II- Il y a un jardin lumineux...

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Attendre ? Qu’est ce qu’elle pouvait bien attendre dans un décor si sinistre si ce n’est la mort. Une mort lente où personne ne viendrait interférer. Une lenteur qui en deviendrait si douce et apaisante qu’on ne voudrait même pas gâcher. On en serait jaloux, peut-être.

« Qu’est ce que vous attendez au juste ?
-Quelqu’un. Il est censé venir à moi. Je l’attends depuis un moment déjà.
-Depuis quand ?
-Voyons… peut-être dix ans, si ma meilleure est bonne.
-… Madame, je pense que vous me mentez. Depuis dix ans, cette maison est vide. Ce quartier est vide depuis dix ans. C’est impossible que quelqu’un soit resté ici.
-Je ne pense pas que ça te déplairait… ou bien je me trompe ?

La jeune femme se tut à ces mots. Elle n’avait aucune envie de révéler une part d’elle à cette inconnue. Celle-ci lui donnait l’impression qu’avec cela, elle pouvait déblatérer toutes sortes de conclusions sur sa venue. Cette être, bien que jeune, lui rappelait les vieilles dames qu’on pouvait voir dans les parcs, jetant des morceaux de pain à des pigeons comme le ferait un patron à ses employés. Effectivement, elle possédait une certaine emprise de la situation. L’arrivante ne pouvait partir. Elle ne se sentait pas dans la possibilité de le faire. La grande porte ouverte la narguait, lui montrant une liberté qui n’était plus. Cette vision la fit grincer des dents alors qu’elle prenait place au côté de l’être.

Une allumette fut grattée et la cheminée raviva ses flammes, réchauffant à nouveau le salon délabré. Malgré la chaleur, les quelques fissures laissaient entrer une brise qui ne manquait pas de virevolter un temps avec la fumée. Un combat se produisait alors, entre la brise automnale et la fumée chaleureuse. La force de l’un et l’autre semblait égale jusqu’à ce qu’une bûche fut rajoutée, déséquilibrant le conflit. Les souffles qui suivirent se firent plus timides, se contentant de danser avec les flammes qui les guidaient.

Le souffle de l’être accompagnait ce spectacle. C’était le seul son humain qui persistait dans le calme religieux que l’atmosphère avait créé. L’arrivante ne savait pas vraiment s’il fallait dire, penser ou même questionner quelque chose. Elle demeurait aussi muette que la pièce, laissant son regard passer du combat flamboyant aux fenêtres insalubres. Cette demeure avait été quittée si hâtivement que les quelques planches de bois qui restaient encore sur les vitres se préparaient à tomber. De temps en temps, le vent faisait grincer le vieux bois, brisant un peu le silence. Mais le malaise persistait.

« Pourquoi avez-vous accepté d’attendre aussi longtemps si personne ne venait ?questionna la jeune femme en se tournant vers sa camarade de discussion.
- Je suis patiente. Je n’avais rien d’autre à faire.
- On a tous mieux à faire que d’attendre dix ans quelqu’un.
-Si tu n’as envie de rien d'autre, tu peux bien attendre longtemps.
-Vous n’avez jamais eu d'envie alors ?
-Si, celle d’attendre.
-Vous n’êtes vraiment pas normal…
-Tu ne l’es pas non plus. Pourquoi revenir dans un tel endroit ? »

L’arrivante se figea à ses mots. Elle n’en prononça pas un seul pour répondre. Il n’y avait rien à y répondre. Tout simplement car cette question n’avait pas sa place dans la bouche de cette étrangère. Elle n’avait aucun droit sur cette question parce que c’était une étrangère qui ignorait tout, jusqu’à sa propre bêtise.

« Me regarder avec ces mauvais yeux n’y changera rien. Je te le redemande. Pourquoi revenir ?
-Si je vous dis que je ne sais pas, vous ne poserez plus jamais cette question ?
-Il faut encore y répondre si tu veux que je ne dise rien. Sinon, je vais en poser d’autres qui seront de plus en plus-
-Je ne sais pas. J’ai besoin de revenir ici.»

L’être s’arrêta à ses mots pour l’observer. Ses yeux étaient très clairs, comme la pleine lune. Un enfant les aurait trouvé « jolies ». Un adulte les aurait trouvé « sublimes ». Un artiste les aurait trouvé « désagréables ». On voit rarement une œuvre entièrement pure. Il existe des artistes qui aiment la pureté. Mais elle varie de l’un à l’autre. Aucun n’est d’accord sur ce qu’est vraiment la pureté dans l’art. Mais ce regard, cette couleur, on ne pouvait s’en détourner. On ne pouvait mentir. On ne pouvait imaginer y voir baigner le sang. C’était peut-être ça, la pureté. Non, c’était sûr.

En voyant la jeune femme baisser légèrement la tête, l’étrangère se leva enfin de son siège. Elle laissa le feu disparaître pour sortir de la pièce. L’arrivante se pressa bien vite de la suivre au moment où le vent s’engouffra dans le salon.

Un tableau se trouvait devant elles. Dans le couloir où le vent ne pouvait plus les atteindre, elles s’étaient arrêtées observer. Une porte barricadée donnait sur la salle de jeu abandonnée. Les planches transpiraient d’une odeur nauséabonde d’humidité. Cette odeur ne convenait pas vraiment à la vue que nous offrait l’œuvre.

Une famille prenait un petit déjeuner dans un jardin. Leur visage baignait dans la lumière du soleil, permettant d’admirer leur sourire épanoui, bien loin de tout tracas. Le père, habillé d’un élégant ensemble de costume, avait posé sa veste sur les épaules de sa jolie femme, confortablement assise dans sa large robe. Leur fille tournoyait sur elle-même en éclatant de rire. Leur fils admirait sa sœur, les yeux brillants. L’herbe était bien verte, les arbres arboraient de magnifiques fruits, les quelques oiseaux semblaient porter les plus belles plumes. Du ciel à la plus petite lumière sur les chaussures de l’enfant, la brillance était de mise. Le soleil semblait déborder de joie tout comme eux. Il rayonnait ardemment.

« Tu aimes la lumière ?questionna alors l’être.
-Comme tout le monde,je l'aime.
-Mais comme tout le monde, tu n’as pas de raison de l’aimer.
-Vous ne l’aimez pas vous ?
-Non, je ne l’aime pas.
-Ce n’est pas normal de ne pas aimer son guide.
-La lumière ne m’a jamais guidé mais ce n’est pas la raison du pourquoi je ne l’aime pas.
-Elle vous a fait du mal pour que vous ne l’aimiez pas ?
-Elle m’a aveuglé pour mieux me tromper. »

L’arrivante arqua un sourcil avant de se tourner vers la femme. Le regard de cette dernière était devenu plus précis. Elle fixait un point du tableau. Un point qui le rendait désagréable à regarder.

«Ce tableau est lumineux mais ça reste agréable.
-Tu ne l’as juste pas assez regardé.
-Vous le regardez tous les jours pour dire ça ?
-Non, je ne l’ai vu qu’une fois. »

Curieuse personne. Étrange même. Mais qui demeure captivante. Le regard de nouveau braqué sur le tableau, la jeune femme chercha ce qui perturbait tant sa comparse.

Les parents souriaient à la vue de leurs enfants. Confortablement assis par terre, blottis l’un contre l’autre, ils se plaisaient à les regarder s’amuser. Leur regard se levait un peu vers eux, comme s’ils avaient devant eux deux étoiles.

Les enfants avaient l’air assez heureux. Le garçon regardait sa sœur tout en tenant une épée de bois. Son regard ne pouvait qu’être entraperçu à cause des feuilles que la petite jetait tout autour d’elle. La jeune nymphe arborait un étincelant sourire qui se liait à merveille avec ses boucles d’or et ses yeux saphirs. Des yeux si vivants et grands qu’on aurait l’impression qu’ils fixaient le monde entier. On pouvait se sentir autant revigoré que perdu. Le monde entier désignait un groupe entier d’êtres vivants. Alors fallait-il vraiment se sentir concerné par cette vivacité enfantine ? Tout cela semblait si vague…

La jeune femme ouvrit alors grand les yeux à cette pensée avant de se tourner vers son interlocutrice, dont la chevelure paraissait plus clair que sur le tableau. Son regard n’était plus vivace mais las. Pourtant, il demeurait tout aussi troublant.

«La petite fille vous ressemble…
-Ce n’est pas moi.
-Mais je suis libre de croire que c’est vous.
-Tu préfères te voiler la face ?
-Oui, je préfère le mensonge à la réalité. C’est plus simple d’appréhender les choses. »

Cette phrase vint clore à nouveau leur courte discussion. Le tableau les empêchait de parler plus longtemps. Peut-être qu’il ne désirait qu’une admiration silencieuse ?

Le père s’adossait à la mère. Son teint avait pâli et la lumière creusait ses cernes. Combien d’insomnies avait-il fait pour en arriver à se tenir à sa femme pour rester droit ? Depuis combien de temps cette dernière le tenait pour être obligée de se pencher légèrement. Les traits de son visage demeuraient tirés malgré le maquillage. Celui-ci ressortait bien mal à travers les rayons. On avait l’impression de voir de la pâte enfarinée.

Malgré tout, ils souriaient et ils restaient remplis de vie. Après tout, n’est-ce pas normal que des adultes soient épuisés à une époque où le travail doit payer pour mener un bon train de vie ?

Le petit garçon serrait fort le manche de son épée. Il se tenait droit et fier tout en observant sa sœur. Malgré son regard brillant, le soleil mit en évidence un sourcil légèrement baissé. Ce simple détail suffit à faire remarquer la difficulté pour le sourire d’existence. L’éclat dans ses yeux cachait un air bien plus attristant. Il avait l’air préoccupé. Assez pour le cacher à sa petite sœur.

C’était la seule qui semblait sincère dans sa joie. L'innocence brillait sur son visage souriant. Elle était la seule lumière de ce tableau. Les rayons du soleil venaient renforcer cette lumière. Les reflets du petit étang s'amplifiaient. Le sourire crispé des spectateurs autour d’elle l’exagérait.

La petite fille était aveuglée par son bonheur. Elle avait beau être jeune, sa naïveté se muait en arrogance. La lumière avait préféré l’embellir en quittant ces personnes.

La jeune femme se mordit la lèvre en s’écartant. Elle baissa légèrement la tête vers ses mains et les massa avant de faire de même pour ses yeux. Il valait mieux partir avant qu’elle ne détruise ce tableau. Cette arrogance… elle allait si vite se transformer. C’était évident. Le temps défile plus vite pour un enfant.

Alors que ses pensées se remettaient de l’aveuglement du tableau, l’être se remettait en marche. En effet, le temps défile plus vite pour un enfant. Il ne suffit que d’un pas pour passer de la naïve petite enfance à la redoutable adolescence, où les premiers émois naissaient comme les premiers obstacles de la réalité.

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