Prénoms masculins féminisés par Ine : Clémentine, Albertine, Alphonsine...

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Si vous voulez vous reporter (ou si vous vous en souvenez, encore mieux) au chapitre sur Félix, vous y (re)lirez que je cherche aussi dans les pseudos de mes lecteurs. Nous avons une Clémentine qui a aimé le chapitre sur Léo, alors voilà. Chapitre spécial sur les prénoms en INE.

Il y en a de trois sortes : ceux qui sont dérivés de prénoms masculins (aussi bien latins que germaniques) auxquels on a ajouté ''ine'', ceux qui sont dérivés de prénoms masculins en ''in'' auxquels on a juste ajouté un ''e'', et ceux qui existent sans contrepartie masculine à première vue. Commençons donc par la première partie.

Les prénoms féminisés en y adjoignant le suffixe ''ine'' sont nombreux, et ne sont pas cantonnés à une seule origine étymologique : Jacqueline (qu'on comptera dedans bien que ce soit ''line'' qui ait été ajouté) vient de Jacques, qui vient de l'hébreux aqeb en passant par le prénom Jacob ; Albertine, comme la cuisinière de la Recherche, est dérivé d'Albert, qui est un prénom germanique signifiant ''tout est brillant'' ou peut-être ''qui brille de partout'' (ce qui, admettons-le, veut dire la même chose si on considère que le ''tout'' de la première traduction était cantonné à la personne portant le prénom). Comme j'ai cité Alphonsine dans le titre, j'en profite pour vous signaler qu'Alphonse est également germanique et signifie ''noble et rapide''. Quant à Clémentine, cela vient du latin, et bien que la clémentine soit un fruit, le prénom d'origine est Clément, qui signifie... eh bien, clément.

C'est parce que les prénoms féminisés en y adjoignant le suffixe ''ine'' ont été féminisés en français, pas dans une langue en particulier avant d'être traduit en français. C'est ainsi qu'on se retrouve avec des prénoms en ine de toutes les origines (et en plus ça rime).

Pourquoi, maintenant, féminiser en ajoutant ''ine'' ?

Il y a là deux explications (et comme les seuls explications données sur internet sont que c'est parce que les femmes sont de pauvres victimes des hommes depuis le début des temps et qu'on leur donne donc des prénoms d'hommes un peu adaptés, ce qui est une explication d'une bêtise inouïe, vous pouvez être sûrs que ce qui suit est le fruit de ma réflexion personnelle et pas d'un pompage sur wikipédia), la première est qu'il s'agit d'abord de l'adaptation de la racine germanique ''lind'' (prononcer linnd), qui avec ses nasales et sa signification de ''douceur'', est un suffixe parfait pour un prénom à donner à une fille. Le son ''line'' est doux et agréable à entendre. C'est, je pense, l'origine de prénoms tels que Micheline ou Jeannine. Dans ce dernier cas, le ''line'' se serait traverti en ''ine'' par évolution phonétique afin de ne pas alourdir les prénoms (Jeannline ne sonne pas très bien) avec l'exception de Jacqueline où, le prénom original se terminant par le son ''e'', il était nécessaire d'adoucir en conservant le ''l''. Autrement, cela donnait Jakine (à l'oreille) et ça ne remplissait pas le cahier des charges de douceur et d'amabilité du prénom.

Pourtant, la deuxième explication me convient plus (oui, je vous ai pondu une demi-douzaine de lignes sur une explication qui est sans doute fausse) car elle vient du latin (or, la langue latine a été longtemps la langue des savants en France, tout comme celle du clergé - qui faisait partie intégrante des savants - et les prénoms étaient acceptés ou refusés, non pas par l'officier d'état-civil, mais par le prêtre qui baptisait l'enfant). En français dérivé de latin, pour former un adjectif à partir d'un nom, en prend l'étymologie du nom en latin et on y ajoute le suffixe ''in'' (exemple : Concile de Trente -> rite Tridentin, Dieu -> divin, qui prend des libertés avec la morale -> libertin, moine suivant la règle de Saint Benoît -> bénédictin, etc.). Reportez-vous à mon chapitre sur Jules pour voir le nom de la famille julienne qui descendait de ''Jule'', c'est le même principe (le son in pouvant être ien selon les cas). Ainsi Julien serait le descendant de Jules, Micheline de Michel et Claudine de Claude. Dans la plupart des cas, le prénom est d'ailleurs l'adjectif féminin se rapportant au prénom (la famille Claudine, la famille de l'Empereur Claude).

Cela dit, je n'excluerais pas la première hypothèse. Bien qu'elle ne soit pas suffisante, elle est plus vraisemblable dans les cas, non pas de prénoms féminisés en ine mais de prénoms féminins dérivés de prénoms féminins germaniques (Adèle -> Adeline). Je vous en parlerai dans un autre chapitre, ce n'est pas notre sujet.

L'étymologie, c'est bien beau, mais il faut y ajouter autre chose pour faire l'onomastique : employer ces noms en les donnant à des personnages : à quelle sauce va-t-on donc les manger ?

Il y a deux types principaux de personnages, je pense, à qui on peut donner ces prénoms.

D'une part, les jeunes filles de roman historique : elles n'ont même pas besoin d'être le personnage principal, vous pouvez caser quelque chose comme ''invité à déjeuner dans sa future belle-famille, il retrouva les soeurs de sa promise, Marie, Charlotte et Julie, ainsi que Clémentine qu'il n'avait encore jamais vue mais avec qui il s'entendit aussitôt''. Marie, Charlotte, Julie et Clémentine ne sont là que pour planter le décor (il va sans dire qu'un roman historique qui se passe en France avant la Révolution se passe forcément dans une famille chrétienne, soit catholique soit protestante, voire à la limite mais très rarement dans une famille juive, donc le décor ''famille chrétienne'' est un peu trop évident, sauf si ça se passe dans les années 60 par exemple) et comme ce décor doit être réaliste, reportez-vous à ce que je dis entre parenthèses, un prénom en ''ine'' fait un effet historique et chrétien ou juif (parce qu'on va pas se mentir, si vous appelez les enfants de la famille Mariam, Sarah, Moussad et Mohammed, ça fait moins chrétien et c'est pas crédible du tout au XV° siècle en Anjou).

D'autre part, vu que les prénoms comme Albertine, Alphonsine, Jacqueline ou Jeannine ne sont plus trop en vogue de nos jours, ils peuvent être donnés aux vieilles femmes de plus de soixante-dix ans dans des romans contemporains. Si vous avez un personnage qui apprend les noms de ses ancêtres à des fins généalogiques, caser une des grand-mères et deux des arrière-grand-mères avec des prénoms en ''ine'', ça peut donner un effet de crédibilité. Si vous avez une figure de matriarche ou d'ancêtre adorée comme fondatrice de la lignée, à moins que ce ne soit incompatible avec le personnage (nationalité de naissance, si elle est la première de la famille à être arrivée sur le sol français en venant d'Allemagne, de Russie ou de Pologne par exemple, époque de naissance - à la Révolution on a commencé à donner des prénoms tirés du calendrier républicain et non plus des prénoms de saints avant d'y revenir après - etc.) vous pouvez lui donner le prénom d'Alphonsine ou Micheline.

Cela dit, il y a d'autres usages :

Le prénom Clémentine, par exemple, n'est pas trop connoté ''c'est-du-passé-plus-personne-n'appelle-son-bébé-comme-ça'', pas plus que Philippine. Ces prénoms sont plutôt des prénoms qu'on retrouve dans les jeunes générations (pas dans tous les HLM non plus, mais il n'est pas nécessaire d'avoir une porsche pour appeler ses enfants comme ça : c'est un prénom plutôt de classe moyenne et au-dessus, pour les marxistes parmi vous qui voient tout en classes sociales, et un prénom plutôt de familles d'éducation sinon de confession chrétienne, pour ceux qui voient tout au prisme de la culture familiale, ce qui pour l'attribution des prénoms est peut-être plus pertinent que le marxisme). Là, mettons que vous soyiez en train d'écrire un livre se passant dans le milieu des étudiants parisiens (pas à l'époque des Misérables non plus, à notre époque toujours) si vous faites apparaître ce personnage encore présent dans certaines grandes écoles, la fille de dernière année responsable de l'aumônerie qui distribue des tracts pour la prochaine soirée rosaire-crêpes au Nutella, elle peut très bien s'appeler Clémentine ou Philippine. Elle peut aussi s'appeler Capucine, Gabrielle ou simplement Marie, mais là on parle des (tous en chœur !) prénoms féminins dérivés de prénoms masculins par l'adjonction du suffixe ''ine'' (le titre est presque plus long que la chronique elle-même).

Enfin, comme je l'avais signalé dans le chapitre sur Blandine, on peut jouer du décalage entre, par exemple, le prénom Claudine, peu porté à notre époque, et un contexte de science-fiction (par exemple, dans une série que je ne vous recommande pas mais que je nomme par honnêteté, Legends of Tomorrow, l'intelligence artificielle qui gère la mécanique interne du vaisseau spatio-temporel se nomme Gideon, prénom masculin peu porté à notre époque). On peut mettre une Alphonsine ou une Honorine (dérivé d'Honoré) comme femme officier de l'empire spatial ou comme meneuse de la résistance martienne aux bains de sang de la république auto-proclamée jupiterienne. Non seulement cela place d'emblée le personnage à part des autres (si ils continuent de s'appeler Jordan, Marie, Alice et Louis, voire Han, Qui-Gon et Obi-Wan) mais en plus cela pourrait bien, si votre livre devient un best-seller, créer un nouvel engouement pour ces prénoms un peu désuets (il y en a bien qui appellent leurs enfants avec des prénoms issus du quenya, la langue des elfes dans le Seigneur des Anneaux, ou issus d'une langue de Game of Thrones dont j'ignore le nom puisque j'ai arrêté de le lire au bout de trois pages tellement c'était dégoûtant).

Bon, pour ce genre de chapitres, je ne vais pas commencer à vous donner des personnes célèbres pour tous les prénoms que j'ai jamais cité dans l'article, à vous de faire vos recherches lorsque vous déciderez que la muse de votre peintre impressionniste, l'héroïne du peuple du troisième système stellaire ou la grand-mère du petit Julien qui doit faire un arbre généalogique pour le cours d'Histoire en CM2 s'appellera Honorine, Claudine, Albertine ou Clémentine. C'est donc ainsi que se finit ce chapitre, qui est déjà deux fois plus long que les autres.

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