Le port de Londres

6 minutes de lecture

L'estuaire de la Tamise était loin de Mayfair à pieds. Alaby préféra se rendre directement sur les rives, même si l'idée de marcher de nouveau de longues distances ne lui déplaisait pas tellement. Traversant Londres de part en part, ce fleuve millénaire était la raison même de la construction de la cité si prospère. Vaisseaux en tout genre l'empruntaient, des simples barques de pêcheurs, jusqu'aux sloops de marchands enrichis. Si on allait vers ce fameux estuaire, le spectacle n'en était qu'encore plus impressionnant. Galions de tout pays, frégates de toutes nations, galères de passages et navires de ligne prêts à défendre l'entrée de l'Angleterre. Alaby longeait les bords de cette titanesque rivière, où l'eau était aussi calme que le ciel. Dans ce dernier virevoltaient quelques goélands en quête de nourriture sous les flots ondulants. Leurs ailes blanches se gonflaient d'air, appliquant le seul et unique don qu'un homme pouvait envier à ses volatiles : le pouvoir de voler, et d'être aussi libre que les vents emplissant les voiles des navires.

Les quais débordaient d'activité. Les commerçants essayaient de vendre leurs produits, les hommes déchargeaient les cargaisons, d'autres se trouvaient là pour le plaisir de regarder cet attroupement, comme le jeune Waysler. L'agitation qui régnait dans les ports faisaient toujours l'objet de fascination, la preuve irréfutable que l'homme avait su adapter sa technique et sa vie au gré des océans, au point qu'il devienne un de ses atouts stratégiques et commerciaux les plus importants. C'est donc en tant qu'homme parmi les hommes, plébéien parmi la foule, qu' Alaby cherchait un bateau qui pourrait le mener en des lieux divers et exotiques. Il regardait particulièrement les vaisseaux de guerre à la recherche de marins expérimentés, étant donné que Waysler l'a été par le passé. Il sortit sa montre et regarda l'heure. En vérité, l'heure l'importait peu. C'était le fait de pouvoir la sortir qui lui faisait tant plaisir. Lui même ne savait pas si c'était pour entendre les rouages s'entrechoquaient, la chaînette se dépliait, ou juste pour émaner une certaine tenue quand les citadins passaient à coté de lui.

- Dîtes moi Sir, quelle heure est-il ?, demanda une voix.

Alaby vit un docker fort imposant, les favoris mal rasées et le bonnet de travers sur ses cheveux, en train de fumer un brûle-gueule bon marché et soulevant sur son épaule une épaisse corde supportée d'une manière des plus désagréables. D'abord surpris par l’appellation de Sir que lui avait lancé le matelot, il fut ensuite piqué par l’incommodante façon de l'homme de porter son fardeau. Alaby ne doutait pas que la force de l'homme l’empêchait de ressentir quelconque gêne avec ce poids si mal placé sur son épaule, mais ayant passé quelques temps sur les ports il savait que ce n'était la meilleure manière de transporter un boute.

- Près de midi... si je puis me permettre mon brave, il serait beaucoup plus facile pour vous d'enrouler votre boute autour de votre bras plutôt que de le porter ainsi.

Le marin regarda le cordage et le posa à terre avant d'adresser un regard de curiosité envers le jeune Waysler.

- Qu'en savait vous Sir ?, rétorqua le marin.

- Oh je vous en pris, je ne suis pas de la haute noblesse, un Mister me conviendrait mieux.

- Alors qu'en savait vous Mister ?
Les questions de l'homme d'équipage frôlaient l'insolence, et Alaby commençait à croire qu'il n'appréciait pas trop qu'on lui dise comment faire son travail, lui qui voulait juste donner des conseils pour lui rendre la tache plus agréable.

- Et bien il se trouve que j'ai moi même été timonier sur une embarcation, dit Alaby.

- Timonier ?! Vous avec votre canne et votre tenue ?

Waysler regarda ses vêtements, et prit ça comme une insulte.

- Exactement, répliqua-t-il en le pointant du bout de sa canne. Et je dois même dire que votre manière de faire est une insulte à toute la marine britannique.

- Et bien Timonier, montrez nous donc !

La conversation s'était vu rehaussée d'un ton au fil des mots, et attira canonniers et autres mathurins curieux de voir la suite. Entouré de tout ces loups de mer chevronnés, le jeune Waysler ne semblait avoir d'autre issue que de montrer son savoir-faire. La tuberculose l'aurait sans doute empêché de procéder, mais se tenant fantastiquement bien il alla vers le fumeur, l'air confiant.

Il posa sa béquille sur le sol, et lui prit l’amarre. Puisant dans ses souvenirs les plus anciens, Alaby enroula le boute autour de son bras, qui avait aujourd'hui retrouvé sa force d'antan. Les marins étaient quelque peu étonnés qu'un homme de la ville puisse connaître certaines astuces de navigation. Même le fumeur hocha la tête en signe de félicitations à Waysler, avant de gratter ses épaisses favoris. La masse du boute était conséquente, mais grâce à ses connaissances, facile à soulever. Alaby put même reprendre sa canne au sol pour la porter de l'autre main.

- Si je m'attendais à ça, dit le marin... je dois avouer que ça doit être bien plus pratique ainsi.

- Où deviez vous poser ceci ?, demanda Waysler.

- Sur le Foamwatch, de l'autre coté du port. Je vais vous y conduire.

Alaby suivit donc le matelot avec l'amarre sur l'épaule. Jamais il ne pensait qu'il pourrait refaire ce genre de chose un jour, mais il faut croire que le destin lui ait fait une fleur. La situation était étrange, voir farfelu pour les membres d'équipage qui regardaient le citadin Alaby Waysler faire le boulot d'un autre. Après plusieurs minutes de marche sous la corde et accablé par une chaleur peu commune en cette saison à Londres, Waysler dut enlever son manteau.

- Le voici, dit le marin en soufflant un nuage de fumée de sa pipe.

Le Foamwatch se présentait devant lui, comme un prince devant ses sujets. Il n'avait pas la prestance d'un dynaste, mais gardait une allure assez imposante pour prétendre à ce titre. Il s'agissait d'un Brick en parfait état. La coque était faite d'un bois aussi lisse et doux au toucher que les cheveux d'une nymphe. Les deux hommes montèrent sur le pont via la passerelle, et Alaby déposa le boute avec les autres, parfaitement enroulés. Il observa de plus près cet enfant de l'écume. Les canons étaient de nombres égales sur bâbord et tribord, la bouche à feu pointé droit sur les quais et l'horizon. Le bois des escaliers était formidablement bien taillé et peint. La proue avait la forme d'un rapace aux ailes déployées, scrutant l'avant. Le marin revint vers le jeune Waysler :

- Bah merci pour le coup de main mon gars...

- Ce n'est rien... le capitaine est-il ici ?

- Pour sûr, oui. Si vous voulez, je m'en vais le chercher.

- S'il vous plaît mon brave, répondit Waysler.
Bientôt, le matelot revint avec à ses cotés, un homme habillé d'une redingote bleu marine et d'un bicorne de la Royal Navy surmonté de sa cocarde. Ce dernier s'avança vers lui en lui tendant la main. - Capitaine Murray, Mister...

- Alaby Waysler mon capitaine, répondit Alaby avant de renfiler son manteau.

- A vrai dire Mister Waysler, je m'attendais à un Lord ou un Sir, vu votre démarche, répondit Murray en rigolant.

- On me le dit souvent... dites mon capitaine, seriez vous disposé à transporter un passager de plus sur votre embarcation ?

- Un passager de plus dites vous ? Cela dépend...

- Du prix j'imagine ?!

- Non, de ses aptitudes. Je ne fais pas rentrer chez moi un homme qui ne sera qu'inutilité.

- … et si le passager en question se montrait disposé à aider, fort de ses expériences en mer ?

- Alors qu'il me le prouve...

- Inutile mon capitaine, il me l'a déjà montré...

Murray sourit :

- Je vois que le quartier-maître Harvey a été convaincu par le passager en question... et cela me suffit. Alors qu'il se tienne prêt à appareiller demain dès l'aube, cap sur l'Atlantique... Harvey, vous lui montrerez où dormir.

Une fois installé dans la cale étroite et humide, Waysler ressortit le carnet qu'il avait prit chez Lawrence, ainsi que de quoi écrire. C'était le début de son voyage, et donc le début d'un chapitre. Il commença à noter Une ballade au port, quand il se remit à tousser et à avoir de la fièvre...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire l.frass ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0