La Naissance d’un Fardeau

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La pluie martelait le toit de tôle comme un tambour de mauvais augure.
Dans la pénombre moite de la case, Djiman, six ans à peine, serrait contre sa poitrine son frère nouveau-né, Moussa, dont les cris se perdaient dans le grondement de l’orage.

À ses pieds, des coquilles d’arachides craquaient sous les pas pressés de sa mère, Awa. Elle frottait des herbes *kinkéliba* contre le berceau en bambou, marmonnant des prières que le vent arrachait à ses lèvres.
*« L’aîné doit porter les péchés des ancêtres »*, avait tranché le guérisseur plus tôt, en traçant des symboles au charbon sur le front de l’enfant.

Djiman ne comprenait pas ces mots, mais il sentait leur poids, lourd comme la pierre à moudre posée dans le coin.

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Trois lunes plus tôt, son oncle lui avait raconté l’histoire autour d’un feu crépitant.

« Ton arrière-grand-père a maudit cette lignée pour une poignée de terre volée… »

La malédiction était née d’un champ de mil convoité, d’un frère tué, d’un serment craché à la face des dieux. Depuis, chaque premier-né mâle venait au monde avec une marque violacée en forme de corde autour du cou.

Djiman toucha la sienne, rugueuse comme une cicatrice ancienne.

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« Pourquoi c’est toujours moi qui dois surveiller Moussa ?»

chuchota-t-il à son oncle, alors que les hommes buvaient le *dolo* sous le manguier.


L’homme posa sur lui un regard usé.

« Tu es la racine, Djiman. Sans toi, l’arbre meurt. »

La métaphore le hanta.

Cette nuit-là, il gratta la terre avec un bâton, dessinant des baobabs difformes. *Un arbre si grand*, songeait-il, *que ses branches cacheraient Awa, Moussa, et même les rires moqueurs de ses demi-frères*.

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Le secret lui brûla les entrailles un matin de sécheresse. Caché derrière les jarres d’eau, il surprit la troisième épouse de son père chuchoter à Awa : *« S’il ne le vend pas comme ouvrier en ville, comment paiera-t-il les dettes ? »* Djiman ne savait pas ce que « vendre » signifiait, mais le rire gras des hommes qui emmenaient les enfants du village lui revint en mémoire.

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À huit ans, vint le rite. Trois jours de jeûne dans la brousse, le corps enduit de cendres pour éloigner les esprits. Puis l’épreuve de la fourmilière : allongé sur un nid de *fourmis magnans*, il avait dû rester immobile tandis que les mandibules lacéraient sa peau. *« Les larmes affaiblissent les ancêtres »*, lui avait rappelé son père. Djiman mordit sa lèvre jusqu’au sang.

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C’est en balayant la case qu’il trouva la lettre. Jaunie, pliée en huit, cachée sous une natte.

Une écriture tremblée y griffonnait : *« Si tu lis ceci, je suis mort.

La case rouge est maudite. Ne… »*

Le reste était rongé par l’humidité.
Son cœur battit à se briser.

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Salimata, sa sœur cadette au regard trop sage pour ses quatre ans, glissa dans sa main un collier de perles en bois.

*« Pour que tu sois fort »*, murmura-t-elle,
pressant son oreille contre sa poitrine comme pour écouter les mots qu’il ne disait jamais.



La nuit où les sangliers ravagèrent le champ de mil, Djiman reçut sa première gifle.

*« Tu devais veiller !* » hurla son père, l’odeur de l’alcool à sorgho empestant ses mots.

L’enfant ne pleura pas. Il fixa la tache de boue en forme de corde sur sa tunique, se demandant si les ancêtres riaient de son sort.

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À l’aube, un rêve le visita. Un oiseau blanc, aux plumes luisantes comme de l’ivoire, se posa sur son épaule.

*« Ton vrai père n’est pas celui que tu crois »*, gazouilla-t-il avant de s’envoler vers la *case rouge*, cette bâtisse décrépite que tous évitaient.



Les jambes tremblantes, Djiman courut. À travers les hautes herbes, sous les acacias épineux, jusqu’à haleter devant la *case rouge*.
Des symboles gravés sur la porte

— serpents entrelacés, soleils brisés

— semblaient palpiter.

Un cadenas rouillé pendait, mais une fissure dans le mur appelait comme une bouche ouverte.

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Il allait tendre la main lorsqu’une voix surgit des ténèbres, douce et rauque, pareille au frottement des feuilles mortes :

*« Entre, Djiman… Je t’attends depuis ta naissance. »*

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