Projet

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Un chapitre / Une musique

Daft Punk - The Son of Flynn (Remixed by Ki:Theory)

https://www.youtube.com/watch?v=Cnm5UZlcJzU&list=OLAK5uy_kz9Brj8gmLAVi9Whaqoec5alD-m6N0tks&index=6

*

Mercredi 12 août 1981.

Ce matin, je me réveille avec l’image de notre dernier baiser sur les rochers. Nous nous aimons, je me sens invincible et tellement heureux ! Je me revois, hier, glisser discrètement mon livre de poésie dans le sac de Lucas. J’espère qu’il appréciera ma surprise. Il pourra même le garder s’il veut, j’ai une autre édition bilingue à la maison.

Au petit déjeuner, lorsque mon père me raconte d’un ton grave ce qui est arrivé à Juliette, je dois bien avouer que je me sens mal à l’aise. Je ne leur ai absolument rien dit de ce que je savais. Je fais celui à qui on vient d'annoncer la nouvelle.

— Tu m’écoutes Alexandre ? Il se passe de drôles de choses dans ce village. Je commence à me poser la question de savoir si nous avons bien fait de venir ici.

Il y a encore un mois, s’il m’avait dit cela, je l’aurais supplié de rentrer à Paris. Aujourd’hui, je ne voudrais pour rien au monde quitter Saint-Amant-La-Rivière.

Ma mère revient de la boîte aux lettres avec le courrier du jour. Mon père s’empresse d’en ouvrir une, le regard inquiet. Son visage pâlit instantanément. Affolée, ma mère lui arrache la lettre des mains. Elle se laisse tomber sur sa chaise, abattue, elle aussi. J’ai soudain très peur.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— C’est ton père, il est…On porte plainte contre lui pour agression sexuelle.

Je me mets à trembler. Cette fois-ci, c’est une réalité.

— Mais je croyais que…

Je n’arrive pas à terminer ma phrase.

— Ça y est, je suis foutu, dit mon père, livide.

Je crie dans ma tête. Je quitte la cuisine pour monter dans ma chambre. Je fais rapidement mon sac à dos avec dedans, une bouteille d’eau, une torche, mon roman de Camus, mon portefeuille et l’argent que j'ai mis de côté dans un tiroir, mon appeau, une serviette de bain, un gilet et le bandana de Lucas. Il me faut absolument quitter cette maison, ou sinon, je vais devenir fou.

*

J'ai passé ma matinée seul dans le moulin au milieu des champs de tournesols. J'ai ruminé comme un idiot et imaginé les pires scénarios de ce qui va advenir pour mon père, dignes des meilleurs feuilletons américains. J'ai fini par retrouver le chemin du village en traînant mon impatience de retrouver Lucas qui ce matin travaille au marché. J'ai juste pu le voir quelques minutes pour le saluer avant qu'il me donne rendez-vous en début d'après-midi chez lui.

Après avoir mangé un sandwich acheté à la supérette, je le retrouve comme prévu dans sa cour. Il est assis sur le banc, en train de fumer une cigarette. Nous nous embrassons, mais aujourd'hui, le goût de la nicotine me déplaît. Il s’en rend compte et va vite se brosser les dents, en sautillant comme un singe. Il revient se faire pardonner en m’embrassant avec son haleine fraîche, mais s’aperçoit que je ne suis toujours pas dans mon assiette. Son regard m'invite à déballer ce que j'ai sur le cœur.

— Alex, tu sais que j’ai envie de me tirer d’ici, mais je crois que ça te ferait du bien à toi aussi de partir quelques jours, histoire de les laisser dans leur merde.

— Tu veux parler d’une fugue tous les deux ?

— Ou des vacances sans nos vieux, si tu préfères. T’en penses quoi ?

J’en pense que ce matin, j’en ai très envie.

— Comment on fait ?

Lucas me regarde, étonné que je marche dans son jeu.

— T’es sûr de toi ?

— Certain. Je sais où ma mère planque son fric, elle a toujours une petite réserve d’avance. Je devrais pouvoir lui piquer sans problème.

— Je vois que monsieur est organisé. Je te propose qu’on se tire samedi pour disparaître dans la nature, alors qu’ils seront tous à la fête des cascades.

— L’idée me plaît. Une petite semaine, ça devrait bien faire flipper ma mère et j’espère mon père aussi. On pourrait même commencer par dormir dans la grotte et faire du stop dès dimanche.

— Pas con. Génial, il faut qu’on liste ce dont nous avons besoin.

Aussitôt, nous commençons à réfléchir à ce que nous devons emmener et la nourriture que l’on peut déjà se procurer dans le placard de nos parents. Nous sommes excités par ce projet comme jamais.

Nous arrivons à la grotte. Aucun signe de passage de quelqu’un, ce qui est une très bonne nouvelle pour nous. Lucas continue d'ajouter à la liste ce qui est indispensable, selon lui, à notre équipée. Je le regarde et partage son enthousiasme. Cependant, je sais que notre projet n’est qu'un jeu imaginaire, un dernier défi lancé à notre adolescence. La réalité est tout autre, mais je n’ose pas lui dire le fond de ma pensée, de peur de le décevoir. Après tout, si je ne suis pas insouciant aujourd’hui, quand pourrais-je l’être ?

Pour nous donner un avant-goût à notre périple, nous voilà sur la voie ferrée déserte en cette fin d'après-midi, où le soleil commence à faiblir doucement. Lucas a tant imaginé, chaque été, prendre un train pour découvrir d’autres régions, s’évader, quitter son quotidien. Chacun sur un rail en acier, nous posons, l’un après l’autre, nos pieds devant nous, tels des équilibristes. Nous nous tenons la main et hurlons comme des fous pour exprimer notre joie de partager ce bel été ensemble. J'ai retrouvé le moral. Je souris à la vie qui m’offre les plus beaux jours de mon existence. Je savoure ma chance.

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