Chapitre 14 : Le casse du siècle (nouvelle version)

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— T’es sûr que c’est ici ? On dirait… un poulailler !

— Ce n’est pas ce bâtiment, mais celui au bout du chemin. Je ne peux pas m’approcher plus en voiture.

— OK. On y va.

— Comment ça, « on » ?

Nouvelle négociation. Nouvelle victoire. Je crois qu’il m’aime bien. Ou du moins, qu’il a suffisamment pitié de moi pour se sentir responsable de mon sort.

— Ne faites aucun bruit !

— Oui, ça va, je suis pas idiote…

— Ça reste à prouver.

Je ne relève pas. Il est encore plus stressé que moi, je suppose, et il n’a pas forcément tort. Jusqu’ici, on ne peut pas dire que je me sois distinguée par ma sagacité.

Par chance, le chemin est désert et la nuit noire. Nous rasons les hangars qui se succèdent, tous plus insignifiants les uns que les autres, jusqu’à toucher au but.

— Non mais il t’a fallu toute une journée pour percer la sécurité de ce truc ! Un coup de tronçonneuse dans les flancs, et il s’effondre comme un château de cartes !

— Ce n’est que l’entrée… Les installations sont souterraines. Par ici !

— Euh, c’est une caméra, ça ?

— Oui. Je l’ai désactivée… normalement.

— Normalement ?

— Oh, c’est pas le moment de chinoiser !

— C’est raciste.

Malgré l’obscurité, je distingue ses sourcils froncés et ses yeux qui roulent. Le temps n’est pas à l’humour, je crois. Il se détourne avec un soupir agacé. Nous longeons le petit hangar aux murs de tôle jusqu’à la porte de derrière, fermée d’une grosse chaîne cadenassée.

— Tu sais crocheter les serrures ?

— Évidemment, je gagne si mal ma vie que je me suis mis aux cambriolages.

Il se fout de moi mais je ne peux retenir un petit rire. Dommage qu’il ait si peu de cheveux, il pourrait avoir son charme.

— Non, mais j’ai pris ça.

— Un marteau ? T’es sérieux ?

C’est bruyant, mais efficace. C’est qu’il en a, des ressources, le petit Alan ! Nous prêtons l’oreille pour nous assurer que les coups n’ont pas attiré la cavalerie. Puis il vérifie sur son téléphone que son piratage tient toujours.

— L’alarme est désactivée, mais ils ont peut-être recruté des gardes jusqu’au transfert.

— Des gardes ? On va devoir se battre ?

— Possible… Si ça arrive, vous serez gentille de soulever votre pull, pour les distraire.

— Bah… C’est qu’il fait un peu froid… Puis s’ils sont aussi sensibles à mon charme que vous…

— C’est dans la poche.

Je rêve ou il me drague ? Quoi qu’il en soit, j’ignore si c’est le stress ou l’excitation de l’interdit qui me met dans cet état, mais je n’arrête pas de rire bêtement et je finis par contaminer la belette.

Le hangar est désert et vide, à l’exception de la fameuse camionnette blanche. Alan me guide jusqu’à la porte du sous-sol, elle aussi verrouillée.

— Le marteau, encore ?

— Le badge.

— C’est drôlement impressionnant, la technologie.

— Chut ! Et arrêtez de rire, par pitié.

Il est franchement mal placé pour critiquer, avec ses petits caquètements de poulet euphorique. J’inspire, expire, relâche zygomatiques et abdos, et suis la belette dans les sombres escaliers, éclairés au téléphone portable.

— On pourrait allumer, non ?

— Et s’il y a des gardes ?

— De toute façon, ils nous verrons, avec nos loupiotes…

— Chut, écoutez.

Merde ! Des voix ! À pas de loup, Alan me guide vers un couloir qui nous éloigne du danger, mais aussi de notre but.

— Ils doivent être devant la porte du labo C. Parbleu !

— Il n’y a pas d’autre entrée ? Et si on passait par les ventilations ?

— Vous vous croyez dans un film ?

— Ben…

Accroupis, serrés comme des sardines dans un angle de mur, nous réfléchissons. Enfin, en tout cas, j’essaie de réfléchir à un plan, mais l’adrénaline et la proximité du corps tremblant de la belette me jouent des tours. Impossible de me concentrer ! Je me redresse pour arpenter en silence le couloir, les mains plantées sous mes aisselles.

— Il nous faut les éloigner du labo, propose Alan. Attirer leur attention ailleurs…

— Tu penses qu’ils sont combien ? Deux ? Oh ! Je sais : tu retournes à la voiture, et klaxonnes à mort !

— Et s’il y en a un qui reste sur place ? Vous avez pas plus nul, comme plan ?

Tout en continuant ma ronde, je réfléchis. Les éloigner, tous les deux, les attirer à l’extérieur, ou les faire fuir l’intérieur. Soudain, l’idée !

— On fout le feu.

— Quoi ?!

— Mais oui ! Un petit feu, pas grand-chose… Mais suffisamment pour les faire sortir !

— Vous avez un sacré grain, quand même.

— Allez, j’y vais !

— Vous allez où ? Non mais Gabrielle ! Revenez immédiatement !

Je retourne aux escaliers et les remonte. Si j’incendie la camionnette, je ne pense pas que le feu se propagera au reste du bâtiment, encore moins au sous-sol. Par contre, le raffut devrait suffire à attirer les gardes ici et les occuper un moment. Encore plus si une alarme incendie se déclenche. Mince, j’aurais dû demander à Alan si elles étaient toujours actives malgré son piratage…

Bon, comment faire ? C’est un peu risqué, mais si je fourre un mouchoir enflammé dans le réservoir, ça devrait fonctionner. Zut ! Il est verrouillé ! Les clefs… les clefs… Je fouille les alentours pour la forme, mais il n’y a rien dans ce fichu hangar ! À tous les coups, elles sont conservées au sous-sol.

— Gabrielle ! Ne faites pas ça !

— Ah ! Tu tombes bien ! Redescends et ramène-moi les clefs ! Il faut que j’ouvre ce putain de réservoir.

— Certainement pas ! On s’en va !

Il tire ma manche pour m’entraîner vers la porte, prêt à tout foutre en l’air. Je tourne mon bras pour inverser la prise – bases de self-défense – et agrippe fermement son poignet.

— Non mais tu rigoles ! Attends, je sais ! Par en-dessous !

Je le lâche pour ramper sous le véhicule, puis je commence à tirer tous les tuyaux que je trouve. Il y en a forcément un qui contient un truc inflammable ! La belette essaye d’attraper mes pieds pour empêcher la manœuvre, mais je me débats comme un beau diable, et il abandonne la partie.

— Descends, Alan ! Et quand ils seront montés, tu récupères John !

— Non-non-non-non…

— Oh là là, mais quelle chochotte ! File-moi ton marteau, ils résistent ces cons de tuyaux !

— Non-non…

— Bon, passe-moi mon sac, au moins !

Un couteau multifonction à cinq euros fait parfaitement l’affaire. Je pique, taillade, fais levier… Et enfin ! Un liquide puant me gicle au visage !

— Yeah !

Couverte d’essence, je retourne à la surface pour secouer la belette, qui est dans tous ses états.

— Alan ! Calme-toi ! Tu restes ici, et dans deux minutes, tu casses la vitre avec ton marteau, klaxonnes et fous le feu ! Tiens, mon briquet. Moi, je redescends, je trouve John, je le remonte et… Ensuite, je sais pas. Mais déjà, on aura bien avancé.

— Bien avancé ?! Donc, si je comprends bien, j’attends sagement que les gardes me trouvent ici, devant le véhicule que je viens d’incendier… Non ! J’arrête tout !

Il tourne les talons et je me jette sur lui pour le retenir.

— Lâchez-moi ! Gabrielle, vous êtes complètement dérangée !

— Tu ne vas nulle part ! C’est le plan parfait !

— C’est le pire plan de l’histoire de l’humanité !

Il tente de m’écarter, mollement, mais je reste collée. Les vapeurs d’essence me tournent la tête. Avec un peu de chance, il en sera de même pour lui, ce qui facilitera la négociation.

— Bon… Sinon, moi je reste ici, et j’attends les gardes en me cachant… euh, là ! Derrière ces caisses ! Et je les assomme, avec ton marteau. Non, ça va les tuer… Euh, avec… un truc, je trouverai bien. Toi, tu remontes John. Comme ça, on pourra s’enfuir. Allez ! On n’a pas le temps de réfléchir ! On y va !

Je me décroche et le pousse vers les escaliers avec un sourire d’encouragement ou d’excitation diabolique. Quand la lueur de son téléphone disparait, je compte cinq secondes, retourne au véhicule et casse la vitre côté conducteur avec mon couteau. Sur la pointe des pieds, je jette un œil à l’intérieur de la cabine et repère un pied de biche ; certainement celui qui a fracturé ma porte. L’assommoir parfait.

Le corps à moitié passé par la fenêtre, je m’en saisis et m’apprête à klaxonner. En une fraction de seconde, mon cerveau prépare la suite : klaxon, feu, cachette, coup sur la tête. Putain ! Mon briquet, je l’ai filé à Belette ! Faites que j’en aie un autre…

— Ouf ! Tu me sauves la vie, toi !

Bon : klaxon, feu, cachette, coup sur la tête. Euh… Feu ? Alors que j’ai de l’essence partout sur moi ? J’enlève le haut et m’essuie comme je peux avec. Si je tiens la flamme loin de mon visage, ça devrait le faire. Et si nécessaire, je pourrais toujours jouer de mes charmes avec les gardes.

Trois-deux-un go !

TOUUUNT.

Shlack. Shlack.

— Allez ! Allume-toi !

Shlack.

CHRFROUUU.

Vite, derrière les caisses ! Le dessous de la camionnette a pris feu, mais toujours pas de gardes en vue. Une fumée noire envahit peu à peu le hangar. Un instant, j’hésite à retourner ouvrir la porte, pour que le vacarme de l’incendie leur parvienne. Je me redresse en toussant quand la porte s’ouvre enfin, libérant deux gaillards nerveux.

— Qu’est-ce que c’est qu’ce bordel ?

— Vite, trouve un extincteur ! Sont en bas !

Le plus petit fonce dans les escaliers pendant que le grand fait le tour du véhicule, paniqué. D’un coup, j’ai comme un doute avec mon histoire d’assommement : j’ai bien l’impression que c’est le genre de truc qui ne fonctionne que dans les films. Ce que je risque surtout c’est, au mieux, de le tuer, au pire, de l’énerver. Bon, plan B ! Non, plan C, parce que le B c’était cette sombre histoire de nichons. Le plan C est simple : la fuite !

— Hey, machin !

Le gars me fixe, éberlué. En une fraction de seconde, ses yeux glissent de mon visage à mon soutien-gorge ; je l’ai accroché. Je me lance alors à toute vitesse vers la porte de sortie, avec quelques regards furtifs en arrière pour vérifier qu’il me suit bien. Il me prend en chasse à l’extérieur du bâtiment, mais l’obscurité est mon alliée. Je me rue dans les fourrés, zigzague entre les arbres et les tas de palettes, me cache derrière des plaques de tôle. Il fouille la nuit, s’avance, recule, tourne en rond. Il m’a perdue de vue. En silence, je le contourne, pendant qu’il cherche aux abords du hangar voisin. « Allez, éloigne-toi encore un peu… ». Vite, je me faufile dans le bâtiment enfumé, referme la porte et la coince avec le pied de biche.

Un de moins.

L’autre n’est toujours pas remonté avec son extincteur, et le feu s’est propagé à tout le véhicule. L’atmosphère est irrespirable. Je prends mon courage à deux mains, traverse la fumée et redescends au sous-sol, prête à tomber à tout moment sur le garde, mais rien ne vient.

Sans peine, je trouve le laboratoire C.

Et le garde, allongé devant la porte.

— Alan ? C’est toi qui l’a assommé ? Alan ??

Bon sang, où est-il ? Je passe la porte…

— PUTAIN DE MERDE !

John est là, et ce sale traitre de belette aussi ! Tous deux portent une sorte de casque qui les relie à un gros bloc informatique. Je me rue vers John.

— John ! John, tu m’entends ?

Il ne bronche pas, hormis ses yeux qui papillonnent en tous sens et ses lèvres qui marmonnent sans bruit. Je reporte mon attention sur l’écran de la machine mais ne comprends rien de ce que j’y lis. Des graphes, des chiffres, des boutons, mais aucun qui dirait « arrêt transfert ». Fébrile, je piétine sur place. Que faire ? Le débrancher ? Arracher le casque, là, en pleine opération ? En me penchant sur la droite, je repère le gros champignon rouge d’arrêt d’urgence. Ma main se lance d’elle-même, quand :

— Non !

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