Retour Epistolaire
~*~*~*~
Cet écrit provient d'un exercice que j'ai effectué en avril 2025. Une période où je ressentais le besoin d'écrire sous forme de défis journalier. Ici, il me fallait continuer la phrase suivante : "Il ouvrit la lettre.."
~*~*~*~
Il ouvrit la lettre et sentit son cœur s’arrêter. Cette écriture, il l’aurait reconnue entre mille. Elle était donc toujours en vie ? Il parcourut les lignes avec une inquiétude palpable, son cœur tambourinant à chaque mot, toujours plus fort. Sa gorge commença à s’assécher, sa lecture devenant de plus en plus fiévreuse. Comment cela était-il possible ? Elle avait pourtant disparu du jour au lendemain. À son travail, personne ne l’avait vue et, à l’époque, une enquête avait été ouverte. Tous pensaient à un kidnapping.
Au début, les craintes habituelles étaient accompagnées de leur lot d’espoirs. Un espoir qui, au fil des années, s’était transformé en désillusion. Ils s’étaient fait une raison : jamais ils ne la reverraient. Elle était comme morte et le deuil avait suivi. L’incompréhension, la colère, le marchandage, et enfin l’acceptation. Ils ne la reverraient pas. Il ne pourrait plus jamais lui parler, sentir son parfum, ni ses doigts s’entremêler dans ses cheveux.
Soudain, il sentit une main se poser sur son épaule. Malgré lui, il sursauta. C’était sa femme.
— Eh bien, dit-elle, c’est moi ou cette lettre qui t’a fait peur ?
Il ne répondit pas tout de suite, se contentant de sourire à sa bien-aimée. Ses pensées le replongeaient instantanément dans les lignes qu’il venait de découvrir. Elle était de retour et, d’après cette lettre, elle voulait le revoir. Enfin, les revoir, lui et Emma, sa meilleure amie.
Emma… La dernière fois qu’il l’avait vue, elle venait de lui annoncer qu’elle n’essayerait plus de se mettre en couple. Elle aussi avait eu beaucoup de mal à se remettre de cette disparition. Avait-elle, elle aussi, reçu une lettre ? Dans quel état serait-elle si c’était le cas ? Ces deux-là avaient été si proches l’une de l’autre. Presque inséparables.
Il fut tiré de sa rêverie par un petit cri, un gazouillement joyeux. Tournant le regard, il vit Peter, son fils cadet, débarquer dans la pièce tel un cabri et foncer dans les genoux de sa mère.
— Chéri ?
— Oui ? répondit-il mécaniquement, les yeux toujours rivés sur l’enfant.
— Tu es sûr que tout va bien ? demanda sa femme avec une pointe d’inquiétude dans la voix.
Comme s’il venait de recevoir une gifle, il papillonna des yeux et regarda sa bien-aimée. Elle avait été là dans ses pires moments, l’avait soutenu pendant ce deuil qu’il avait longtemps cru impossible à surmonter. Elle ne pouvait pas être mise à l’écart. Elle méritait la vérité.
Reprenant contenance, il retourna la tête vers la lettre et soupira doucement.
— Oui, c’est seulement que je ne m’attendais pas à recevoir une lettre d’elle.
— D’elle ? questionna son épouse en prenant leur fils dans ses bras.
Ce dernier babilla, visiblement heureux que sa mère ait accédé à sa requête silencieuse.
— Tu te souviens de la jeune fille dont je t’avais parlé ? Celle qui me faisait tourner la tête pendant mes études supérieures ?
Sa femme fit la moue. Bien sûr qu’elle s’en souvenait. Elle était la raison pour laquelle il s’était rendu dans un groupe de parole pour les proches des disparus, le lieu de leur première rencontre.
À l’époque, il s’était juré qu’il n’irait jamais dans de tels endroits. C’étaient des lieux où les gens pleuraient sur leur sort en essayant vainement d’aller mieux. Certains y arrivaient, mais il n’en faisait pas partie à ce moment-là. Et Mary était là. Il s’en souvenait comme si c’était hier.
À son arrivée, elle présidait le groupe, laissant les personnes dans le besoin parler, se libérer. Elle dégageait une sérénité troublante et, ce jour-là, il était persuadé qu’elle était à l’initiative de cette prise de parole collective. Bien entendu, on l’avait sollicité pour parler, mais il avait décliné, prétextant qu’écouter d’abord la peine des autres serait un bon tremplin pour exposer la sienne. Il n’avait aucune envie de se dévoiler et encore moins de pleurer comme le petit garçon qu’il se sentait être. Il n’était même pas resté jusqu’à la fin, préférant se réfugier dans son bar de prédilection pour sombrer dans l’alcool, une nuit de plus.
Mais cette nuit-là n’avait pas été la copie de tant d’autres. Un groupe de joyeux lurons avait poussé la porte, leur bonne humeur générale envahissant l’établissement. C’était le groupe de parole. Visiblement, certains allaient mieux, alors que d’autres rumineraient encore longtemps.
Et puis elle était arrivée, à côté de lui.
Au début, elle voulait juste commander une tournée pour son groupe. Mais elle l’avait remarqué. Engagé la conversation. Et finalement, elle n’était pas repartie. Ils avaient passé la soirée ensemble, et il s’était senti mieux.
En rentrant chez lui, il s’était promis qu’il parlerait, pour se libérer de cette peine lourde qui pesait sur lui depuis des années.
Grâce à Mary, il avait fait des rencontres. Grâce à elle, il avait réussi à se relever, à se soigner et à continuer sa route. Cela avait été long et souvent douloureux, mais elle avait été là, une amie, une confidente et maintenant, la mère de ses enfants.
Et maintenant, cette lettre entre ses mains, il avait l’impression que tout son chemin avait été vain. Que son monde s’effondrait de nouveau. Un monde magnifique, qu’il avait bâti pierre par pierre avec sa bien-aimée.
Ce nom résonna dans la pièce quand Mary le prononça.
— Kira, c’est ça ? C’est de sa main ?
Kira. Un nom. Quatre lettres. Cinq ans de cauchemars à répétition.
Il acquiesça.
— Oui. Elle est revenue en ville.
À ces mots, sa voix se brisa. Il venait de rendre réelles ses pensées, et cela lui déchira un peu plus le cœur.
Mary fronça les sourcils.
— Après toutes ces années ?
Un silence s’installa, pesant.
Le jeune Peter commença à se débattre dans les bras de sa mère, réclamant un peu plus d’attention. Il se leva lentement.
— Je vais dans la chambre. J’ai besoin de réfléchir.
— Je comprends, répondit Mary en se rapprochant pour lui déposer un baiser sur la joue. Je couche Peter et je te rejoins, d’accord ?
Il regarda son fils. Les grands yeux noisette de l’enfant le fixèrent avec malice. Il se sentit transpercé.
— D’accord, dit-il en déposant un baiser sur le front du bambin. Bonne nuit, fiston. N’embête pas trop ta mère.
Il eut pour toute réponse un léger rire de l’enfant.
Partant en direction de sa chambre, la lettre toujours en main, il ne pouvait s’empêcher de se demander… Comment pouvait-elle revenir maintenant ? Était-ce réellement elle ?
Arrivé dans sa chambre, il s’assit sur son lit sans prendre la peine d’allumer la lumière et soupira. Il retourna la feuille.
« Je viendrai à la maison d’Emma dans dix jours, à la fin du zénith, avant le crépuscule. »
— Mais qui parle comme ça ?!
La colère prit le pas sur son esprit. Il froissa le papier jusqu’à en faire une boule et la jeta à travers la pièce. Une voix douce coupa ses pensées sombres.
— Je peux entrer ?
Mary était à l’encadrement de la porte.
— Oui, bien sûr. C’est aussi ta chambre, répondit-il, fatigué.
Elle s’approcha doucement, alluma une lampe de chevet et s’assit à ses côtés.
— Tu veux en parler ?
Il soupira.
— Elle veut me revoir… enfin, nous revoir, avec Emma.
— Et toi, tu veux la revoir ?
Il baissa les yeux, honteux.
— Oui… Au moins pour savoir la vérité.
Mary déposa un baiser sur sa tempe et souffla :
— Alors vas-y.
Annotations
Versions