Le prix du pouvoir

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Avec le soutien de  Milia, Lucie Fer, Kae Morrigan 
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 Il était une fois, dans un royaume ancien et lointain, un certain lutin sachant filer la paille en or. Oh, fort heureusement, peu de gens avait connaissance de ce don peu commun. Peu de gens avait vent de mon existence tout court ; imaginez un peu le calvaire de la célébrité dans le cas contraire. Mais revenons à nos moutons.

 J’avais une vie plutôt tranquille, solitaire certes, mais la solitude n’est un fardeau que pour ceux qui cherchent à l’éviter corps et âme. Or, je considérais ma solitude comme ma plus fidèle alliée à cette époque. Peu de gens se montrait digne de ma confiance, ou m’intéressait suffisamment pour que je ne me lie avec eux. La noblesse était trop cupide, le bas peuple trop avide. Les humains trop ignares et insipides en général. Ma compagnie me suffisait amplement, et ce fut le cas pendant très longtemps. Jusqu’à ce que je rencontre cette paysanne.

 Tout le monde connaît cette histoire ; ou tout du moins, en connaît la version officielle. La version où la reine est exempte de tout péchés à l’encontre de la vile créature qui l’a manipulée. Foutaises. Je ne nierai point la partie me qualifiant de vile – vous autres humains avez une perception bien à vous de la chose, inutile d’essayer de vous contredire. Ce serait gaspiller en vain ma précieuse énergie. Mais la vérité sera rétablie cependant, et si vous pensez que sa majesté est aussi douce et innocente que le prétend l’histoire vous devriez poser votre postérieur pour éviter de tomber de trop haut.

 Je me baladais dans les rues un soir d’automne, lorsque le vent des champs m’apporta le son grinçant des pleurs d’une jeune fille. Je les suivis jusqu’au moulin, près de la rivière, et trouvais au milieu de la paille et des sacs de farine une silhouette frêle et tremblante. La pauvrette pleurait de tout son soûl. La nuit était déjà bien avancée et les pleurs se tarirent vite tandis qu’elle sombrait d’épuisement. Ma curiosité étant assouvie, je repris mon chemin.

 Le lendemain, le bruit couru qu’une demoiselle qui avait le don de changer la paille en or se trouvait dans le royaume. Les mêmes pleurs revinrent troubler la nuit, et agacé, je les suivais de nouveau. Mais au lieu du moulin, ils me conduisirent cette fois jusqu’au château, dans une des tours les plus hautes. L’enfant – car elle ne devait pas avoir plus de vingt printemps et étant donné mon grand âge, comprenez que ça me paraisse jeune – était assise au sol, dans une pièce étroite remplie de paille jusqu’au plafond. Elle avait les mains sur son visage et était secouée par ses sanglots.

- Pourquoi pleures-tu ainsi, pauvrette ?

 La demoiselle retint un cri et recula en me voyant sauter par la fenêtre pour atterrir près d’elle. Elle me toisa des pieds à la tête – ce qui n’est jamais flatteur, qu’on se le tienne pour dit – et sa bouche s’ouvrit et se referma, tel un poisson. Un bien joli poisson, mais un poisson tout de même. Je m’assis et attendit.

- Le roi souhaite m’épouser, finit-elle par souffler.

- Voilà une nouvelle qui rendrait bon nombre de jeunes filles plus heureuses que toi.

- Bon nombre de jeunes filles ne sont pas enfermées dans cette pièce pleine de paille.

- Voilà une étrange chambre pour une future reine, en effet. Le moulin te manquait-il à ce point ?

- Non, je… je suis censée la filer en or, chuchota-t-elle les yeux écarquillés par la mention du moulin. Si ce n’est pas fait à l’aube, je serais brûlée.

 Je jetais un regard circulaire à la pièce, avisais le rouet dans le coin opposé à la fenêtre.

- Qui êtes-vous ?

- Oh, cela a peu d’importance, petit crapaud. Connaître mon identité ne te donnera pas le don de réaliser la tâche qui t’incombe pour sauver ta vie. Mais nous pouvons peut-être passer un marché.

 Ses grands yeux noirs, secs, me fixaient sans aucune retenue, encadrés par des sourcils légèrement froncés de contrariété.

- Un marché ?

- Il se trouve, chère enfant, que je suis en mesure de filer cette paille en or pour ton futur époux. Tout ce que je te demande en échange est de me conter ton histoire.

- Mon histoire ? Mais… je n’ai rien d’intéressant à dire.

- Toutes les histoires le sont. Avons-nous un accord ?

 Elle hocha vigoureusement la tête. Je m’installais face au rouet et me mis à l’ouvrage, tandis qu’elle me narrait sa courte existence. Le départ de sa mère, la violence de son père, la misère de son quotidien jusqu’à ce que le roi la remarque. Son père avait fait courir le bruit que sa fille, outre son apparence flatteuse, pouvait filer de l’or avec la paille. Espérait-il faire richesse ou se débarrasser de sa fille, nul ne saurait le dire. Toujours est-il qu’elle se trouvait à mes côtés, dans cette tour remplie de paille qui s’alourdissait au rythme du rouet.

- C’est une belle histoire, tu racontes avec une sincérité étonnante. Elle a sûrement trompé le roi mais tu ne me duperas pas, jolie colombe. Pas moi.

- Mais je…

- Je t’ai demandé ton histoire, pas un mensonge tristement rôdé. Cependant, si tu as changé d’avis je peux tout autant arrêter de filer cette paille.

 Je joignis le geste à la parole, suspendant le mouvement du rouet, et levait les yeux vers elle. Le masque de tristesse qu’elle arborait à mon arrivée était tombé. Une froide détermination l’avait remplacé, ses traits s’étaient durcis et ses yeux brillaient de malice.

- Comment ?

- Après des siècles d’existence, je sais reconnaître un mensonge, même aussi bien interprété. Évite de te redresser lorsque tu parles de ton apparence – tu es censée être effondrée par la trahison de ton père, pas fière.

 Ses yeux lancèrent des éclairs.

- Je ne me trompe pas en affirmant que c’est toi qui as fait courir cette rumeur, n’est-ce pas ? Comment as-tu eu connaissance de ce pouvoir en revanche, cela m’échappe.

- Ma mère me racontait cette histoire lorsque j’étais enfant.

 Je me remis au travail tout en lui posant mes questions.

- Et il t’a semblé opportun de raconter à tous que tu possédais ce don en espérant de faire remarquer par un duc ou un prince. La vie de meunière ne te seyait point ?

- Elle ne seyait point à ma chère mère, je ne vois pas pourquoi je devrais m’en contenter. Je ne passerais pas ma vie à trimer dans un moulin, je vaux mieux que ça.

- Je vois. Et tu abandonnes ton pauvre père seul dans son moulin, lui qui a toujours tout sacrifié pour toi et tu le tournes en ridicule pour ton propre salut… Quel genre de fille es-tu ?

- Cet incapable ! Un mollusque, rien d’autre. Incapable de voir grand, un simple meunier. Je ne lui dois absolument rien !

 Son ton était devenu presque venimeux ; le ton que prennent ceux qui ont quelque chose de répréhensible sur la conscience. Le silence s’installa quelques instants, seulement troublé par le bruit du rouet.

- Comment faites-vous ?

 Ses yeux étaient avides. Envieux. Comme à chaque fois qu’un humain assistait à ce spectacle.

- Si je te demandais comment fais-tu pour respirer, pourrais-tu me répondre ?

- Cela n’a rien à voir…

- Au contraire, petite sotte. Ne te méprend pas sur une chose que tu ne peux comprendre. Une chose est certaine, cependant. Tu as déjà toute la fierté et la prétention nécessaire pour prétendre être épouse du roi.

 Au moment où j’achevais ces paroles d’une vérité déconcertante face à son expression indignée, un coup retentit à la porte. La jeune fille fit volte-face en se levant tandis que je disparaissais par la fenêtre et que je me fondais dans la lumière du jour naissant.

 Je trouvais la fille de meunier aussi détestable que ces pairs ; pourtant je mentirais si je n’admettais pas que la noirceur qui couvait en elle me fascinait. J’avais rarement connu d’humains autant animé par leur égoïsme. Ce jour-là, au déclin du jour, je retournais au moulin où je l’avais aperçue la première fois. L’endroit était aussi misérable qu’alors. Mes bottes pointues crissaient sur la paille. Le peu de sac de farine présents était renversé. Aucune trace du meunier cependant.

 Je décidais d’aller visiter le taudis jouxtant le moulin et qui semblait servir d’humble demeure à l’artisan et sa famille. Ou du moins ce qu’il restait de sa famille. Je n’avais pas fait trois pas que je trouvais le meunier, dans un fauteuil à bascule branlant et vermoulu. Mort. La faux rouillée se trouvait toujours dans ses chairs. Je m’éloignais sans un bruit.

 Je revis la fille du meunier ce deuxième-soir. La future reine, sous la demande de la cupidité de son futur époux se trouvait contrainte de filer une nouvelle pièce de paille en or. Elle attendait ma venue, nonchalante.

- Tu as encore du travail, à ce que tu peux voir.

- Vraiment, Altesse ? Tu as l’air bien sûre de toi.

- Tu dois obéissance à ta future reine, nabot.

- Je ne dois rien à une meurtrière. Et tu n’es pas encore couronnée, que je sache. Que diras le roi quand il verra que tu n’es que tromperie ?

 Je la vis pâlir avec un certain plaisir, je dois l’admettre.

- Si je refuse de t’aider, quel recours te reste-t-il exactement ?

- Concluons un autre marché.

- Et que me proposes-tu ? Un autre mensonge bien tissé ne m’intéresse pas ; je n’ai que faire de l’or et des bijoux.

- Mon premier enfant.

 Je me figeais brusquement, et lui fit face. Elle essayait de cacher sa panique sous son expression railleuse, mais sous tous ses masques transparaissait sa cruauté, son égoïsme. Elle était prête à tout sacrifier – tout qui ne soit pas elle-même – pour arriver à ses fins.

 Je ne dois sûrement pas valoir mieux qu’elle à vos yeux pour avoir accepter sa proposition, mais imaginez donc un enfant grandir à ses côtés. J’avais l’occasion de sauver ce petit être de la folie de sa mère, de l’élever loin de la mesquinerie humaine. Je le forgerais selon mes principes, cet enfant deviendrait mon plus fidèle compagnon. Elle ne s’en doutait pas, mais elle venait de m’offrir la seule chose qui comptât réellement sans que je ne l’admette. Elle me délivrait de plusieurs siècles de solitude.

 Cette nuit encore, je laissai derrière moi au petit matin une pièce emplie d’or. La meunière ne parla plus après notre accord ; elle passa la nuit à arpenter anxieusement la salle, me lançant de temps à autre des regards calculateurs et haineux même après lui avoir promis mon silence. Mais je restais un poids pour elle, un risque d’être découverte. Je ne m’inquiétais pas cependant. Il n’existe qu’un moyen de rompre un contrat fait avec moi, et personne n’a jamais réussi. C’est mon secret le mieux gardé jusqu’à présent.

 Nous convînmes de nous revoir à la naissance de son premier enfant. J’errais de royaumes en royaumes pendant plusieurs mois, tendant l’oreille aux rumeurs et nouvelles qui provenaient du sien. Enfin, lorsque l’annonce de l’accouchement me parvint, je me hâtai vers son château. À la nuit tombée, je pénétrais dans ses appartements. L’enfant dormait paisiblement sous le regard noir de sa mère. La reine faillit lâcher sa coupe lorsque je la saluais :

- Eh bien, nabot. Tu n’auras pas perdu de temps, me lança-t-elle, acerbe.

- Je me languissais de vous revoir, Altesse. La vie de château vous convient-elle ?

- Maintenant que cette chose n’occupe plus mon corps, j’ose espérer que la vie sera plus clémente. Finissons-en.

 Cela aurait pu effectivement se finir de la sorte, si le roi n’avait pas surpris notre petit échange. Dans ma grande miséricorde, j’accordai un délai de trois jours à la reine pour rompre le contrat et sauver sa tête. La fin de l’histoire, vous la connaissez. Ma prétention me perdit, et la reine garda son enfant afin de sauver sa vie. Mais ce qu’on oublie de raconter, c’est le don que j’offris à l’enfant avant de disparaître dans les flammes.

    Je lui offris tout ce qui était en mon pouvoir pour qu’elle survive à sa mère, qu’elle la détruise. Qu’elle puisse lui donner la leçon de vie dont la meunière avait tant besoin. On raconte aujourd’hui que la chère Grimhilde s’est établie dernièrement dans un royaume du Nord, mariée à un roi veuf et père d’une ravissante et tendre enfant au teint blanc comme neige. J’observe les évènements comme ils se présentent, au travers des miroirs du château. Nos actions ont toutes un prix. J’ai payé de ma liberté le contrat avec la meunière. La reine Grimhilde paiera, malgré elle, le prix de son pouvoir et de son insensibilité. La vile créature vous ayant conté cette histoire a passé son flambeau.

JeunesseFantastiqueContedéficontehistoire courte
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En réponse au défi

A vos contes

Lancé par Vanecia

Et si on revisitait les contes de notre enfance ? Tous les coups sont permis, seule demande, changer le point de vue. Par exemple, Cendrillon peut être raconté du point de vue de Javotte ou de l'horrible belle-mère, le petit Chaperon Rouge vue par le loup etc...

Amusez-vous bien.

Au plaisir de vous lire.

Commentaires & Discussions

Le prix du pouvoirChapitre7 messages | 8 mois

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