Juliette

4 minutes de lecture

Un chapitre / Une musique

Summertime - The George Benson Quartet

https://www.youtube.com/watch?v=2hSJClSbAuc&list=OLAK5uy_kdEUpWyWWvdIf8GrILldiVyAT_OW7zMSk&index=3

*

Vendredi 17 juillet 1981.

Sous l’ombre des arbres bordant la rivière, il fait tout de suite moins chaud. Je la contemple, assis sur une vieille souche. J’aime regarder une feuille ou un morceau de bois disparaître dans ses courants rapides, me faire surprendre par la douce rythmique de ses clapotis et le chuchotement de cette eau claire, m’émerveiller de ses odeurs douces et apaisantes. La fraîcheur des lieux est tellement agréable l’été !

Je peste. Je n'aurais pas porter des espadrilles pour venir ici. Je ne suis pas bien malin, et manque de me gameller plusieurs fois sur les cailloux. Cet après-midi, c’est baignade ! J’ai ma serviette autour du cou. Je compte bien retrouver mon petit coin peinard. J’ai beau me dire que ça va être parfait de lézarder, tout seul, au soleil, je suis encore vexé d’être venu chez les Dumont pour rien, hier. Sa mère avait l’air embêtée quand je lui ai demandé si son fils était disponible aujourd'hui. Elle m’a juste répondu que ce n’était pas possible, sans me donner d’explication. Point barre. Je ne voulais pas paraître trop lourd, alors je n’ai pas insisté.

Je sors de ma poche mon appeau et j’émets deux sifflements bien distincts. Le son est nickel. Je suis assez content de moi. Je marche tranquillement en sifflotant, quand soudain, j’entends des rires au loin. J’avance encore un peu et là qui je vois ? Juliette, en maillot de bain, en train de se dandiner, les pieds dans l’eau, devant Alexandre, assis sur une serviette, sur la berge. Je me cache aussitôt derrière plusieurs arbres, sans faire de bruit. Juliette glousse comme une dinde. Elle n’a plus son habituelle tresse. Elle joue avec ses cheveux défaits et prend, devant le Parisien, des poses équivoques, comme si de rien n’était. Son unique public n’a pas l’air d’apprécier le spectacle, mais plutôt de se faire royalement chier. Et dire que l’année dernière, à la même époque, j’étais à la place d’Alexandre ! Ça me paraît tellement lointain. Contrairement à lui, le spectacle me plaisait. En y repensant, je ne peux m’empêcher d’avoir un petit pincement au cœur. Je n’étais pas amoureux d’elle, pourtant. Mais elle me renvoie tellement à ce goût d’inachevé.

Juliette fait semblant de manquer de tomber, en se forçant une dernière fois à rire. Comment fait-elle pour ne pas se rendre compte qu’il n’y a rien à faire ? Je ne peux pas m’empêcher de me réjouir de la situation. Juliette est en mode chasse. Elle ferait n’importe quoi pour le séduire. Mais visiblement, elle n’est pas son type de fille. Ça me fait bien marrer.

J’ai envie de leur jouer un tour. Je siffle de nouveau dans mon appeau, assez fort pour qu’ils se demandent d’où provient le son. Je me baisse aussitôt pour qu’ils ne me voient pas. Je suis bien planqué. Je réitère un sifflement. Soudain, ils sont aux aguets. Deux nouveaux sifflements plus aigus. Cette fois-ci Juliette cesse son cinéma. Elle sort de l’eau et réclame sa serviette. Alexandre daigne la lui donner. Il se relève à son tour, comme soulagé de la fin du spectacle. Elle se sèche rapidement, pressée de se rhabiller. Je me régale en sifflant de nouveau, mais je manque d’être vu. Quel con ! J’attends une petite minute avant de me retourner. Merde, sur l’insistance de Juliette, Alexandre vient de quitter sa serviette et marche dans ma direction. Je me recroqueville sur moi-même, espérant me faire le plus petit possible. J'entends ses pas approcher dangereusement. Il arrive à ma hauteur. Je vois ses chaussures. Je lève la tête, lui sourit, avec l’air de celui qui vient de se faire prendre. .

— Mais qu’est-ce que tu fais là ? dit-il à voix basse, en souriant.

Je lui montre mon appeau et fais semblant de siffler dedans. Il comprend aussitôt.

— Juliette, je ne vois absolument rien de ce côté. Si c’est un oiseau, il a dû partir, crie-t-il, en me faisant un clin d'œil.

Je lève mon pouce. Bien joué ! Nous nous sourions. Il revient vers elle. J’étouffe un ricanement. Je continue de les observer. Juliette a fini de se rhabiller. Elle paraît vexée. Alexandre a déjà plié sa serviette. Ils prennent le chemin du retour. Discrètement, il tourne la tête dans ma direction. Je ne bouge pas d’un centimètre. Ce serait trop bête de se faire démasquer maintenant. J’attends quelques minutes pour sortir de ma cachette.

*

Après m’être baigné, je suis tranquillement allongé sur mon rocher, au soleil. Ce qui vient de se passer tout à l’heure me trotte dans la tête. Pourquoi Alexandre était-il avec Juliette ? L’apprécie-t-il bien, finalement ? J’ai de la peine à y croire. Je réalise que je n’ai pas eu la présence d’esprit de lui demander quand l’on pourrait se revoir. Car oui, j’ai envie de revoir ce garçon. De passer du temps avec lui cet été. Notre complicité de tout à l’heure m’a plu. Malgré son côté un peu coincé, il y a quelque chose chez lui qui me plaît. J’ai bien envie de m’en faire un ami.

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