Chapitre 3

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Ma grande docilité avait permis à William de commencer le véritable débourrage. Si bien qu’il ne lui avait pas fallut longtemps pour utiliser une part de ses économies afin d’acheter une selle. Celle-ci, quoi qu’usée par le temps, était encore en bon état. Mais n’ayant pas encore atteint ma taille adulte, mon maitre préférait ne pas investir dans le reste du matériel. Il se servait d’une vieille couverture pour protéger mon dos et quelques cordes permettaient de maintenir la selle en place. Cependant, il n’envisageait pas encore de me monter, à cause de ma petite taille.

Tous les matins, il me faisait travailler en longe en bas du terrain, dans le pré où le vieux Napoléon passait le plus clair de son temps. L’herbe y était fraiche et tendre et un ruisseau passant par là permettait de se désaltérer. L’âne me regardait ainsi tourner autour de William, relié à lui par une simple corde. Ma musculature s'était développée, si bien qu’on me comparait à un poney de trait. Si toutefois ce genre d’animal existait. Je pouvais sans peine échapper à la main de William, mais le simple fait de l’imaginer m’était inconcevable. Lui qui m’avait élevé ne méritait pas un tel remerciement. Je ne pouvais ne serait-ce que tirer sur la longe, au risque de le blesser.

La selle sur mon dos n’était pas des plus confortables. J’avais donné quelques ruades à cause de la gêne qu’elle occasionnait mais jamais je n’avais cherché à m’en débarrasser à tout prix, conscient que c’était là l’objectif de mon débourrage. Mes griffes permettaient même de me faire travailler après la pluie, quand l’herbe était rendue glissante. William assurait même qu’une fois en selle, il ne craindrait pas de me laisser aller dans les endroits les plus abruptes. D’ailleurs, il s’agrippait souvent à moi quand il s’agissait de remonter la pente. Je le remontait ainsi sans grande peine.

Autrement, je restais auprès de Napoléon. Bien sûr, dès que mon maitre avait besoin de moi, j’accourrai sans hésitation. Un sifflement caractéristique me permettait de le reconnaitre. Bien souvent, ma présence était requise au contact des animaux car jugée apaisante. Un jour, William avait entreprit de m’essayer à l’obstacle. A l’aide de cageots et d’une grande branche, il avait fabriqué de quoi me faire sauter.

-J’aimerai que tu franchisse cet obstacle, Rex, avait-il dit.

Puis il était parti se placer de l’autre côté. Il m’avait ensuite appelé d’un sifflement plus doux. Sans hésitation, je me suis élancé au galop, sautant au-dessus du petit obstacle.

-Oui, Rex !

Il m’avait récompensé d’un morceau de viande séchée et m’avait flatté l’encolure.

-Tu es formidable, Rex. Le meilleur animal qu’un pauvre fermier comme moi puisse avoir !

Il avait le sourire.

-Mon cousin et sa sœur arrivent la semaine prochaine, tu sais. J’aimerai tellement leur montrer ce que tu vaux. Je suis sûr que tu feras un excellent dragon d’attelage.

Dragon. Voilà comment il me qualifiait. Je ne savais pas ce qu’était un dragon, et William le décrivait comme une bête écailleuse avec des ailes et dont la langue soufflait le feu. Son visage s’était alors illuminé.

-J’ai une idée ! Rex, suis-moi !

Puis nous avions montés la colline. Je l’avais suivi jusqu’à une vieille carriole.

-Depuis que Napoléon est à la retraite, elle n’a pas servie. Mais je sais que toi, tu pourras la tirer. Tu es le plus fort des animaux de cette région, j’en suis certain.

Nous étions allés dans la grange. Il avait attrapé un gros collier de cuir noir avec des anneaux de fer et des sangles.

-Aujourd’hui, ton débourrage à l’attelage commence.

Puis il s’était approché. Effrayé par cet objet imposant, je m'étais cabré. Ma queue avait fait tomber quelques outils posés contre le muret de la stalle. J’avais également sectionné une planche.

-Tout doux, Rex, tout doux…

J’avais les naseaux palpitants et les yeux roulants. J'avais raclé le sol de ma patte avant gauche, dégageant un peu de paille. Il s’était encore approché. Je devais bien mesurer un mètre dix, à présent.

-C’est un collier d’attelage, avait-il dit. Grâce à ça, tu pourras tirer la charrette.

Puis il s’était agenouillé.

-Approches, Rex, approches mon grand.

Je m’étais avancé vers lui. J’avais tendu le cou pour renifler l’énorme collier de cuir noir. On y distinguait encore faiblement l’odeur de Napoléon dessus. Lentement, j’avais passé ma tête dans le trou. William m’avait souri.

-C’est ça, Rex, c’est ça…, murmurait-il.

Puis il avait continué à me passer le collier jusqu’au poitrail. Cela me faisait un certain poids à soutenir, mais je m’en sentais capable. Il avait ensuite attrapé tout un ensemble de sangles sur le mur et nous étions retournés à la petite cariole. Il l'avait tournée vers le portail. Là, il avait entrepris de m’y attacher.

-Doucement, Rex, doucement.

Je bougeais dans tous les sens. Quelque chose en moi s’était éveillé. Puis, lorsqu’il avait terminé, il s’était approché de ma tête.

-Allez, Rex, avance !

Aussitôt, je m’étais élancé au galop, tractant l’attelage sans difficulté. Heureusement, le portail m’avait arrêté. William était arrivé en courant.

-J’en étais sûr ! Je savais que tu y arriverais ! Maman ! Tu as vu ça ?

- Impressionnant, oui. Ta bête pourrais bien nous être utile en fin de compte !

Je m'étais senti empreint de fierté. J’allais enfin pouvoir aider mon maitre ! Dans un puissant rugissement, je m’étais cabré. William avait reculé de quelques mètres.

-Tout doux, Rex.

Son visage exprimait lui aussi toute la fierté du monde. A peines quelques semaines après ma naissances, je parvenais à tirer la cariole.

-Je vais devoir fabriquer un filet rudimentaire…

A peine m’avait-t-il libéré que j’avais galopé en bas du terrain pour raconter ma petite aventure au vieil âne. Il en fallait beaucoup pour l’étonner, mais à son air, j'avais compris que mon récit ne le laissait pas indifférent. Nous nous étions gratouillés pour fêter l’évènement. William nous avait ensuite rejoins, assurant que le lendemain, nous ferrions plus que quelques mètres. A ces mots, je m’étais cabré, prêt à accomplir la tâche qu’il me confierait.

Et c’est ainsi que les jours suivants, j’avais tiré la cariole à travers le domaine, guidé par mon maitre à mes côtés. Il m’avait fabriqué un licol en corde sur lequel étaient attachés quelques harnachements eux-mêmes reliés à l’attelage. Tous les jours, je montais et descendais la côte avec un peu plus de chargement. William ne me demandais jamais plus de deux ou trois aller et retours. Pourtant, je savais au fond de moi que je pouvais tirer la cariole aussi longtemps qu’il le désirait. Pour lui, j’étais même près à accomplir sans faille le travail d’un grand attelage de chevaux de traits, si robustes pouvaient-ils être.

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