Trêve

3 minutes de lecture

Un chapitre / Une musique

Aqua Bassino - The Sound Of The Messenger

https://www.youtube.com/watch?v=Ew2EkU3EzPk

*

Dimanche 26 juillet 1981.

Il est midi quand je me réveille. J’ai super bien dormi. Je m’étire. J’ai les jointures des doigts un peu enflées. Ça me fait encore mal, mais c’est largement supportable. Ça ne va pas être pratique pour se branler, me dis-je bêtement. Je tends l’oreille pour vérifier si mon père est en bas. Je l'entends, il est dans la cuisine. Je me lève, enfile un caleçon et descends les escaliers. Il est effectivement en train de préparer le déjeuner. Nos yeux se croisent, mais je file directement aux toilettes. Lorsque j’en ressors, je vais me nettoyer les mains à l’évier. Sur la table, le couvert est mis, une salade composée, prête à être servie. Suspect tout ça.

— Tu as faim ? dit mon père, d’une voix nasillarde.

Son nez a doublé de volume. Merde. Et dire que c’est moi qui lui ai fait ça.

— Heu, ouais, un peu.

Je m’installe, mets ma serviette sur les genoux. Mon père me sert une grosse portion. Je commence à manger. C’est super bon.

— Bon Lucas, faut qu’on parle.

Je pose ma fourchette.

— Oui, je crois que ça serait bien en effet.

— Je vais arrêter.

— Arrêter quoi ?

— De boire, évidemment.

— Je te crois pas un instant.

— Je sais ce que tu vas me dire. À chaque fois, c’est la même chose et que je ne m’y tiens pas.

— Oui, exactement. Tu veux que je te rappelle ton record ? Un mois, bravo ! dis-je, en applaudissant.

— Oui, mais cette fois, c’est différent.

— Mon cul.

— Parce que notre vie va changer. Je te le promets.

— Ah non, papa. Surtout pas de promesse. Je t’en supplie.

Je vois à ses yeux qu’il s'attendait à ma réaction.

— Tu sais Lucas, la lettre du divorce m’a ouvert les yeux.

— Ah oui ?

— J’ai assez perdu de temps pour gâcher le reste de ma vie.

— Et la mienne par-dessus le marché.

Il serre les dents.

— Tu ne peux pas savoir comment je suis désolé…

C’est pas vrai, c’est reparti.

— Mais arrête, papa. Tu vas pas remettre ça. Je te crois plus. La seule solution, c’est que tu te fasses aider par quelqu’un. Tu le sais. Tout seul, tu ne pourras jamais t’en sortir.

Il se tait.

— Tu vois, tu dis rien. Comme d’habitude.

— Lucas, je t’en prie. Écoute-moi. Cette fois, c’est vraiment différent. Je te promets que dans très peu de temps, tout cela sera du passé.

— Mais qu’est-ce que tu racontes ?

— Je peux pas encore t’expliquer, mais fais-moi confiance.

— Non, papa, c’est fini tout ça. Tes beaux discours, tes promesses. J’en ai marre. Dis-toi que dans un peu plus de six mois, tu te retrouveras tout seul, ok ? Et là, tu auras le temps de repenser à tout ce que tu as fait.

— Je sais que tu ne veux pas passer ton bac. Tu vas faire quoi alors ?

— C’est pas tes oignons.

— C’est pas avec l’argent que tu vas gagner cet été que tu vas y arriver.

C’est à mon tour de serrer les dents.

— Je peux t’aider, dit-il.

— Hein, quoi, m’aider à me tirer d’ici ?

Qu’est-ce qu’il est en train de manigancer.

— T’as bien entendu. Puisque tu ne veux pas passer ton bac et que je ne pourrai pas t'y forcer, je suis prêt à t’aider pour la suite.

Il est tombé sur la tête ou quoi ?

— Et avec quel fric ?

— Ça, laisse-moi m'en occuper.

— C’est pas avec ton salaire de petit fonctionnaire que tu vas pouvoir m’aider, tu le sais bien.

— Fais-moi confiance.

Je ne sais pas ce qu’il a derrière la tête, mais je dois bien reconnaître que pour une fois il a l’air sincère.

— Oui, bah, on verra, on n'y est pas, de toute façon.

Il a son sourire timide. Je souris à mon tour, car avec son pif gros comme ça, on dirait un clown.

— Qu’est-ce qui te fait rire ? demande-t-il.

— Non rien.

— On fait la paix ?

Je réfléchis.

— Non, papa. Pas la paix, juste une trêve.

— Ok.

— Bon, très bien. Elle est pas mal ta salade. Tu t’es surpassé.

Il est tout content d’un seul coup.

— Je te ressers.

— Ouais, vas-y, dis-je en lui tendant mon assiette.

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