Nommer un personnage issu d'un monde totalement imaginaire

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Le problème des mondes totalement imaginaires, c'est qu'ils n'ont pas connu notre évolution linguistique. Je m'explique : si vous voulez appeler un personnage issu d'un monde imaginaire ''Clothaire'', ''Gérulphe'' ou ''Emmeran'', c'est impossible. Pourquoi ? Parce que votre monde imaginaire (appelons-le Mondimag pour la suite, ça sera plus rapide) n'a jamais connu de développement de langue germanique (dont sont issus les trois prénoms). De même, si vous voulez donner un côté raffiné à vos personnages en les dotant de prénoms latins (Vitus, Tertius, Cassius... peu importe) c'est également impossible. Du moins, techniquement.

Il y a quatre possibilités pour répondre à ce problème.

La première, c'est d'abandonner l'idée d'écrire de la fantasy et de consacrer le reste de sa vie à écrire des romans sociaux ou des thrillers réalistes. C'est une possibilité mais je ne vais pas la retenir, parce qu'elle est déprimante (no offence pour ceux d'entre vous qui écrivent des romans sociaux ou des thrillers réalistes, d'ailleurs si vous me pardonnez cette auto-promotion j'en écris aussi, Le Châle Rouge par exemple, fin de la pub). Par ailleurs il y a peu de chance que vos personnages de thrillers réalistes ou de romans sociaux s'appellent Gérulphe ou Tertius.

La deuxième, c'est de se ficher complètement de la vraisemblance linguistique, qui de toute manière n'intéresse personne (comme le prouve l'existence même de chroniques de l'onomastique...), et de faire comme de nombreuses personnes avant vous, de mettre des prénoms issus de langues romanes, germaniques, slaves ou n'importe quoi d'autre, d'appeler ses personnages Roméo et Julietta ou Néo, Tertius, Emerengarde et Cunégonde. Dans ce cas, on essaiera tout de même d'éviter les noms tels que Sabine, Romain ou Burgondofare (j'admets que le dernier est moins courant) car il s'agit de prénoms issus de noms de peuples (les Sabins, les Romains et les Burgondes, même si c'était assez transparent) n'existant pas à Mondimag.

La troisième, c'est (solution de facilité mais pas de fainéantise au contraire de la deuxième) de décider que les peuples imaginaires de Mondimag parlent, par exemple, anglais, allemand et espagnol. Dans les Gardiens de Ga'Hoole, les langues parlées au nord du continent (krakéen et kiéléen, si je me souviens bien) ressemblent beaucoup aux langues scandinaves. Le petit plus, c'est si vous parlez une langue assez rare (le farsi, le croate, le same...) et que vous la casez sous forme de langue fictive dans votre texte, parce qu'il y a peu de chance que vos lecteurs parlent la même langue (sauf si vous êtes un jour traduit en Iran, Croatie ou Scandinavie) et que pourrez vous attribuer tout le mérite de cette ''langue inventée''.

La quatrième et dernière, c'est, à l'instar de J.R.R. Tolkien ou de Christopher Paolini, de créer des langues. La langue des nains chez Paolini semble basée sur le vieil allemand médiéval, mais sa langue magique a l'air (aux yeux d'un conteur nommé Arsène qui ne connaît pas tout à tout) plutôt originale. Quant à Tolkien, il a créé plusieurs langues à partir de rien. Pas du tout de pression (de toute manière d'ici que Peter Jackson adapte vos livres au cinéma, vous avez de quoi voir venir).

Maintenant, le ''problème'' de la religion. Si tous vos peuples sont complètement athées, il est inutile de chercher à appeler un personnage Gabriel ou Gottlieb, car les deux sont des prénoms basés sur une racine antique pour ''dieu'' (Gabriel -> force de Dieu, Gottlieb -> qui aime Dieu). Bye bye également Théophile et tous les autres Théo, tous les prénoms hébreux comprenant la syllabe ''el'' et quelques autres (comme Michel, Daniel mais aussi Elisabeth et Héloïse, sans compter Adonia, certes plus rare), mais également Jean (Dieu fait grâce), Joachim (Dieu prépare), Jésus (Dieu sauve, mais bon j'imagine que si vous tenez absolument à n'avoir aucune référence à la religion dans votre histoire, vous n'alliez pas appeler un personnage Jésus), Jérémie... (en fait bannissez tous les noms bibliques commençant par J, ils viennent généralement d'une racine plus ou moins directe de Yahvé), mais aussi des noms moins connus comme étant bibliques comme Jonathan, Joël... (faisons plus vite, dégagez tous les prénoms en J tout court). Oui, même Jessica, c'est dérivé du prénom Jessé, ''Dieu est''.

Je crois que vous commencez à saisir le problème si vous tenez absolument à n'avoir aucune religion dans votre histoire. On ajoutera à la liste des prénoms à bannir les prénoms issus de la mythologie tels que Clio (une des muses), Athanase (dérivé de Thanatos, le dieu de la mort), June (dérivé de Junon, mais vous avez déjà jeté au feu les prénoms en J) ou Thorbjørn (ours de Thor), les prénoms désignant des lieux ou des peuples n'existant pas à Mondimag (Burgondofare, Romain, Sabine), les prénoms qui n'existent, grosso modo, que parce qu'un saint avait un nom de famille que des gens ont donné comme prénom à leurs enfants (Vianney, Montfort), les prénoms évoquant de manière indirecte la divinité (Astrid, Protection des dieux guerriers).

Certes, il y avait peu de chance que vous ayiez choisi Athanase ou Burgondofare. Ce qui est d'ailleurs injuste, car ce sont de très jolis prénoms, simplement on n'a pas envie de les faire porter à nos enfants, mais on se sent moins coupables envers des personnages de fiction.

Cela dit, si vous voulez couper tous les liens possibles et imaginables avec le monde réel, vous ne pouvez pas non plus faire en sorte que votre héros, en rentrant de l'Académie Militaire, passe acheter un journal people au kiosque puis le jette à la poubelle après l'avoir lu. Parce que le mot Académie vient d'un stade consacré au demi-dieu Academos bâti non loin de là où enseignait Platon, (et ni Platon ni Academos n'ont jamais existé à Mondimag), que le nom du kiosque vient du turc et people de l'anglais (or, à Mondimag, on ne parle aucune des deux langues en question) et que la poubelle doit son nom au préfet Poubelle, qui n'a jamais vécu à Mondimag. Mais il y a toujours la solution donnée plus haut, de se moquer complètement de la vraisemblance linguistique et de se concentrer sur l'intrigue, qui, avouons-le, est importante dans le récit.

Le twist ultime, bien sûr, ce serait d'avoir uniquement des langues existant (avec tous leurs mots spécifiques à la Terre) sur Mondimag, et de découvrir en toute fin de livre qu'il s'agit en fait de la Terre qui est redevenue médiévale (dans le cas d'un livre de fantasy) ou qui est devenue futuriste (pour de la science-fiction) ou n'importe quoi d'autre (pour n'importe quoi d'autre) après un cataclysme, ce qui explique la diversité de langues et de mots bizarres (poubelle, kiosque, académie, ploutocrate (Ploutos, dieu de la richesse), érotique (Eros, dieu de l'amour charnel)...)

Bref, libre à vous de nommer vos personnages de fiction comme vous l'entendez, mais vous avez eu ici un condensé de conseils pour une plus grande vraisemblance linguistique.

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