Révélations

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Un chapitre / Une musique

Carpenter Brut - Turbo Killer

https://www.youtube.com/watch?v=wy9r2qeouiQ

*

Jeudi 23 juillet 1981.

Mon père pose le journal local sur la table cirée, et nous commente la une de ce matin.

— Les frères Colombani, encore eux. L'un des deux s’est échappé de la prison de Fleury-Mérogis le week-end dernier…Incroyable ! Il serait à présent dans notre région pour se mettre au vert, à l’aide d’un complice. C’est la piste privilégiée des gendarmes.

— Tu plaisantes, j’espère ! dit ma mère, soudainement intéressée par ce que dit mon père.

— Non, malheureusement. Ce n’est pas à exclure, non plus, qu’il soit armé. Vous voulez mon avis ? Il n’a aucune chance. Il finira bien par se faire coincer.

— Ça me fait froid dans le dos tout ça, tu n’as pas autre chose à raconter, dès le matin, franchement ! continue ma mère.

— Oh, ça va. Attention, ne me criez pas dessus, après ce que je vais vous dire, enchaîne-t-il.

Avec ma mère, nous le fixons du regard.

— Quand je vous disais que la famille Mercier était à éviter ! Après le père, c’est au tour du fils. Je l’ai reçu en urgence à mon cabinet, hier après-midi.

— Quoi ??

— Mais ne crie pas comme ça, Alexandre enfin ! s'exclame ma mère.

— Il est arrivé, l’arcade sourcilière complètement explosée. Il saignait beaucoup, c’est toujours impressionnant à voir. Je crois qu’il s’est fait peur.

— Et comment il va ? dis-je, inquiet.

— Pas trop mal. Il avait aussi de gros hématomes dans le dos. À votre âge, on se remet vite. Je ne m’inquiète pas trop pour lui. À présent, tu comprends mieux pourquoi je ne veux pas que tu le fréquentes.

Je fulmine. Mon père le voit sur mon visage.

— J’ai voulu savoir comment il s’était fait ça. J’ai essayé d’être diplomate avec mes questions, mais il s’est refermé comme une huître. Si vous voulez mon avis…

Je le coupe dans son élan.

— Tu sais où il habite ?

— Il est hors de question que tu ailles le voir ! C’est bien compris ?

— Et comment tu m’en empêcheras ?

C’est sorti tout seul.

— C’est quoi cette nouvelle façon de répondre à ton père ? Françoise, dis quelque chose. Toi au moins, il t’écoutera !

— Je dois bien avouer que je suis inquiète…

— Mais enfin, vous ne savez même pas ce qui s’est passé et tout de suite vous…

— Ça suffit, Alexandre, nous disons ça pour ton bien. Tu le sais très bien. Estime-toi heureux qu’on te laisse finalement te promener à vélo à ta guise toute la journée. Il est important de choisir ses fréquentations. Tu le sais aussi bien que nous.

Je crie dans ma tête. Je ne supporte plus ce qui sort de sa bouche.

— Pourquoi est-on venu s’enterrer ici, à Saint-Amant ? Dites-moi la vérité !!

Ma question les cloue sur place.

— Tu le sais très bien mon chéri. Ton père avait une opportunité et…dit ma mère, mal assurée.

— Je vous ai entendu l’autre soir, vous n’arrêtez pas de me mentir depuis des mois. Quand est-ce que vous allez arrêter à la fin ?

Je vois ma mère sonder mon père.

— Françoise, je t’interdis…

— Ça suffit, Charles, Alexandre va avoir 17 ans dans trois jours, il a le droit de savoir.

Mon père regarde sa montre.

— Très bien Françoise, tu l’auras voulu. Je dois partir au cabinet. Je te laisse lui annoncer. Mais sache Alexandre, que ce que j’ai fait, c’est pour le bien de notre famille.

Il a le regard fuyant. Il ment, j’en mettrais ma main au feu. Il attrape sa mallette et part en claquant la porte. Je me retrouve seul, face à ma mère.

— Comme toi, je ne suis pas enchantée d’être ici, comme tu as pu t’en percevoir, commence-t-elle par dire.

Je ne dis rien. À vrai dire, ce n’est même plus vrai. Après la journée que j’ai passé avec Lucas hier, tout a changé pour moi.

— Si nous avons déménagé, c’est parce que ton père a eu un problème délicat à son cabinet.

Je la regarde, attendant la suite.

— Ton père a été accusé d’attouchements par une de ses patientes. Elle a presque ton âge.

Si je m’attendais à cette histoire !

— Comment ça ?

— La mère n’a même pas porté plainte. Heureusement pour lui.

Je ne comprends rien.

— Mais enfin, qu’est-ce que tu me racontes ?

— Ce que j’essaye de t’expliquer mon chéri, c’est que la réputation du cabinet de ton père est devenue une vraie catastrophe en quelques mois. Et tu sais comment ça se passe. Même s’il ne sait absolument rien passé avec cette affabulatrice, le mal est fait.

— Non, je ne sais pas comment ça se passe. Ce que je sais en revanche, c’est que c’est sa parole contre la sienne, non ? Une rumeur et voilà qu’il ferme son cabinet. C’est insensé !

— Ce n’est pas aussi simple mon chéri, et vu la mère en question…Il n’y a pas que ça…Tu es trop jeune pour comprendre…

— Je vais avoir 17 ans, c’est toi même qui vient de le rappeler à papa ! Tu te rends compte de ce que tu viens de me dire ?

Je vois ma mère paniquer.

— Papa fait une grosse connerie et alors comme ça, vous décidez de fuir du jour au lendemain ! Et moi dans l’histoire ? Vous ne me demandez même pas mon avis…

— Alexandre, enfin, ne crie pas comme ça. Ton père n’a rien fait ! Comment oses-tu ?

— Comme j’ose quoi ? C’est la meilleure ! Comment sais-tu qu’il te dit la vérité ?

— Ça suffit Alexandre, tu dépasses les bornes.

Oui, c’est vrai, elle a raison, et ça me fait un bien fou de franchir la ligne rouge. Je reprends ma respiration.

— Je sais ce que tu penses de ton père. Mais il t'aime, tu sais. Tu verras, tu vas vite t'adapter ici. Regarde, Juliette, par exemple, tu t’en es déjà fait une amie, non ?

— Mais Juliette, je m’en fous, maman !!! Ce n’est pas parce que vous allez fréquenter la petite bourgeoisie du coin, que je dois forcément bien m’entendre avec la première venue !

— Alexandre, ça suffit maintenant. Qu’est-ce qui te prend ! Je ne te reconnais plus. Nous essayons de faire tout notre possible pour toi et voilà comment tu nous remercies.

Sa voix tremble. Elle est au bord des larmes. Avant, je m’en serais voulu de la voir dans cet état. Mais plus maintenant. Je suis excédé.

— Parce qu’il faudrait en plus que je vous remercie, j’y crois pas !!

— Cette fois-ci, vous devez insolent jeune homme ! Quand j’en parlerai à ton père…

Je ne la laisse pas terminer sa phrase, je renverse brutalement ma chaise et monte dans ma chambre. J’attrape un sac à dos, mon argent de poche et redescends pour sortir de la maison.

— Où vas-tu Alexandre, je t’interdis de partir comme ça ! Je n’aime pas que nous nous disputions de la sorte, c’est ridicule.

— Ce qui est ridicule maman, c’est comment vous osez continuer à me mentir. Je pars faire un tour à vélo.

— Alexandre, reviens !!!

Je pédale déjà aussi vite que je peux pour m’éloigner d’elle.

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