Une orangeade ?

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Un chapitre/Une musique

Ordinary day - Perry Blake

https://www.youtube.com/watch?v=TLgaibEchkg

*

Mercredi 15 juillet 1981.

Il est 15h30 lorsque je sonne à la grande porte de chez les Dumont. J'ai fait un effort sur ma tenue vestimentaire. Pantalon propre et t-shirt repassé. C'est Alexandre en personne qui m'ouvre la porte avec un grand sourire. Je suis agréablement surpris par son accueil, car je ne sais pas si j'ai eu raison de proposer mon aide à sa mère. M’en veut-il encore, après l'incident de la rivière ? À priori, j'ai ma réponse. J’entre dans le hall. Je suis déjà impressionné, il fait au moins la taille de mon salon. Le sol en damier a subi manifestement un lessivage, le grand escalier, un lustrage à la cire. Alexandre m'invite à rejoindre sa mère. Je n'imaginais pas un salon aussi grand. Sur la droite, deux lourds canapés en velours, de chaque côté d'un grand tapis à rayures, au milieu, une table basse en chêne. Le tout disposé face à une cheminée au foyer imposant. La fenêtre qui donne sur la cour de l’entrée offre une splendide luminosité à la pièce. À l’autre bout de la pièce, une longue table de réception, autour de laquelle je compte huit chaises. Un grand vaisselier trône à gauche. L’ensemble donne sur de larges portes fenêtres ouvertes sur la terrasse extérieure.

Alexandre m’indique que le mur, en face de la cheminée, accueillera la future bibliothèque. Le nombre de cartons de livres est impressionnant. J’aperçois Madame Dumont arriver de la terrasse. Nous nous serrons cordialement la main. Sans transition, elle me montre les différents éléments de la bibliothèque à assembler, posés à même le sol. Elle tente de m'expliquer avec confusion comment agencer le tout. Je réalise pourquoi elle m’a demandé de l’aider. Elle n’y pige que dalle ! Alexandre n’a pas l’air très dégourdi, lui non plus. Je décide donc de prendre les choses en main. Je prends le temps de regarder plusieurs pièces et les outils à ma disposition. Je lui demande de m'aider à soulever un premier élément, afin de le poser contre le mur. Et j’invite madame Dumont à repousser un maximum de cartons pour nous laisser l’espace suffisant pour monter la bibliothèque. Ils semblent ravis de s'exécuter, sans la moindre protestation. Une heure plus tard, non sans peine, nous sommes tous les trois fiers du résultat. Cette grande bibliothèque a de la gueule !

Madame Dumont est aux anges. Elle nous propose une orangeade qu’elle servira sur la table en fer forgé de l’extérieur. Elle part en cuisine, nous laissant tous les deux profiter de la terrasse. Alexandre m'invite à m'asseoir.

— Tu ne peux pas imaginer comment tu fais plaisir à ma mère ! Elle est si attachée à sa bibliothèque !

— J'ai cru comprendre.

Nous profitons de l'ombre du tilleul pour apprécier cette pause bien méritée. Alexandre me sourit sans rien dire. Le soleil illumine les traits fins de son visage et ses cheveux blonds. Mais surtout ses yeux noisette. Je remarque seulement aujourd'hui ses longs cils qui se marient avec l'intensité de son regard. Sa peau claire vient adoucir son visage. Le charme naturel qu'il dégage est saisissant. Il est indéniablement plus détendu que le premier jour où nous nous sommes rencontrés. C'est une bonne nouvelle. Il est adossé à la chaise. Je remarque également son torse sculpté et ferme. Il doit faire du sport, c'est évident. Apparaît sur la table, un plateau rempli de verres, d'une carafe fraîche et d’une assiette de petits gâteaux.

— Et voilà messieurs. Alexandre, je te laisse servir notre invité ! dit madame Dumont, en prenant place à son tour.

Alexandre s’empresse de se lever et de me remplir un verre. Je le remercie poliment.

— Merci encore une fois, Lucas, pour ton aide. Il ne nous reste plus qu' à classer et ranger les livres.

Je bois une première gorgée. C'est délicieux.

— Je ne pensais pas que l'on pouvait en avoir autant. Vous les avez tous lu ?

Madame Dumont a un petit rire innocent. Merde ! Je comprends que je viens de gaffer.

— Non, malheureusement, Lucas ! Sers-toi en petits gâteaux, je t’en prie !

Elle a dû voir qu’ils me faisaient très envie. J’en prends un et le mange pour combler ma gêne.

— Alexandre, fais visiter ta chambre à notre invité ! J’espère qu’elle est rangée et que ton lit est fait !

Je le vois rougir.

— Maman, enfin ! dit Alexandre, mort de honte.

Je lui fais un clin d'œil discret.

— Mais avec plaisir, dis-je, pour mettre fin au supplice de son fils.

— Profitez-en pour monter ces deux cartons pleins de livres !

Après avoir fini notre verre assez rapidement, je dois dire, nous nous levons tous les deux. Je suis Alexandre dans l'escalier. Il pose son carton pour ouvrir la porte et me fait signe d'entrer.

— Oh quel beau lit bien fait ! dis-je pour le faire marrer, en déposant mon carton à côté de la bibliothèque, située à droite de l'entrée.

— Je suis désolé. Ma mère est…comment dirais-je…

— Ce n'est pas grave, tu sais….Mais dis moi, elle est super grande ta piaule ! ajoutè-je, impressionné. Tu as même un lavabo ! La classe.

Alexandre me remercie et ouvre la fenêtre. Nous nous retrouvons sur le balcon. Je regarde en bas le solide auvent qui protège la cuve de fioul. Je remarque la grosse gouttière qui m'a l'air bien solide, elle aussi.

— J'en connais un qui va pouvoir faire le mur facilement !

— Et pourquoi je ferais ça ? dit Alexandre, surpris que je puisse proposer ça.

— Pour échapper à tes vieux !

À sa tête, je ne sais pas si j'ai dit une connerie ou pas, car il a l'air outré et en même temps ses yeux pétillent de joie.

— Vilain tentateur, dit-il.

— Et t'as encore rien vu, dis-je pour l'achever.

Et ça marche. Je le vois encore rougir. Décidément, c'est une manie chez lui. Pour lui en faire la démonstration, j'enjambe le balcon, m'agrippe à la gouttière que je lâche presque aussitôt, avant de poser mes pieds sur le toit du cabanon. Je m'assois et saute par terre. Je lève la tête, les deux mains en l'air, comme si je grimpais sur la première marche d'un podium, la médaille d'or autour du cou. Je vois Alexandre estomaqué et amusé par ce qu’il doit considérer comme de l’audace.

— Mais t'es complètement fou !

— Le maire ne vous a pas prévenu ?

Il se met à rire en se retournant, comme s'il avait peur que sa mère me surprenne.

— A ton tour maintenant. Qu’est-ce que tu attends ?

Alexandre se recule d'un pas, réticent. Il me dit qu'il préfère descendre me rejoindre par les escaliers. Je le vois arriver par le côté de la maison et me supplie de revenir par la porte d'entrée principale. Je le fais mariner quelques secondes, content de le voir démuni par le fait que je reste planté là. Nous rentrons discrètement dans le hall. Madame Dumont fait son apparition.

— Je venais vous dire au revoir, madame. Je dois rentrer.

— Et bien, très bien Lucas. Je te remercie encore pour ton aide. Tu peux revenir quand tu veux. Alexandre sera, je pense, ravi comme moi de tes visites. Comme nous lui avons offert un vélo, tu pourras lui faire découvrir les environs. Monsieur le Maire nous a dit que la rivière n'était pas loin d'ici et que les cascades sont à couper le souffle.

— Avec plaisir, madame Dumont.

Je souris à Alexandre qui me regarde avec gratitude. Je les quitte d’une poignée de main.

Je dois bien vous avouer qu'en m’éloignant de leur propriété, je me fais la réflexion que peut-être, mes vacances vont enfin prendre une autre tournure, à laquelle je ne m’étais pas préparée. J’ai le pressentiment que ce Parisien va illuminer mon été et m'ouvrir à un horizon plus vaste que celui de ce village de Saint-Amant-La-Rivière, dont je suis blasé et où il ne se passe jamais rien de bien intéressant. J'ai tellement besoin d'y croire !

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