Perfect Body

3 minutes de lecture

La campagne publicitaire avait parfaitement fonctionné. Dès l’ouverture du magasin, des hordes de curieux et d’acheteurs potentiels s’étaient ruées vers les rayons dédiés au nouveau corps synthétique de dixième génération. Ce modèle, d’une perfection physique inégalée, était équipé d’un assistant cérébral bénéficiant des toutes dernières avancées en matière d’intelligence artificielle.


La publicité montrait les performances dont étaient capables ces enveloppes corporelles qui se substituaient parfaitement aux corps naturels. Une séquence particulièrement impressionnante mettait en scène plusieurs « PerfectBody v.10 » en mode autonome c’est-à-dire sans l’apport des éléments vitaux et psychiques du receveur. L’illusion était parfaite, les gestes, la parole le comportement général ne présentait aucune faille permettant de déceler qu’il s’agissait d’un artefact. Dans sa version de base, le PerfectBody était doté de toutes les caractéristiques lui permettant de se fondre dans la population sans attirer l’attention. Toutefois ses performances intellectuelles et physiques exceptionnelles ne pouvaient être activées pleinement que par la volonté d’un véritable cerveau. Même ainsi bridé il pouvait se lancer dans n’importe quelle activité humaine avec un taux de réussite largement supérieur à la moyenne. Seule l’opération qui consistait à lui intégrer la mémoire et la conscience d’un humain permettait de débloquer toutes ses fonctionnalités pour le rendre encore plus performant.


La dualité corps et esprit, naguère encore en discussion chez certains scientifiques et philosophes ne faisait plus de doute. Les corps naturels des acquéreurs d’un PerfectBody étaient tout simplement enterrés ou incinérés, ils n’étaient plus d’aucune utilité.


L’engouement du public fut tel qu’il fallut mettre en œuvre des moyens colossaux pour satisfaire la demande. Bientôt la presque totalité de l’humanité fut composée de PerfectBody. L’homme avait-il réalisé son rêve de perfection éternelle ? L’humanité était-elle débarrassée à tout jamais de toute entrave matérielle constituée par le corps physique ? Quelques détails tout d’abord insignifiants commencèrent à semer le doute dans les esprits. Ces corps immarcessibles, insensibles aux douleurs, à la maladie et à l’érosion du temps furent progressivement confrontés à un problème majeur. La partie humaine qui subsistait dans cet assemblage avait conservé sa caractéristique essentielle : le vieillissement. Ainsi dotés d’un corps parfait, mais dirigé par un mental déficient, les hommes augmentés commencèrent à se comporter de façon étrange. La technologie permettait de maintenir en vie les individus au-delà des limites naturelles, mais était sans effet pour pallier aux maladies liées au vieillissement du cerveau. Ce déséquilibre entrainait des conséquences tragiques. Certains comprirent que les pseudos-humains au cerveau déficient deviendraient un jour majoritaires et provoqueraient la cause de la disparition de l’humanité. Il n’y avait qu’une solution pour éviter cette perspective.


Il fut décidé, par l’aréopage des PerfectBody qui dirigeaient désormais la fabrication de leurs congénères, que les prochains transferts d’humain vers leur double artificiel se feraient sans l’apport des éléments vitaux naturels et que seule une version numérisée et inaltérable de leurs mémoires serait intégrée. Cette décision fut aussitôt combattue par la minorité des humains qui avaient résisté jusque là à la tentation de Faust. Mais leur mouvement de contestation fut rapidement étouffé, car ils étaient trop peu nombreux.


***


En plein cœur de l’été 1820, après ce court récit exposé d’une voix douce et mélodieuse, Mary Shelley parcours d’un regard interrogatif le groupe d’amis venus l’écouter.


Dans le grand salon de la villa Diodati le baron Hallifax est accoudé à la cheminée et semble figé dans la perplexité, sa femme Helena ainsi que la comtesse Bromsky se tiennent coites dans leur fauteuil tandis que le docteur Anderson, debout, un cigare à la main, hausse les sourcils avant d’exprimer son sentiment :

« Ma chère amie, au risque de me montrer désagréable je préfère vous dire franchement que cette histoire est invraisemblable. Je pensais qu’avec votre dernier roman “Frankenstein” vous aviez dépassé les limites du raisonnable, mais j’étais loin de m’imaginer que vous fussiez capable d’aller encore plus loin dans la fantaisie ! Je vous en conjure jeter ce canevas ».


Mary préfère ne pas répondre, car le seul moyen de convaincre ses amis qu’elle n’a rien inventé est de leur montrer sa machine à voyager dans le temps. Hélas cette machine, après lui avoir permis de revenir à son époque, s’est égarée dans les couloirs du temps. Elle garde donc pour elle cette révélation qui pourrait définitivement convaincre son entourage de son égarement mental.

Annotations

Vous aimez lire Gérard Legat (Kemp) ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0