La grotte

8 minutes de lecture

Un chapitre / Une musique

Creek · Hiroshi Yoshimura

https://www.youtube.com/watch?v=UG2Dj8lSF0E

*

Vendredi 24 juillet 1981.

On frappe à la porte. Ça doit être Alexandre. J’ouvre. Gagné !

— Mon médecin favori !

— Bonjour, je me suis permis de mettre mon vélo dans la cour.

— T’as bien fait. Vas-y entre.

— Regarde-moi ! Tu as l’air d’aller mieux.

— Ouais, j’ai tellement bien dormi hier. Tu as des mains extraordinaires !

— N’ exagérons rien !

— Mais non, je le pense vraiment ! Je t’avais dis que j’avais une surprise pour toi, alors on y va !

— Comment ça, on y va ?

— On prend nos vélos, et on retourne à la rivière. J’aimerais te montrer un autre endroit.

— Vu ton état, je ne suis pas certain que ça soit raisonnable.

— Qui a parlé d’être raisonnable quand on a 17 ans ?

Je vois à la tête d’Alexandre qu’il est à moitié convaincu par ce que je viens de dire. Mais je ne lui laisse pas le choix.

*

Je ne suis pas mécontent d’arriver à la rivière, car ça me tire encore pas mal dans le dos. Je suis en nage. Il fait si chaud aujourd’hui encore ! Nous traversons le pont, et je montre à Alexandre le deuxième repère qu’il doit retenir, à savoir les rochers par lesquels nous devons passer.

— Lucas, je veux pas dire, mais, sérieusement, je ne suis pas sûr que ça soit prudent avec ton dos.

— Mais tu vas arrêter cinq minutes, non ? T’es pas content qu’on soit là, tous les deux ? Moi, perso, après avoir passé une journée allongé, j’en peux plus. Alors une petite grimpette tranquille, je dis pas non.

J’ai l’air d’avoir fait mouche. Je commence à marcher sur les premiers rochers et je choisis correctement mes points d'appuis, pour monter au fur et à mesure. Nous arrivons facilement sur le premier plateau, pour admirer d’un peu plus haut la rivière.

— Alors qu’en dis-tu ?

— C’est grandiose, vu d’ici ! dit Alexandre, enfin souriant et rassuré quant à ma capacité physique.

— Et encore, tu n’as rien vu ! Suis-moi, on va prendre cet itinéraire. J’espère que tu n’as pas le vertige. Si c’est le cas, reste bien du côté de la roche et évite de regarder en bas.

Je passe devant lui, avance lentement, et vérifie qu’il me suit bien. Ce qui est le cas. Parfait. Nous sommes à présent sur le deuxième plateau. La forêt est là, devant nous, immense et magnifique.

— Qu’est-ce que je t’avais dit !

Alexandre n’en revient pas.

— Mais c’est génial ! Tu viens souvent ici ?

— Oui assez, j’aime bien, il n’y a jamais personne.

— Et les cascades, il y a possibilité de les approcher ?

— Je vois que monsieur Dumont a l’esprit aventurier ! Ça tombe bien, c’est là où je souhaitais t’emmener. Une surprise t’attend, là où personne ne va.

Le regard que me lance Alexandre me remplit de joie. Son visage est resplendissant et apaisé d’un seul coup. Voilà ce que tout le monde devrait ressentir en étant ici. La sérénité et le calme.

Nous redescendons et prenons un autre chemin plus en retrait. Arrivés dans le cul de sac, je le vois perplexe. Je m’accroupis et m’enfonce dans un buisson. Il ne bronche pas et me suit, à quatre pattes. Nous débouchons sur l’ouverture de la grotte. Le soleil, par le puit de lumière, resplendit à l’intérieur.

— Et voilà où je voulais t’emmener !

— C’est incroyable. Je comprends mieux pourquoi personne ne vient.

— Je ne sais pas si je suis le seul à connaître cet endroit, mais pour l’instant, je n’y ai jamais croisé personne. Je croise les doigts.

Je lui montre le tas de branchages et de feuilles qui me servent de lit, une fois la couverture dépliée.

— Et là, c’est mon coin sieste !

Alexandre regarde partout autour de lui. Il n’en revient pas.

— Le puits de lumière, il débouche sur quoi ?

— T’as l'appeau sur toi, celui que je t’ai donné ?

— Heu…oui, me répond-il, timidement.

— Parfait ! Bouge pas ! Attends-moi, je reviens.

Je remonte au-dessus de la grotte. Ce qui me prend quelques minutes. Arrivé, je retrouve le puits de lumière. Je sors mon appeau de ma poche, je siffle trois fois rapidement, puis je le répète deux fois de suite. J’attends quelques secondes et j’entends, à mon tour, celui d’Alexandre. Je me mets à crier.

— Génial, ça marche ! Tu m’entends Alexandre ?

J’entends faiblement l’écho de ma voix et la sienne me répondre

— Oui, je t’entend-tend-tend-tend ! Et-et-et toi-toi-toi ?

— Nickel-el-el-el…

Je descends prudemment pour le rejoindre.

— Je vous reçois cinq sur cinq ! je lui fais, tout heureux de notre code.

— Dis-moi, vilain cachottier ! dit-il en me montrant le magazine de cul que j’ai visiblement pas réussi à cacher correctement.

Je rougis. Il va me prendre pour un obsédé.

— Oups, pris en plein flagrant délit !

Je le vois rougir à son tour. On reste là, sans rien se dire. Il finit par le remettre à sa place, en le cachant bien cette fois-ci.

— La visite n’est pas finie ! dis-je pour changer de sujet.

Nous rebroussons chemin et, arrivés sur le premier petit plateau, nous prenons à gauche le long de la roche, pour arriver au milieu de la cascade. Alexandre admire les chutes d’eau se déverser dans un bruit assourdissant. Il se faufile comme moi, derrière le rideau d’eau, sans se plaindre de se retrouver mouillé. Le spectacle de la deuxième grotte l’émerveille. Il s’approche prudemment du précipice, tend sa main et profite, lui aussi, de la brume d’eau sur son visage, ses bras et ses jambes.

— Lucas, elles sont extraordinaires ces cascades ! Elles dégagent une telle force ! Je n’en reviens pas. On est bien, ici, au frais.

J’ai l’impression que comme moi, Alexandre ressent de belles vibrations. Nous nous connectons à l’énergie pure de l’eau. Nous offrons, nous aussi, notre présence, une présence authentique et véritable. J’observe ce garçon. Il goûte, lui aussi, au plaisir indescriptible que me procure cet endroit. La puissance et la fureur de ces cascades sont celles de ses yeux qui me regardent une fois de plus, en me souriant. Je suis hypnotisé.

*

Nous sommes à présent sur les grands rochers plats qui bordent le bassin dans lequel nous nous sommes baignés il y a trois jours. J’ai hésité à revenir ici avec lui. Mais j’ai envie de lui faire confiance. Je ne saurais expliquer pourquoi. Est-ce-mon instinct qui me guide ? Pourquoi faut-il toujours avoir une raison pour faire les choses ? Est-ce important de lui dire que je suis déjà venu ici pour effacer les traces des coups de mon père ? J’imagine que le sien, lui a déjà parlé du mien, et de son penchant pour la boisson. Il en déduira sûrement d’où proviennent mes hématomes. Même si, aujourd’hui, ironie du sort, ce n’est pas lui qui en est responsable. Je ne me sens pas capable de lui raconter ce que j’ai vu dans les bois. Je suis trop choqué par ce qui s’est passé. De ce qu’Alexandre pourrait penser des habitants d’ici. Même si je ne porte pas Juliette dans mon cœur, je me sens super mal pour elle. Il va falloir que j’aille la voir pour prendre de ses nouvelles, avec la quasi-certitude de me faire renvoyer sur les roses. Mais je ne saurais la laisser comme ça. Pour l’heure, je profite d’être avec Alexandre.

— Si je veux être honnête avec toi, je crois qu’un bain me ferait le plus grand bien. Ça te dit de te baigner ?

Je le vois déçu.

— C’est que…je n’ai pas de maillot de bain.

— Moi non plus ! On n’a qu’à se baigner en slip…ou sans, comme on veut !

Il va trouver ma proposition ambiguë et louche. Pourtant se baigner à poil, c’est le pied. Je le vois rougir et hésiter. je n’aurais pas dû, quel con je suis.

— Bah…comme tu veux, je…Oh et puis, merde, au diable la bienséance !

— La quoi ?

— Laisse tomber Lucas ! dit-il, comme libéré de je ne sais quel poids.

Je me désape en entier. Je le vois de dos enlever ses vêtements, un par un. Ses chaussures, son polo, puis son bermuda. Je ne détourne pas le regard quand il baisse son caleçon, dévoilant une paire de fesses blanches et fermes. Au moment où il se retourne vers moi, je tourne la tête et entre comme si de rien n’était dans l’eau. Je le sais derrière moi qui me suis. L’eau me saisit, je manque de hurler. Tant pis s’il me surprend d’avoir aussi mal au dos. Lorsque je me retourne, l’eau lui arrive au nombril.

— Putain, elle est froide ! Mais c’est si bon ! éclate-t-il de rire.

Mais c’est qu’il se lâche enfin le Parisien ! Plutôt content d’entendre son rire, je fais quelques brasses autour de lui, plonge la tête sous l’eau. Je sens la peau de mon arcade sourcilière me picoter fortement. Mon dos tout entier se crispe. Une sensation dure et chaude à la fois m’envahit. Je reste un maximum sous l’eau, en retenant ma respiration, avant de remonter. Seule ma tête dépasse. La surface de l’eau est comme recouverte d’une fine pellicule bleue lumineuse. Je fais du surplace en battant des pieds et des mains. Je me sens revivre. Je cherche Alex du regard. Il est lui aussi en train de regarder attentivement la surface de l’eau qui brille intensément. Il scrute le soleil en se protégeant de sa main, puis l’eau lumineuse et cherche à comprendre ce phénomène étrange de luminosité. Il finit par hausser les épaules et se met à faire plusieurs longueurs. Il revient vers moi. les muscles de son torse sont finement dessinés par l’effort. Essoufflé, il reprend sa respiration. Il me toise bizarrement.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu me regardes comme ça ?

— Ta blessure à l'œil !

— Quoi, qu’est-ce qu’elle a ma blessure ? dis-je, en touchant mon arcade sourcilière. Elle n’est plus enflée. Je ne sens même plus les trois points de suture. Je ne suis pas tant surpris que ça.

— Mais c’est impossible, dit-il. Je peux ? demande-il, en s'accroupissant face à moi. Il touche ce qui reste de ma blessure.

— Regarde, les fils se retirent tout seul ! Incroyable ! Une cicatrisation aussi rapide n’existe pas !

— Même pas mal ! dis-je pour faire l’idiot et tenter de le rassurer.

— Retourne-toi

— Hein, quoi ?

— Retourne-toi, insiste-t-il.

Je m'exécute.

— Tes hématomes ont presque tous disparu ! Tout à l’heure, ton dos en était recouvert. Je les ai bien vus, pourtant ! T’as vidé le tube de crème que je t’ai donnée ou quoi ? Je n’en reviens pas. Qu’est-ce-qui s’est passé ?

Je me retourne vers lui.

— Quand je te disais que l’eau de ces cascades était magique ! Tu ne voulais pas me croire.

— Te moques pas de moi !

— Tu vois une autre explication ?

— …C’est fou cette histoire !

Je le vois qui continue à me scruter du regard. Je touche mon arcade sourcilière, arrondis mon dos pour lui montrer que tout va bien.

— À croire que la Vierge Marie nous protège ! dit-il, encore sidéré.

— Ha ha ha, sûrement !

J'ai finalement bien fait de venir avec lui. Je m’en tire pas trop mal. Nous sortons de l’eau pour nous allonger sur les rochers plats et sécher au soleil. Je regarde à la dérobée Alexandre, allongé sur le ventre, la tête de mon côté, les yeux fermés. Il a l’air si paisible. Je me surprends à regarder sa nudité. À comparer son corps au mien. Sans prévenir, je me mets à bander. Qu’est-ce-qui m’arrive ! Je me retourne aussitôt sur le ventre, lui tourne la tête. Je suis rouge comme une écrevisse. La honte ! Ça doit être la chaleur de l’été qui me joue des tours.

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