Chapitre 3 : Le descendant - Partie 1

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Lorsque le jugement rendu sera,

Cinq siècles passeront en paix.

Là où naît la lumière alors verra,

Trôner le désespoir en son palais.

Alors que vient la fin de toute chose,

L’absolu renaîtra en ces terres.

Celui que les neufs composent,

Et dont le nom est à taire.

Cinq âmes seront choisies.

Quatre âmes, les héritiers,

Par une dernière volonté, réunies,

Briseront les chaînes du passé.

La cinquième le roi sans trône sera.

Dans la tempête qui ravagera son cœur,

Son propre mal affrontera,

Mais un seul sortira vainqueur.

Car dans ce cœur d’enfant,

De grands conflits prendront lieu.

Et ce destin sanglant,

Devra se partager à deux…

Les murmures dissonants se perdirent autours d’eux et un calme glaçant s’empara des lieux. Criss frémit en observant les alentours. Les voix semblaient s’être infiltrées dans les moindres recoins de son crâne et résonnaient encore comme un lointain écho. Son esprit lui avait-il joué des tours ? Lorsqu’il croisa le regard de son camarade, il comprit que non. Sa gorge était maintenant terriblement sèche. Il décolla les lèvres et y passa la langue, incertain de ce qu’il s’apprêtait à prononcer, mais n’en eut pas le temps. Arch eut un brusque mouvement de recul et laissa échapper la stèle lorsque de fines particules en jaillirent. Elles se répandirent comme un subtil voile de poussière et de cendres. Il ne put s’en écarter. Elles serpentèrent et traversèrent soudain son corps tandis qu’il rejetait tête et bras en arrière. Un violent souffle se libéra autour de lui comme une onde de choc et Criss sentit ses pieds quitter le sol. Il fut projeté contre le mur opposé avec tant de force qu’il s’effondra, sonné par l’impact.

Lorsqu’il parvint à relever la tête, il ne vit que le chaos. Le contact électrique de la magie lui ravageait le visage et courrait sur sa peau comme des chevaux au galop. La pression spirituelle qui se dégageait l’écrasait littéralement. Par tous les dieux, jamais il n’avait ressenti telle douleur. Le goût cuivré du sang commençait à lui attaquer le fond du palais. Il ne pouvait pas respirer. Il ne pouvait pas bouger. Ses poumons et chacun de ses membres étaient broyés par le souffle qui se dégageait. Arch se tenait toujours debout au centre du maelström. Le voile sombre tourbillonnait inlassablement autour de lui, semblant plonger sur son avant-bras. Après quelques secondes, il finit par y disparaître et le calme revint. Le jeune garçon s’effondra alors comme un poids mort. Criss prit une grande inspiration, à bout de souffle. Ses yeux étaient rougis et quelques larmes avaient même dévalé ses joues. Son cœur martelait ses côtes comme un tambour de guerre, il n’était pas passé loin de l’asphyxie. Il retrouva pourtant toute lucidité lorsqu’il aperçut son camarade, immobile.

— Arch… Arch !

Il serra les dents lorsqu’il prit appui et ignora un moment la douleur fulgurante qui pulsa dans son genou. Il n’avait aucune idée d’où il pouvait encore tirer une telle force. Son choc avec le mur avait été plus violent qu’il ne voulait bien le croire. Sa vue était floue et chaque mouvement était une épreuve, mais il devait l’aider.

— Arch ! Pour l’amour du ciel, réponds-moi !

Il parvint à se relever d’un effort surhumain et vacilla avant de prendre appui sur le mur. A son grand soulagement, Arch bougea enfin le bras. Il s'appuya au sol et se redressa, secouant la tête de droite à gauche comme s’il émergeait d’un mauvais rêve.

— Par la barbe d’Arthor, souffla Criss en progressant péniblement de quelques pas dans sa direction, j’ai bien cru que tu étais mort ! Pourquoi est-ce que tu ne...

Il se tût. Arch releva vers lui un regard vide de toute lumière. Un frisson remonta très lentement son dos. Quelle était cette sinistre sensation ? Chaque cellule de son corps lui hurlait de ne pas s’approcher davantage. Quelque chose semblait le dévorer de l’intérieur. De la peur ? La température était glaciale à présent et bientôt, un nuage de buée accompagna les courtes respirations du jeune mage. Arch ferma les yeux et passa la main sur son visage, comme si la fatigue le prenait. Du bras, il chercha inutilement un support dans le vide mais il chuta en arrière. Criss sembla enfin revenir à la raison et se précipita vers lui. Il grimaça en se jetant à genoux, les mâchoires fermées, mais la douleur n’avait pas d’importance. Il trouva son ami inconscient. Il posa immédiatement la main sur son front. Sa peau était gelée, comme il ne l’avait jamais senti chez personne auparavant.

— Arch réponds-moi ! s’écria-t-il inquiet, est-ce que tu m’entends ?

Il lui secoua l’épaule et lui donna quelques coups sur la joue mais ils restèrent sans effet. Au moins respirait-il toujours, ce qui le rassura. Il expira de dépit. Il allait attendre. Il frotta un temps sa nuque endolorie et s’arrêta sur la tablette de pierre noire à sa droite. Ses yeux se plissèrent tandis qu’il cherchait toujours à comprendre ce qui venait de se passer, mais rien n’avait de sens. Un sentiment, pourtant, lui restait très clair, ses membres en tremblaient encore. Quelques graviers tombèrent non loin sur l’autel, accompagnés d’un filet de poussière, et attirèrent brièvement son attention. Il sursauta lorsqu’un bloc de pierre s’écrasa à son tour, éclatant sur le sol dans un fracas détonnant. Plusieurs éclats roulèrent jusqu’à lui et il observa aussitôt le plafond avec effroi. L’onde de choc qui l’avait plaqué au mur avait fragilisé l’édifice. Une large fissure se propageait à présent en disloquant la pierre dans une série de craquements sourds. Il lui fallait sortir, au plus vite.

Il saisit son camarade à la taille et le hissa de toute ses forces sur son épaule. Il poussa un grognement d’effort en se relevant et se retourna immédiatement pour fuir, faisant fi de la douleur. Il n’eut pas fait un pas qu’il s’arrêta pourtant. Le grand loup blanc qu’ils avaient suivi jusque dans ces lieux lui faisait face devant les escaliers, nullement inquiété par l'éboulement imminent. Criss le fixa, méfiant, sans faire le moindre geste. Ce n'était vraiment pas le moment pour une telle rencontre. Son arc était inaccessible, il ne pouvait pas se défendre, et le temps pressait. Alors qu'il cherchait la meilleure façon de se tirer de ce mauvais pas, un nouveau grondement le ramena à l’urgence de sa situation. Il leva les yeux et constata avec horreur que tout un bloc du plafond était en train de céder. Un insoutenable éclair de douleur lui traversa le genou tandis qu’il se jetait en avant. De justesse, il parvint à éviter l’éboulement qui s’écrasa dans un bruit de tonnerre. Entraîné par sa course, il trébucha et Arch roula à terre devant lui tandis qu’il tombait dans la poussière. Ne lui laissant que peu de répit, il observa la fissure au mur se propager et gagner la base de l’un des grands piliers qui se brisa sous le poids de celui-ci. Il vacilla une seconde et s’inclina bien vite vers eux.

— Oh bon Dieu de merde…

Il tâcha de reculer mais dérapait sur le sol. Jamais il n'aurait le temps de se dégager lui et son camarade. S’en était fait de leur escapade. Une ombre jaillit à ses côtés. Le loup, il l’avait complètement oublié. En un instant, il fut sur eux. Ne lui laissant nullement le temps de réagir, il attrapa Arch par le col et le tira sur le sol, hors de portée. Criss n’hésita pas une seconde et roula du côté opposé. Il se recroquevilla, protégeant sa tête de ses bras. La colonne s’effondra de tout son long, éventrant le sol avec fracas. Il s’affaissa littéralement sous le poids et l’important éboulement du plafond qui suivit les sépara. Le loup laissa échapper un couinement tandis qu’il se jetait avec Arch dans les escaliers pour échapper aux dernières chutes de pierre.

— Arch ! s’époumona Criss depuis l’autre côté.

La sortie fut totalement obstruée en quelques instants et il dût se résigner. Il n’avait d’autre choix que de laisser son camarade au bon vouloir de l’animal. Il l’avait sauvé, pensa-t-il, peut-être qu’Arch avait raison depuis le début le concernant. Dans un énième effort, il se remit sur pied et observa les lieux, haletant comme un bœuf. Le sol tremblait comme jamais et il sentait la vibration remonter dans chacun de ses os. Tout s’effondrerait bientôt, il le savait, mais il n’avait plus de sortie. Il était étrangement calme compte tenu de la situation. Ses yeux s’arrêtèrent sur la stèle qui gisait toujours à terre. S’il avait la moindre chance de s’en sortir, peut-être que le professeur en saurait plus sur ce qui venait d’arriver. Il l’attrapa et en chassa la poussière, dégageant les lettres d’or. Il était incapable d’en comprendre le sens. Il allait la glisser dans son sac lorsqu’à nouveau, une étrange sensation courut sur sa peau. Murmurant comme le vent, les voix reprirent à ses oreilles. Il recula, scrutant frénétiquement les lieux autours de lui :

Celui qui se présentera le premier,

Sang-pur sera de flammes auréolé.

Héritier du feu, aspect de l’ignescence,

Braise brûlant d’une soif de vengeance.


Qu’une fois l’aîné aux cendres retourné,

Devienne gardien d’une ardente lignée.

Que la lueur de vérité révèle la voie,

Et fasse de lui, l’égal du roi…

Quelques particules semblèrent se détacher de la tablette, gravant progressivement de nouvelles runes sur la surface noire. Elles brillaient de teintes écarlates et se rassemblèrent bientôt comme un véritable essaim, flottant autours de Criss. Le jeune mage comprit rapidement qu’il subirait le même sort qu’Arch s’il ne s’en éloignait pas. Mais comment fuir ? Il était encerclé. Il agita les bras, tâchant de les repousser, sans succès. Elles transpercèrent son corps tandis qu'il écarquillait les yeux. Il tituba de surprise, faisant quelques pas en arrière. Il n’avait senti aucune douleur mais sa respiration lui fit défaut, comme si ses poumons s’embrasaient. Une vague de chaleur se propageait dans chacun de ses membres. Il avait chaud, il étouffait. Ses mains laissèrent bientôt échapper des flammes qu’il ne pouvait contrôler. Il voulut s’en débarrasser mais elles gagnèrent en intensité et finirent par le submerger. Il rejeta alors la tête et les bras en arrière tandis que les lieux qui l’entouraient étaient noyés sous une déflagration ardente.

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