7 – Alicia

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Pour le Conseil Global, échec et mat. Quand quelqu’un daigna enfin répondre, Alicia récolta une fin de non-recevoir.

— Comment ça, ils sont en conférence plénière ? Ils peuvent bien s’interrompre un moment, non ?

— Je suis désolé, mais… Il nous est interdit d’entrer dans la salle. Ils vous rappelleront quand ils le pourront !

Alicia fulminait devant la console.

Pourquoi j’y crois pas ?

— Et pour les urgences, ils font comment ?

— Pourquoi, c’est urgent ?

— Je vais être honnête, je n’en sais rien justement. C’est pour ça que je veux leur parler. Au moins aux deux miens !

D’un air gêné, l’interlocuteur d’Alicia lui expliqua la porte close de l’intérieur et toutes les communications coupées. Soi-disant une nouvelle réglementation. Une première ! Elle se demanda ce qui était le plus extraordinaire entre cela et l’étrange phénomène qui s’était produit au village. Que se passait-il donc de si important pour que ce conseil ait désormais des secrets pour les siens ?

Par contre, auprès d’autres communautés, les résultats furent plus positifs. Elle avait limité les informations de son post aux faits stricts, demandait juste si des comportements inhabituels chez les très jeunes enfants et les animaux avaient été perçus, ou si une espèce inconnue avait été repérée. Elle avait soigneusement choisi ses mots-clés, visant principalement un jargon scientifique. Au moins, elle fut lue, avec des promesses de retour après examen attentif. Un voisin vivant à une cinquantaine de bornes y réagit plus prestement que les autres. Il l’appela.

— Vous aussi ? Personne m’a cru chez moi. On m’a traité de parano ! répondit-il, soulagé mais toujours effaré. Je connais ma gosse, tout de même.

Alicia retourna à leur salle d’entraînement, déjà envahie, et de loin pas uniquement par ses jeunes recrues Dragons. Des visages invisibles jusqu’ici tenaient à être de la partie. Le bouche-à-oreille avait fait son œuvre, attisant la curiosité. Au lieu de pouvoir se défouler, elle fut invitée à traverser la pièce transformée en salle de visionnage et à expliquer tout ce qu’elle pouvait de l’événement. Et là encore, les émotions défilèrent sur le visage des spectateurs, passant de l’amusement à l’incrédulité ou la frayeur. Tout comme les gamins plus tôt dans la journée, l’instinct poussa les mains à se tendre pour tenter de toucher ces étranges apparitions sublimées par le visioholo, ou à tout faire pour les éviter.

Elle expliqua le fonctionnement du petit module, ses réglages préexistants qui combinaient les longueurs d’ondes. C’était sûrement cela qui a permis de déceler l’invisible. Un mode combat spécial pour sa détentrice initiale. Dire que ces anciennes reliques avaient été remisées au fond d’un placard. Perçues plus comme les symboles d’un monde de violence que comme des prototypes, elles n’intéressaient plus personne. Jusqu’à aujourd’hui.

Le soir, les hypothèses fusèrent. Une nouvelle espèce de notre planète ? Surprenant qu’une mutation se produise aussi rapidement. Une conception génétique provenant d’autre part sur le globe, création humaine pour un objectif des plus flous ? Espionnage ou contamination ? Impossible à savoir.

Décision fut prise. Devant l’absence de réponse et suite à l’invitation du premier répondant de son annonce, Alicia partait avec la majorité de son groupe, ainsi que sa petite famille. En effet, elle aurait eu bien du mal à se séparer de sa fille encore si jeune. Pas seulement parce que son intuition lui disait que cela risquait d’être long avant son retour au village de la forêt. Elle peinait à la quitter des yeux, alors s’éloigner d’elle des jours ou des semaines, ou pire s’ils se trouvaient bloqués par l’arrivée de la saison froide au moment du retour.

Pour confirmer ce choix, Mike était aussi volontaire, ainsi que sa sœur Natty, ravie de poursuivre son grand tour avec un objectif aussi inhabituel. De toute manière, le danger pouvait être n’importe où, même au village, alors l’unanimité l’emporta.

Le lendemain fut consacré aux préparatifs, sous la supervision d’Alicia. Les véhicules sortis, briqués, révisés et chargés. Les paquetages, les vivres emballés, sans oublier un chargement de bière du cru, spécialité du village depuis des générations très prisée des amateurs et très appréciée en cadeau d’arrivée dans n’importe quelle autre communauté. La petite caravane se constituait, comme un écho lointain de ce que les premiers Dragons pouvaient assurer lors de leurs départs en mission.

Une mission. Une mission comme il n’y en avait plus eu depuis bien longtemps. Un convoi entier, comme autrefois. Toutes ces vieilles vidéos d’archive qui avaient laissé rêveuse la petite fille qu’elle avait été prenaient vie sous ses yeux.

Quelques différences tout de même. La configuration des petits engins à l’avant et autour des plus gros était toujours de mise, et les véhicules arboraient toujours le lion cerclé du dragon. Mais un profil plus fuselé dominait, avec des matériaux bien plus légers et solides. Sur les motos, pas de binôme. Il n’y aurait nul besoin de se battre en chemin. Et les armes resteront dans les bennes. Toutes les armes. Jusqu’à nouvel ordre.

Au passage, ils guetteraient les communications et prévoyaient de faire escale dans d’autres communautés en fonction des réponses. En filmant ailleurs, cela augmentera les preuves. Ils espéraient aussi être rejoint par divers spécialistes en cours de route. En attendant, il fut expressément conseillé de garder les plus jeunes enfants du village sous surveillance constante, que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur, au cas où des murs ne retiendraient pas ces choses.

Vers la fin de l’après-midi, sous prétexte de passer un moment avec sa fille, Alicia se faufila hors de la ruche en activité qu’était devenu le village pour faire un tour en forêt. La petite dans son dos, elle marcha jusqu’à la rivière et la longea, profita de la quiétude des lieux pour se ressourcer au calme après l’agitation de ces derniers temps. Voir sa fille s’extasier devant l’envol d’un passereau ou un défilé de fourmis et entendre ses babillages encore confus en réponse aux explications de sa maman l’apaisa tout autant. Dans ces moments, la jeune Prisca ne cessait de gloser, source intarissable de paroles et d’histoires dans son langage d’enfant. Sinon, en présence d’adultes hors de sa famille, quand la petite voulait une chose précise, elle prononçait le mot désignant l’objet de son désir en le montrant du doigt. Uniquement ce mot, parfaitement prononcé, juste après un petit regard vers ces extérieurs à son cercle familial, comme si elle refusait de se tromper devant eux, au grand amusement de ses parents quand ils eurent compris son manège.

Alicia ne fut apparemment pas la seule à vouloir un petit moment de quiétude. Après le repas du soir, Prisca couchée et les derniers rangements de leurs affaires personnelles pour le cas où quelqu’un aurait l’utilité de la maison en leur absence, son compagnon l’invita sur le patio. Elle savait pourquoi. Ils terminaient souvent leur journée sous l’auvent de la maison, à profiter du calme revenu sur le village. Mike adorait ces moments. Alors tous deux lovés l’un contre l’autre sous la lumière des étoiles, ils savourèrent la fraîcheur de la soirée en admirant le ciel nocturne, une bonne tasse fumante entre leurs mains.

Enfin le jour du départ. Juste avant de rejoindre le convoi, Alicia retourna brièvement dans leur maison. Arrivée à leur chambre, elle s’assit sur le lit, ce grand lit en bois de pin issu de la forêt ceinturant le village et qui avait traversé les générations. Elle resta là un moment, huma la douce odeur du bois, cette odeur qui lui rappelait son foyer chaque fois qu’elle l’avait senti lors de ses voyages. Elle se leva, passa sa main sur les nœuds et les déliés des murs dont personne n’avait voulu cacher les planches brutes. Juste avant de sortir, elle récupéra une autre relique dont elle était la gardienne, étant considérée comme la chef du clan familial. Une relique qui se transmettait de génération en génération. Seuls les quelques rares descendants des premiers membres importants du Réseau alors à peine à ses premiers balbutiements possédaient ce genre de pendentifs, forgés pour des membres qui devaient se faire discret dans la société avant la Chute. Cette fois-ci, elle ne le garda pas dans sa main.

Quand elle sortit, autour de son cou, caché sous ses vêtements et au contact direct de sa peau, un autre dragon protégeait son lion.

Avant de partir, Alicia fit un tour d’horizon du village. Un décor qui avait aussi changé avec le temps. Les technologies avaient été développées et combinées pour coûter le moins possible à la Terre. La protection de la vie, devenue une des priorités du Réseau, ne quittait pas les esprits dans l’étude de chaque construction. Ainsi, le village avait vu ses grands bâtiments de béton disparaître au profit de plus petites structures et de maisons où le bois et d’autres matériaux naturels dominaient, et le paysage urbain se fondre au fur et à mesure avec son environnement. Plus aucune nouvelle construction n’était lancée sans justification, partant au maximum de fondations existantes. Et la seule route bitumée subsistante, entretenue au fil des générations, traversait la forêt pour terminer à l’entrée du village, peu après le hangar. Tout autre passage se composait de chemins herbus, sableux ou pierreux que seuls pieds, pattes, sabots et vélos arpentaient, sinuant entre jardins, habitations, institutions publiques et prés.

Comme pour un dernier au revoir, sa petite Prisca se roulait dans l’herbe avec un des chiens du village, sous le regard insondable de sa minette préférée, une vieille chatte qui avait choisi leur maison comme foyer pour passer les longues nuits d’hiver à l’abri. Alicia la récupéra, amusée, puis soupira. La vie ici lui était si agréable, un nid fleurant bon la sérénité.

Ce village tapis loin dans cette forêt étonnamment préservée par les siècles, elle ne l’avait plus quitté depuis des années. La dernière fois datait de son propre Grand tour, avec un grand échalas du nom de Marc dans ses bagages de retour, et le père d’Alicia n’était parvenu à faire le trajet que pour la naissance de sa petite-fille, les appels visioholos compensant son blocage. De ce voyage, rien ne laissait présager ce qu’elle y ramènerait, ni quand.

— Tenez-vous prêt, dit-elle aux compagnons de son groupe restant sur place. Après tant de décennies, il est possible que nous ayons à reprendre du service… Hélas.

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