Désamour

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Clac, clac, clac, que ça faisait.

Clac, clac, clac, dans le noir et le silence.

Clac, clac, clac

Clac, clac, clac

Rien d'autre, à part le son de la cadence. La tête plongée dans l'oreiller, elle étouffait ses cris. Lui, il lui suffisait de garder la bouche fermée, les dents serrées. Une goutte de sueur tomba de son front, pour s'écraser sur la nuque de Mélissa.

Clac, clac, clac

Clac, clac, clac

Le mouvement réglé comme un métronome, mécanique, comme leur soi-disant amour.

Clac, clac, clac

Pas un bruit, rien, à part le sommier qui grince, la chair qui cogne la chair. Jusqu'à ce qu'un filet de demi-extase s'échappe de lui, et qu'il exhale un souffle d'entre ses lèvres pincées. Il se laisse tomber à côté d'elle. Son sexe retombe avec son envie. Mélissa reste sur le ventre. Elle ne fait que resserrer les cuisses, pour éviter qu'il ne s'écoule d'elle.

Elle n'a pas envie de faire une machine pour nettoyer les draps, alors elle tire un à un les mouchoirs qui traînent sur la table de nuit, et les porte à son entre-jambe.

Yann se lève, fouille le jean qu'il a balancé par terre, et va se poser à la fenêtre. L'air frais entre dans la chambre. Ses poils se hérissent, la chair de poule vient. Sa peau réagit davantage à la nuit qu'au corps de sa femme. Il allume une cigarette entre ses lèvres, et ne se gêne pas pour le lui dire.

« Tu deviens grosse. »

Mélissa a basculé sur le dos, et tiens les mouchoirs entre ses jambes. Elle ne trouve rien à redire. C'est vrai qu'elle a grossi, mais lui aussi. Il a pris de la graisse sur les hanches. Elle se garde bien de le lui reprocher. Un bleu sur son épaule, c'est amplement suffisant.

« T'étais bien avant. Maintenant t'es flasque. T'as des cuisses plus grosses que les miennes, t'as le gras des bras qui tombe. T'avais pas un brin de cellulite avant. »

C'est vrai, elle s'était laissée aller. Terminé le sport, mais plus de McDo, de pizzas, de glaces, de bonbons. Plus de saloperies. Pour combler.

« Va falloir changer ça. »

C'est pour ça qu'il ne la prenait plus de face. Mords l'oreiller, qu'il avait dit. Faut que tu mordes l'oreiller pour pas réveiller la petite. Comme s'il s'en préoccupait, de la petite. Il s'en foutait. Même pas capable de l'appeler par son prénom. Tchiotte, qu'il lui disait. Jamais Elodie, jamais ma chérie, jamais ma puce. Tchiotte. Comme il appelait n'importe quelle gamine dans la rue. Juste Tchiotte.
Et le pire, c'est qu’Élodie aimait ça. Elle pensait que c'était affectueux, que c'était son petit surnom rien qu'à elle, donné par son papa. Je m'appelle Tchiotte, qu'elle disait. Sans savoir que c'était rien d'autre que de l'indifférence.

« C'est parce que tu passes tes journées à rien foutre, ça. »

C'est vrai qu'elle ne travaillait pas. Mais c'était pas faute de chercher. Elle en passait du temps, à téléphoner aux agences d'intérim pour leur demander des nouvelles, à éplucher toutes les annonces sur internet. Elle allait même sur leboncoin, pour postuler à toutes les annonces pour des boulots de merde. Elle avait essayé le McDo, le Quick, le KFC, et tous les fastfood à la con ; les boutiques de fringues, les postes de vacataires à la mairie, les remplacements à l'usine Panzanni, le ramassage des fraises.

Elle trouvait seulement du black : du repassage pour des gens qui pouvaient se permettre d'être feignants, de la garderie pour les mamans qui n'avaient pas assez pour se payer une vraie nounou, du ménages chez des vieux sans le sou, qui essayaient de lui mettre la main au cul dès qu'elle passait trop près d'eux.

C'est vrai qu'elle avait pas de vrai travail, mais elle ne foutait pas rien. Elle cherchait, elle bossait au noir pour des sommes de misère, elle s'occupait de leur fille, et elle s'arrangeait pour que cet appartement de merde ressemble à quelque chose. Elle aurait bien voulu lui dire, mais elle préféra se taire. Elle lui gueula dessus en silence, comme d'habitude.

« Je me crève le cul au boulot, et toi tu restes tranquille à la maison. Ça me déglingue. »

Il tira une bouffée, avalant la fumée qui le tuait à petit feu. Mélissa se surprit à espérer que ses clopes le tuent le plus tôt possible. Avant que ce soit lui qui finisse par avoir sa peau.

« T'es même plus bonne à baiser. »

Il revint vers son côté du lit, laissant la cigarette se consumer dans la chambre. Mélissa détestait cette odeur de cendre, mais il s'en fichait. Il attrapa son verre de Jack, encore assez bien rempli, et retourna à la fenêtre, prenant une longue gorgée en chemin. Auparavant, il grimaçait chaque fois qu'il buvait de ce liquide bistre. Désormais, il avalait l’alcool comme si ce n'était que de l'eau colorée.

Son sexe pendait, mou, courronné de poils noirs, longs et bouclés, qui remontaient le long de son ventre, jusqu'à son torse. Il y avait une époque où il se rasait, parce que Mélissa n'aimait pas la toison qui fleurissait sur son corps. Désormais, il se foutait bien de lui plaire.

« Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça, hein ? » il but encore, tira une latte. « Hein ? Qu'est-ce que j'ai fait ? »

Tu veux vraiment que je te le dise ?

« Putain de vie de merde, je te jure. »

M'en parle pas.

« T'es la seule bonne femme qu'a bien voulu de moi, tu sais. C'est pour ça. » Il laissa le vent murmurer, avant de poursuivre : « La seule. C'est pour ça. C'était pas terrible, mais c’était mieux que rien. Je sais que c'est ça que tu penses, toi aussi. »

Non, ce n'est pas ça qu'elle avait pensé. Elle avait trouvé ça bien. Elle était amoureuse, et elle croyait que lui aussi. Sauf que non. Il était là parce qu'elle était la seule. C'est tout. pas d'amour, pas de sentiments. Tout ce qu'il avait jamais ressenti pour elle, ce n'était rien d'autre que de la résignation.

« Il a fallu que tu fasses la tchiotte. C'était pour me foutre en prison, c'est ça ? C'est juste pour me coincer. »

Elle aurait bien voulu lui trouver des excuses, et pouvoir penser que c'était à cause de l’alcool. Mais non. Il était sincère. Il le pensait.

« Je sais que t'es pas heureuse non plus. »

Au moins, il n'était pas si aveugle que ça.

« Des fois, je pense que ce serait mieux si tu te suicidais. »

Mélissa a les yeux humides. Elle a envie de pleurer. Elle se retient, pour qu'il ne l'entende pas. Mais elle renifle, et c'est trop tard. Il sait.

« Je sais que t'y penses. J'ai vu les messages que t'as envoyés à Manon. Et je pense que t'as raison. Si t'as envie, faut pas que tu penses aux autres. Faut le faire si t'es pas heureuse, t'en as rien à foutre des autres. C'est pas eux qui vivent à ta place, c'est facile pour eux de dire que c'est n'importe quoi de se foutre en l'air, que ça ira mieux. »

Il avale le reste de son verre.

« Moi je pense que tu devrais le faire. »

Mélissa se couvre la bouche, pour ne pas laisser s'échapper la souffrance ; pour étouffer la complainte, pour asphyxier ses pleurs. Elle se demande comment. Comment l'homme qu'elle aimait tant, et qui l'appréciait suffisamment pour que ce ne soit pas si mal, en était arrivé à la détester à ce point.

« Ce serait mieux pour tout le monde, je crois. »

Elle le sent encore glisser d'elle, s'échapper d'entre ses jambes pour sécher sur les mouchoirs. Elle a encore la sensation de l'avoir à l'intérieur. Elle sent encore sa sueur, son odeur ; le fantôme de ses mains sur sa peau, et sa sueur dans son dos. Pourtant, il lui dit qu'il la hait.

Alors elle se lève, et s'échappe de la chambre pour rejoindre la salle de bain. Elle claque la porte pour qu'il l'entende. Elle a sans doute réveillé Élodie, et elle le regrette un peu. Mais pas longtemps. Elle sait qu'il sait.

Il sait ce qu'il y a, dans l’armoire à pharmacie. Plein de médicaments, des calmants et des anti-dépresseurs. De l'Atarax, du Lexomil ; des conneries à base de plante, de l'homéopathie ; suffisamment de paracétamol pour se flinguer le foie ; du spasfon, des restes de sirop pour la toux, de l'amoxicilline ; tout plein de truc qui sont sûrement pas très bons, si on les prend tous ensemble.

Sinon il y a la baignoire, et des lames de rasoir. Elle décide de faire couler de l'eau, voir s'il va réagir.

Dans la chambre, Yann jette sa clope par dessus la balustrade. Il entend l'eau couler, et esquisse un sourire. Peut-être que cette fois ce serait la bonne. Peut-être qu'elle n'allait pas se louper, cette fois.



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