Jeudi 20 août 1981

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ÇilUn chapitre / Une musique

This Time It's Goodbye · Perry Blake

https://www.youtube.com/watch?v=DKrlZW0Yqqk

*

Il est 20h. Je regarde mon sac à dos posé contre le mur. C’est sûrement mon père qui l’a rapporté de la grotte. Je l’ouvre. À première vue, personne n’a fouillé dedans. Je vérifie. C’est bon, j’ai donc tout ce qu’il me faut. Je le teste sur mes épaules. Ça devrait le faire, malgré mon dos encore un peu endolori. Je fais un dernier tour de ma chambre. Cette fois, c’est la bonne. Je me casse définitivement. Et plus tôt que prévu, ça me fait bizarre. J’ai tellement attendu ce moment. Je repense à la gentillesse de mon père ces derniers jours. C’est trop tard papa. Il fallait y penser avant.

La porte d’entrée vient de claquer. Il doit sûrement être parti se saouler quelque part. Et même si ce n’est pas le cas, j’en ai plus rien à faire. Le principal, c’est qu’il ne me voit pas partir. Ça nous évitera bien des choses.

Dehors, la pluie. Je mets la capuche de mon K-way. Je ne croise absolument personne dans le village. J’arrive sur la route principale, en marchant sur le bas-côté, le pouce levé. Avec un temps pareil, j’espère qu’une âme charitable me prendra en stop rapidement. J’ai bien fait de partir aujourd’hui. Mon père ne s’y attendra pas.

Je marche dans la nuit, la pluie ruisselle sur ma capuche, sur mes épaules. Je commence à avoir froid. Finalement, ai-je bien fait de partir ? Ah non, ne commence pas à douter de toi, mon vieux ! Enfin, j’entends le bruit d’une voiture derrière moi. Je me retourne, fais de grands signes au conducteur. Je suis aveuglé par des phares jaunes. Génial, j’ai de la chance pour une fois. La voiture se met sur le bas-côté. J’ouvre la porte passager. Un homme me fait signe de monter.

— Vous allez être trempé sous cette pluie, montez ! Je peux vous déposer quelque part ?

— Où vous voulez, monsieur !

*

Ça y est, me voilà en ville. Certes, ce n’est pas le bout du monde, mais suffisamment loin pour me sentir libre, du moins pour le moment. La pluie tombe toujours, mais à présent, sous forme d'une légère bruine. Seuls les réverbères apportent un peu de vie aux rues quasi désertes que j’arpente, sans savoir où aller. Le contraste entre ma chaleur corporelle et le froid extérieur commence à me faire transpirer. Si ça continue, je vais attraper la crève.

Je pourrais peut-être me réchauffer dans un bar. Je continue donc à marcher en quête d’un établissement ouvert. Mais je ne vois que des devantures boutiques fermées. Je commence à m’impatienter, aucun café à l’horizon. Au détour d’une rue étroite, je finis par arriver sur une petite place, éclairée par de vieux réverbères en fer forgé. Il y en a enfin un ! J’entre sans plus attendre et viens m’asseoir au bar, posant mon sac à mes pieds. Mes épaules sont douloureuses, mais la chaleur du lieu me réconforte rapidement. Derrière son comptoir, une serveuse brune, cheveux courts, nettoie des verres. Je dois avoir une tête affreuse à la façon dont elle me regarde.

— J’ai comme l’impression qu’un café vous ferait du bien, non ?

Je lui souris timidement.

— Merci, madame.

— Je vous apporte ça tout de suite.

J’enlève mon vêtement de pluie et mon sweat. Je respire un peu mieux. Je ne sais absolument pas ce que je vais faire après avoir bu ce café. Où aller ? Chaque chose en son temps, Lucas.

Mon café arrive. J’arrache le papier du morceau de sucre et le glisse dans la tasse. Je tourne ma cuillère dedans et trempe mes lèvres. Le café me réchauffe instantanément. Qu’est-ce que ça fait du bien ! Il est très bon en plus ce café ! Je commence à me détendre un peu. La serveuse continue à s’affairer. Elle n’arrête pas, les commandes se succédant tout à coup. Depuis la table d'en face, un client l’apostrophe.

— Marie, apporte-nous une bière, s’il te plaît !

— J’arrive, j’arrive ! Mais je vous préviens, c’est la dernière, je ferme dans un quart d’heure !

— Ouais, t’inquiète !

Je comprends mieux pourquoi tout le monde était pressé de profiter d’un dernier verre.

— Excusez-moi mademoiselle !

La serveuse se retourne vers moi.

— Je vous sers autre chose ?

Même si je sais que ma demande va lui paraître ridicule, je prends mon courage à deux mains.

— Par hasard, vous n’auriez pas besoin d’un autre serveur ?

Surprise, elle se met à soupirer.

— Là, ce soir, je ne dirais pas non !

— Ça ne se voit pas comme ça, mais je suis votre homme !

— Je vois que monsieur est sérieux ! Mais pas en ce moment, désolé. Il se peut que j’ai besoin de quelqu’un dans quelques mois seulement. J’ai ouvert ce café il y a un peu plus d’un an. Il commence juste à trouver son rythme de croisière. Repassez dans six mois, j’envisagerai alors de prendre un second matelot à bord !

— Ok, j’y réflichirai, promis !

Je me sens tout à coup ragaillardi. Comme si un coin de ciel bleu s’ouvrait à moi. J’observe la patronne servir la tablée devant moi. Les clients passent visiblement une excellente soirée. Ils sont quatre mecs, détendus, tous dans la vingtaine, dont un amuse la galerie.

Mon café est presque terminé. Je cueille les derniers grains de sucre au fond de ma tasse. Je remets mon k-way. Il est temps de partir. Je dépose la monnaie sur le zinc. En mettant mon sac à dos sur mes épaules, je m'emmêle avec l’une des sangles. Cela amuse l’un des garçons de la table. Son pote lui donne gentiment un coup de coude pour le faire taire. Celui-ci réplique en l’embrassant sur la bouche ! J’en lâche mon sac à dos. Je rougis, le rattrape maladroitement. Je me sens ridicule et n’ose plus les regarder. Est-ce que j'ai bien vu ce que j'ai vu ? Je remercie la serveuse, en la complimentant pour son excellent café, avant de sortir. Je me retourne vers l'enseigne de l'établissement, une devanture en bois. Deux ampoules éclairent son nom gravé dessus, Le petit Marcel. Je mémorise le nom et celui de la place. On ne sait jamais de quoi l’avenir est fait ! La pluie s’est arrêtée, tant mieux. Il s’agit maintenant de trouver un endroit pour dormir.

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