

- Tu vas venir me chercher ?

- Bien sûr. Tu as été une bonne fille ?

- Ou... Oui.

Ses sanglots me brisent le peu de coeur qu'il me reste mais j'ai pas beaucoup d'options pour la suite.

- Teraz możesz się zatrzymać.

Quelques mots en polonais, les seuls que je connais.

Je raccroche et m'assois à même le trottoir, bordel qu'est-ce que j'ai fait ? Qu'est-ce qui est passé dans cette merde qui me sert de cerveau ?

À peine une minute plus tard j'entends à nouveau le violon, il ne me réjouit plus mais il faut quand même que je décroche.

- C'est terminé.

- Bilan ?

- Trois sujets neutralisés, aucun dommage.

- Triple vérification d'élimination, nettoyage personnel et regroupement.

- Très bien, il me faudra une heure pour être là.

- À tout à l'heure.

- À tout à l'heure papa.

Alors que je vomis mes tripes je me souviens de ce que le professeur m'avait dis il y a des années, lorsqu'on a su que Crowe s'en était tiré.

"Il ne t'oubliera jamais, partenaire, et s'il décide de te chercher il te trouvera et il trouvera ta fille. Je peux lui offrir la meilleure des protections, la seule qui lui offre une vie sans histoires si tout va bien et sans danger si non. Considère ça comme un avantage professionnel"

Ma fille est en vie, alors j'imagine que j'ai fait le bon choix mais je n'arriverai sans doute jamais à m'en convaincre. Jamais je n'oublierai ce jour où ma fille a été enlevée et ce que je lui ai fait faire pour qu'elle puisse à nouveau me sourire.

Elle ne se souviendra de rien et reprendra sa vie sereinement, moi je me souviendrai de tout et continuerai cette vie merdique.

D'ici quelques années je la verrai sortir diplomée de son université. Peut-être que je la verrai se marier à cette petite tatoueuse qui a d'abord cru que j'étais un réac homophobe alors que j'avais juste bloqué sur ces magnifiques yeux vairons.

Par contre si le professeur suggère de "sécuriser" ma belle-fille ou les petits enfants qu'elles voudront me donner -trop tôt afin que je me sente prématurément vieux- je jure que je le tue.

Enfin, ça ce sera uniquement si j'ai pas déjà été livré et programmé pour éviter ce genre de débordements...

Je déteste mon boulot.

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Table des matières

En réponse au défi

Enlèvement

Salut à tous !

J'ai remarqué qu'il n'y a encore jamais eu de défi sur le thème de l'enlèvement sur cette plateforme (ou alors il est drôlement bien caché). Je vous propose donc d'écrire une histoire où un ou plusieurs personnages se font enlever. Par qui ? Pour quels motifs ? Réussiront-ils à s'échapper ? Viendra-t-on les sauver ? À vous de voir !

Comme d'habitude, je vous demanderai juste d'éviter le contenu sensible. Pour le reste, vous êtes libres comme le vent !

J'ai hâte de lire vos textes !

Commentaires & Discussions

Juste un travailChapitre3 messages | 1 an

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