Ma voix s'était dédoublée, suggérant à ma langue ce que jamais elle n'eut osé prononcer. De toutes les pensées qui grouillaient en moi, il y en avait une qu'elle retenait farouchement de peur qu'elle n'éclate au grand jour. C'était une voix dissidente, pétrie de rancune, on aurait dit qu'un être aigri l'avait composée dans le seul but de m'avilir.

Elle se manifesta la première fois suite à une conversation que j'eus avec mon meilleur ami. J'aime bien parler vous savez, je parle, je parle et je ne m'arrête pas. Autant vous dire que je ne me rendais pas compte de ce qui allait survenir. Nous étions près d'une gare, le soleil était haut dans le ciel. J'expliquais à mon ami combien je m'en voulais d'être naïf. On avait beau me prévenir d'un danger, je tombais à chaque fois dans le panneau. Mon ami m'écoutait sans rien dire, il paraissait un peu las, presque fatigué d'écouter les mêmes histoires à longueur de temps. Je lui dis :

« - Tu te rends comptes, j'ai pris le temps de l'aider, je lui ai apporté tout mon soutien et tout ce qu'il a trouvé à faire c'est me poignarder dans le dos. Chaque fois que je veux aider quelqu'un, c'est la même. Il serait peut-être temps que je me réveille et que je ne me laisse plus marcher sur les pieds.

- Tu devrais plutôt arrêter de raconter ta vie parce que là j'en ai marre d'entendre le même refrain, me lance-t-il tout d'un coup. Je suis ton ami, je ne suis pas ton thérapeute. Tu penses quoi ? On est tous frappés par des épreuves mais à force de cultiver du négatif, on finit par se décourager, c'est certain. »

Je n'en revenais pas... Lui aussi ! Celui que je considérais comme mon ami de toujours ne comprenais pas ce que je ressens. Qu'est-ce qui m'avait pris de faire confiance aux autres ? Il aura suffit que j'ai un tout petit peu besoin d'eux pour me rendre compte de leur égoïsme.

Elle était là, la voix que j'avais jusqu'alors étouffée, cette voix aiguisée et aigrie qui rend toute chose fade et défectible. J'avais perdu le goût des choses et semblais indifférent à chaque opportunité que l'on me présentait. Vous pourriez m'inviter au cinéma, m'offrir un cadeau, me parler d'une innovation qui changerait la face du monde, je n'en aurais strictement rien à faire. C'est ainsi que la rancœur s'installe, vêtue de son manteau gris et large. Elle n'accepte de voir que le côté terne de la vie, ce que les gens fuient et abhorrent.

L'homme est connu pour son aptitude à créer du lien social et à vivre en communauté. Si on lui retirait cette faculté, il ne serait plus qu'un individu en proie aux doutes et à la monstruosité de la solitude. Tous autant que nous sommes, nous avons besoin à un moment donné de notre vie de recourir aux autres pour nous construire ou simplement se sentir accepté. La méfiance ne doit pas être un prétexte pour s'isoler mais plutôt être vue comme un défi à relever.