Chapitre 3 : Le descendant - Partie 4

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Dans un recoin de la place du village, quelques enfants s’étaient rassemblés en un petit groupe. La neige avait disparue et un grand soleil trônait haut dans le ciel. Mais celui-ci était trouble et sans couleur. Les contours des objets et des silhouettes étaient à la fois flous et noirs comme de l’encre, dénués de vie. Le vieux bâtiment encore debout sur leur droite indiquait qu’il s’agissait du passé. Arch faisait à nouveau le même rêve qu’à l’accoutumée. Il se tenait sur la place comme un fantôme, simple spectateur de la scène qui se déroulait devant lui.

–Tu veux quoi encore ? s’écria l’un des enfants. On t’a dit de partir !

Son visage était masqué par les ombres et l’atmosphère étrange qui les entourait. Les autres enfants étaient rassemblés en arc de cercle à ses côtés, tous sauf un.

–Je voulais juste…

La voix tremblante s’arrêta et Arch laissa échapper un soupir en baissant les yeux vers le gamin à ses côtés qui se tenait à l’écart des autres.

— T’approche plus de nous ! l’agressèrent à nouveau les enfants.

— Ma mère dit que tu es dangereux ! Tout le monde le dit au village !

— C’est vrai ! Mon père m’a prévenu que si on t’approche encore on sera maudit nous aussi, ajouta une fillette.

— C’est faux, je suis comme vous !

Le gamin fit un pas dans leur direction mais les autres enfants reculèrent en conséquence. Il s’arrêta, déçu, voyant bien que toute tentative s’avérait vaine.

— Ne t’approche pas de nous ! Tu as blessé Edward et Adam, on te faisait confiance pourtant.

— Confiance ? S’étonna-t-il d’une voix plus froide. Ils m’ont menacé, ajouta-t-il à voix basse.

— Sale menteur ! On veut pas de toi !

L’un d’eux lui lança soudain une pierre et le toucha à la tête. L’enfant tomba à terre dans la poussière contre le mur le plus proche et percuta plusieurs grands vases dans sa chute. Ils vacillèrent avant de se briser avec fracas. Arch demeura immobile, les yeux perdus dans le vide. Il revivait sans cesse la même scène où il ne pouvait agir. Les enfants échangèrent quelques regards vifs, comme si celui qui avait fait ça venait de les condamner. L’attention de quelques passants se dirigeait déjà vers eux.

— Partons ! tonna l’un d’eux tandis qu’ils détallaient dans des directions opposées.

Ils quittèrent tous les lieux. Tous, sauf l’un d’entre eux, plus âgé. L’agresseur s’approcha de sa victime, toujours allongée sur le sol, les mains plaquées sur le crâne. Il s’arrêta devant lui, un air menaçant sur le visage. Les regards se détournèrent autours d’eux et Arch ne regarda pas non plus, se contentant d’écouter.

— Tu n’as rien à faire ici sale monstre.

Il leva le pied et le frappa alors violemment en plein ventre. Les frappes s’enchaînèrent et s’abattirent sur l’enfant, sans répit. Arch sentit chaque coup résonner dans sa propre poitrine et ses dents se serrèrent.

— Ne t’avise plus jamais de nous approcher.

L’agresseur le laissa finalement étendu sur les pavés. Le pauvre enfant serra les bras autours de ses côtes dans un gémissement et ne put que l’observer disparaître dans la ruelle. Il resta quelques instants dans cette position pour réduire la douleur, essayant en vain de se retenir de pleurer tandis qu’un filet de sang coulait de ses lèvres. Arch l’observa, le visage froid, immobile. Le temps s’écoula rapidement et bientôt, de nouvelles voix s’élevèrent sur sa gauche. Le propriétaire de la maison aux vases brisés était sur le pas de la porte, les bras croisés et écoutait les excuses gênées d’un homme à la barbe parfaitement taillée et aux lunettes rondes. Arch reconnut Hockman, quelques années plus jeune, mais son regard descendit bien vite sur le gamin qui attendait derrière lui. Il se tenait les côtes, une expression coupable sur le visage. Il leva les yeux vers le professeur lorsque celui-ci s’inclina en avant, comme s’il demandait pardon à sa place. Le gamin baissa la tête, déçu, puis essuya le sang sur son front avec sa main. A la vue de la couleur pourpre qui avait déteint sur ses doigts, son regard changea. Une soudaine détermination l’envahit, comme s’il se promettait quelque chose à lui-même.

Arch faisait assidument ce même rêve, une part sombre de son passé qui avait contribué aux objectifs qu’il s’efforçait aujourd’hui d’atteindre. Il s’agissait certes des rêves et des espoirs d’un enfant, mais pour lui la magie avait tellement à offrir. Elle était sa seule porte de sortie pour échapper à ses tristes réminiscences. Il se l’était promis. Pour autant, revivre ces souvenirs, comme tous les autres, lui pesait chaque jour un peu plus. Il soupira et attendit de se réveiller comme il le faisait d’habitude mais seule la température chuta, brusquement. Un brouillard envahit les lieux et l’ombre du gamin qui se tenait encore devant lui y disparut, recouverte par la neige qui commença à tomber. Une présence le fit frissonner tandis que les voix qu’il avait entendu dans la forêt murmuraient à nouveau à son esprit. Elles résonnèrent comme un lointain écho, mais elles étaient différentes. Elles étaient si noires que les plus profonds abysses paraissaient s’ouvrir devant lui pour l’engloutir :

« Tu n’as jamais eu de parents... Jamais eu d’amis...»

Il entendit un bruissement à côté de lui et aperçut une ombre passer à travers le brouillard et la neige pour disparaitre à nouveau. Il était incapable de discerner clairement. Une silhouette sombre se dessina derrière lui. Elle se redressa en rassemblant les ombres alentours et il s’arrêta soudain de bouger, comme s’il sentait finalement sa présence. Il risqua un regard par-dessus son épaule, mais tout était noir.

« Tu es seul...»

Arch se réveilla d’un bond dans son lit, haletant comme jamais. Quelques gouttes de sueur roulèrent sur son visage. Son cœur battait à s’en casser les côtes. Sans lui laisser le moindre répit, la marque sur son bras se mit à brûler et une douleur terrible se propagea dans les moindres recoins de son crâne. Il chuta de son lit tant la douleur était vive et s’effondra sur le plancher, la tête entre les mains. Il tenta de lutter un instant mais ses forces le trahirent tandis qu’il perdait connaissance.

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