Frustrations

5 minutes de lecture

Un chapitre / Une musique

Dpt 1 - Microfilm

https://www.youtube.com/watch?v=3Esr5Uzc8G0

*

Jeudi 16 juillet 1981.

Je reviens à la maison, tout content. Avoir vu Lucas m’a presque fait oublier cette rencontre destabilisante avec madame Desbois. Je retrouve ma mère dans le salon, au milieu de ses livres. Inutile de lui faire part de cet incident. Ce serait une raison de plus pour en vouloir à mon père d’avoir déménagé ici. Elle semble apaisée par le rangement de ses livres sur les étagères, je l'aide le reste de la matinée. Elle est ravie pour moi de l’invitation de Lucas, et m'assure qu’elle pourra finir sans problème toute seule. Mon père n’ayant pas prévu de revenir déjeuner, nous avons donc décidé de manger tôt, afin que je sois à l’heure pour ma sortie.

Alors que je mets le couvert et que ma mère mélange la salade, je suis étonné de le voir débarquer dans la cuisine, furieux.

— Le maire s’est bien joué de moi. L'électricité est entièrement à refaire. Et le bureau que j’avais commandé n’est pas arrivé comme prévu, dit-il en s’asseyant devant nous.

Ma mère ne peut s’empêcher d’avoir un petit sourire narquois de satisfaction.

— Aucun commentaire. Je ne suis vraiment pas d’humeur.

— Monsieur n’est pas d’humeur, je vois ça. Nous passions une matinée tranquille avec ton fils, alors ce n’est pas la peine de nous la gâcher ! Pour ta gouverne, j’ai prévu de finir de ranger la bibliothèque cet après-midi pendant qu’Alexandre sera avec Lucas. Il s’est gentiment proposé de l’emmener à la rivière, siffle-t-elle.

Je redoute ce qui va se passer. Je vois déjà mon père prêt à répliquer. Ce qui ne manque pas.

— C’est vrai que ta bibliothèque passe avant tout ! Et dire que je n’ai même pas eu encore le temps de déballer tous mes cartons dans mon bureau. Tu sais comme je suis. Si tous mes dossiers ne sont pas classés, je vais perdre un temps fou !

— Ça aurait été encore simple si nous étions restés à Paris, et tu le sais aussi bien que moi !

— Tu racontes n’importe quoi ! Tu ne vas pas remettre ça sur le tapis !

— Moi je raconte n’importe quoi ? C’est la meilleure. Je ne sais pas ce qui me retient…

— Tais-toi Françoise ! Ou je te jure que tu le regretteras.

Je ne saisis pas très bien ce qui se trame entre eux, mais j’ai soudain le ventre noué, comme quand j’avais sept ans.

— Et toi Alexandre, si tu crois que tu vas passer ton été à te balader en vélo ou à ne rien faire, détrompe-toi. Je vais d’ailleurs avoir besoin de toi dès cet après-midi pour aller chercher des médicaments que j’ai commandés à la pharmacie. Et tu m’accompagneras en ville pour acheter de quoi aménager la salle d’attente. J’ai rendez-vous avec un électricien à quatorze heures. Le maire a fait le nécessaire. Il avait intérêt à se faire pardonner celui-là.

En plus du ventre noué, ma mâchoire se serre. Ma colère monte.

— Mais papa, j’avais prévu de retrouver Lucas…

— Il n’y a pas de mais, tu viendras m’aider, un point c’est tout, et ne discute pas.

— Maman, dis quelque chose !

Je vois ma mère qui se retient.

— Alexandre mon chéri, écoute ton père s’il te plaît. Tu iras une autre fois avec ton copain. Je le préviendrai tout à l’heure quand il viendra.

Je vois aux yeux de ma mère qu’il est préférable que je me taise. Comme moi, elle fulmine intérieurement. Mon père le sait. À croire qu’il en joue, en s’installant à table, comme si de rien n’était, considérant que la discussion est close. Ma mère ajoute une assiette. Je me promets de ne pas leur adresser la parole de tout le déjeuner.

*

Il est quatorze heures pile quand nous arrivons devant le cabinet médical. Le maire, est accompagné de l’électricien, dans sa salopette grise. Mon père les salue cordialement, avant de les faire entrer sans plus attendre. Je ne sais pas s’ils ont remarqué l’intonation sèche de sa voix, mais je sais d’avance que ses injonctions ne leur laisseront pas ajouter quoi que ce soit. Je déteste quand il est comme ça. Je n’aimerais pas être à leur place. Je préfère rester dehors, en pleine chaleur, que de l’entendre donner ses ordres. Il ne lui faut pas longtemps pour sortir à son tour. Direction la pharmacie. Une forte odeur désagréable de désinfectant mélangée à celle d’eau de Cologne me saute aux narines. Le carrelage est rutilant. Les boîtes de médicaments sont impeccablement rangées sur les étagères où pas le moindre grain de poussière n’est à déplorer. Ravie de notre venue, Madame Leduc sort de sa réserve pour nous accueillir. Son chignon lui tire violemment les cheveux, dont aucun ne s’échappe. Son sourire artificiel et la rigidité de sa posture en sont risibles.

— Monsieur Dumont, tout ce que vous m’avez demandé est arrivé. J’ai fait le nécessaire pour, dit-elle d’un ton professionnel, fière d’avoir rempli son devoir. Cela se voit rien qu’à son air satisfait de commerçante irréprochable.

Je ne m’y ferai jamais à tous ces gens qui se plient en quatre pour faire plaisir au docteur Dumont.

— Je vous l’ai déjà dit Geneviève, appelez-moi Charles, lui répond-il suavement, ce qui ne manque pas d’empourprer les joues de la pharmacienne. Elle s’en retourne à sa réserve et nous amène, les uns après les autres, trois cartons remplis de médicaments.

— Alexandre, aide-moi, veux-tu, me demande mon père.

Je m’empresse de prendre un des cartons. Il se révèle assez lourd. Mon père en prend un, lui aussi.

— Merci beaucoup pour votre rapidité, j’apprécie sincèrement, dit-il.

— C’est tout naturel…Charles ! exulte madame Leduc, en prononçant son prénom. Je vous envoie Juliette pour apporter le carton restant. Mais j’y pense, Alexandre, que dirais-tu que ma fille t’emmène découvrir la rivière demain après-midi ? Il faut absolument que tu découvres nos cascades.

Je déteste le ton avec lequel elle me fait cette proposition. Elle ferait tout pour se faire bien voir de mon père, qui est bien conscient de son manège.

— Quelle bonne idée ! N’est-ce pas Alexandre ? dit-il.

— Avec plaisir madame Leduc, je réponds poliment.

— Appelle-moi Geneviève, me sourit-elle.

Je crie dans ma tête. Je fusille du regard mon père qui fait comme s’il n’avait rien vu.

Annotations

Vous aimez lire Tom Ripley ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0