Tensions

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Un chapitre / Une musique

Plastikman & Chilly Gonzales - Contain (In Key)

https://www.youtube.com/watch?v=YZq2kELtRfc&list=PLIGTe-rIqEZekWLDnKBBHt-WruKmI-Z5f&index=25

*

Mardi 28 juillet 1981.

Je suis tranquillement affalé sur le canapé, une bande dessinée de Tintin dans les mains, quand le téléphone sonne.

— Bonjour, pourrais-je parler à Lucas Mercier s’il vous plaît ?

— C’est moi.

— Lucas, c’est Alexandre ! On a enfin le téléphone à la maison.

— Oh Alex, je ne t’avais pas reconnu. Cool ! Ça va ?

— Oui, mon cousin est arrivé hier ! Il faut absolument que je te le présente. Tu vas voir, il est hyper sympa. Tu vas l’adorer.

— Ouais, si tu veux.

— Attends Lucas, il y a ma mère qui me parle en même temps…

J’entends effectivement madame Dumont, mais je ne comprends pas ce qu’elle dit.

— Lucas, elle propose que tu viennes prendre le thé cet après-midi, si t’es libre.

On dirait une invitation pour vieille dame, son truc. Je me retiens de rire.

— Oui, avec plaisir ! J’accepte uniquement parce que les gâteaux de ta mère sont trop bons, je serais bête de refuser.

Il rigole.

— 15h, ça te va ?

— Ouais nickel, t’auras le temps de faire ta sieste mon vieux !

Il rigole de nouveau.

— À tout à l’heure !

— Ouais, à tout à l’heure.

*

Je sonne à la porte des Dumont. C’est la mère d’Alex qui m’ouvre.

— Bonjour Lucas !

— Bonjour madame Dumont, tenez, c’est pour vous !

— Comme c’est gentil à toi. Merci beaucoup. Vas-y, entre.

— Salut Lucas, dit Alex derrière elle.

On se serre la main. On est tous les deux contents de se retrouver. Derrière lui, un homme plus âgé. Vu comment ils se ressemblent, ça doit être son cousin.

— Lucas, je te présente Gaspard, mon cousin dont je t’ai parlé.

Je lui serre la main. Il me la broie. Je n’aime pas le regard hautain qu’il porte sur moi.

Alex me fait entrer dans le salon. Le piano. Je vais tout de suite l’admirer.

— Ah oui, c’est vrai que tu ne l’avais pas encore vu, dit madame Dumont. Il faudra qu’Alexandre te joue un morceau. Il est doué, tu sais.

On se regarde avec Alex, complices.

— Je ne savais pas qu’Alexandre en jouait, je réponds.

— Il est bien trop humble pour en parler, dit-elle. Allez vous installer au salon de jardin. Je vais mettre ces belles fleurs dans un vase et préparer le thé. Je reviens.

— Elles commencent déjà à faner, on dirait, dit Gaspard en me regardant.

— Ah oui, tu crois ? Ça doit être à cause de la chaleur. Il fait un temps lourd depuis ce matin, vous ne trouvez pas ? dit madame Dumont, avant de s’en aller en cuisine.

Personne ne prend la peine de répondre. J’accepte la chaise que me propose Alexandre, en bon hôte de maison qu’il est. Gaspard s'assoit à son tour. Il n’arrête pas de me fixer. Je n’aime pas ça.

— Alors comme ça, c’est toi le grand copain de mon cousin. Il n’arrête pas de parler de toi depuis hier, au grand désespoir de son père. Je m’attendais pas à un garçon comme toi.

Alex rougit aussitôt.

— Ah oui ? Et à quoi je devrais ressembler ?

— Tu es si différent de ses amis parisiens. Mais c’est vrai qu’ici, tout est différent, j’imagine.

Qu’est-ce qu’il insinue le Parigot ?

— Et vous êtes son cousin, donc. Il avait hâte que nous nous rencontrions.

— Tu peux me tutoyer, si tu veux. Vous avez le même âge avec Alexandre, non ? Vous allez vous retrouver en terminale dans le même lycée l’année prochaine, je suppose.

— On aurait pu oui, mais le baccalauréat, très peu pour moi.

— Ah bon ? Mais sans le bac, on n'arrive à rien dans la vie, tu sais.

De quoi il se mêle !

— Oui, c’est ce que n’arrête pas de me répéter mon père.

— Et il a raison, il faut toujours écouter son père, dit Gaspard en enfonçant le clou.

— Ça se voit que tu ne connais pas le mien.

Je vois Alex mal à l’aise. Gaspard ne réplique pas. J’ai envie de me sortir une clope, pour me calmer. Je me retiens. Posons-lui des questions, ça vaudra mieux pour moi.

— Et toi ? Alexandre m’a dit que tu faisais des études de notaire.

— Oui, tout à fait. Je viens d’obtenir mon diplôme. Je reprends l’étude de mon père dès septembre. Je vais enfin pouvoir vivre la grande vie, comme je l’entends. J’ai hâte, dit-il tout fier, en bombant le torse.

Il commence sérieusement à me gonfler. Madame Dumont arrive avec un plateau rempli, qu’elle pose sur la table. Aussitôt, Gaspard l’aide à servir le thé. Alex me sourit timidement en me proposant l’assiette de petits gâteaux. Un silence s’installe.

— Merci pour le thé, il est très bon, dis-je pour combler la gêne qui s’est installée.

— Avec plaisir, Lucas. C’est un darjeeling d’été de chez Mariage frères, que j’aime beaucoup. Le salon de thé où j’avais mes habitudes me manque déjà, dit-elle avec regrets.

— Pour être bon, il l’est ! Ça change du Lipton en sachet, dit Gaspard en me fixant du regard, avec un petit air condescendant.

Je soutiens son regard. S'il me cherche, il va finir par me trouver celui-là.

— Alexandre, tu devrais montrer à ton ami, la raquette de tennis que je t’ai offerte pour ton anniversaire, dit Gaspard, toujours en me regardant.

Comme un idiot, Alex se précipite à l’intérieur de la maison pour aller la chercher.

— Il y a des clubs de tennis dans le coin ? me demande sa mère.

— Je ne sais pas, ici, on joue au foot, je réponds.

— Bien évidemment, dit Gaspard, amusé de ma réponse.

Alexandre revient. Il est tout content de retirer la housse pour me montrer la raquette en question. Je ne sais pas quoi dire, je n’y connais absolument rien en tennis.

— Prends-la dans tes mains, Lucas ! me dit Alex.

Ce que je fais. Bon ok, c’est une raquette, et alors ?

— T’as vu comment elle est légère et rigide à la fois ?

— Heu…Oui peut-être.

— Tu vois bien que ton copain n’y connaît rien. Il fait du foot.

— Ah bon ? demande Alex.

— J’ai pas dis que j’en faisais, je réponds sur un ton sec.

— De la pétanque, alors, me répond Gaspard.

C’est la guerre qu'il cherche. Je commence sérieusement à en avoir assez de ses remarques déplacées.

— Non, je fais du vélo.

— Ah ok. C’est bien le vélo, remarque.

Alex voit bien que je commence à m’énerver.

— Nous avons offert à Alexandre un vélo, c’était une surprise pour notre arrivée, nous coupe sa mère, qui ne semble s’apercevoir de rien.

— Il a même plusieurs vitesses, faut que je te montre ça, Gaspard, tu ne vas pas en revenir, enchaîne Alex qui ne peut pas s’empêcher de vouloir plaire à son cousin.

— Allons voir ça maintenant si tu veux ! dit Gaspard, amusé.

— Il est dans le garage, viens, répond Alex, tout content.

J’en profite pour les interrompre.

— Excuse-moi Alex, mais je crois que je vais y aller. J’ai complètement oublié que je devais aller faire des courses avec mon père. Il va m’attendre.

Je le vois qui regarde sa montre. Il a l’air déçu. Ce qui j’avoue me réconforte un peu.

— Tu pars déjà alors ?

— Oui, désolé.

— Attends, je te raccompagne au portail.

— Merci, madame Dumont pour cet après-midi.

— Lucas, appelle-moi Françoise.

Je lui souris. Gaspard continue de me toiser.

— Au revoir. Ravi d’avoir fait ta connaissance Gaspard.

— C’est réciproque, tu t’en doutes, dit-il avec son petit air de faux-cul.

Nous nous retrouvons tous les deux avec Alex, devant le portail. Je remonte sur mon vélo.

— Merci, Alex pour cet après-midi.

— Oh, arrête Lucas, j’ai bien vu que le courant n’est pas passé avec Gaspard. Je ne suis pas bête, tu sais. Je ne sais pas ce qui lui a pris. Il n’est vraiment pas comme ça d’habitude. Je suis vraiment désolé.

— Tu n’as pas à être désolé, tu n’y es pour rien. On se voit bientôt ?

À ma question, Alex a l’air embarrassé.

— Et bien, je ne sais pas trop en fait combien de temps Gaspard va rester. Je dois l’aider à faire la tapisserie de la cuisine. Et mon père veut que je l’aide pour d’autres travaux.

Soudain, ma poitrine me serre. Et à la fois, je sens une colère sourde monter en moi. Mais au lieu de tout garder en moi, je me dis que pour une fois, ça serait bien que ça sorte. J’ai envie d’être un minimum honnête avec lui.

— Ecoute, Alex. Les choses sont simples. Puisque tu as le téléphone à présent, fais-moi signe. Enfin, ne te force pas, hein ? Je comprendrais que tu veuilles profiter de ton cousin que tu n’as pas vu depuis longtemps.

Le ton de ma voix est ironique. Ses yeux paniquent.

— Mais non, je ne me force pas. Qu’est-ce que tu racontes ? J’ai envie de te voir. C’est que je ne sais pas si je vais pouvoir. Et puis comme tu sais avec mon père…

Pourquoi est-ce qu'à cet instant Alex m’agace de toujours hésiter de la sorte. La jalousie me gagne.

— Ouais, je sais. Rappelle-toi ce qu’il t’a dit, je ne suis pas un mec fréquentable.

— Ne dis pas ça, Lucas.

— Je ne suis juste bon qu’à écouter ton cousin. J’ai tant à apprendre de lui. Désolé, si je n’ai pas l’intelligence d’un futur notaire.

Alexandre est tout rouge, honteux. Pourtant, c’est moi qui devrais l’être. C’est vraiment débile de m’en prendre à lui, alors que c’est sur Gaspard que j’ai envie de me défouler.

— Lucas, c’est ridicule.

— C’est toi qui es ridicule à toujours avoir peur de ton père. Enfin, qui suis-je pour te dire ce que tu dois faire ou ne pas faire ? T’es assez grand, non ? Allez bonne soirée.

Je n’attends même pas qu’il puisse se défendre, je pars à vélo, ne me retournant surtout pas. Je pédale de toutes mes forces. Je suis dégoûté. L’impression de m’être fait humilier gratuitement. J’en ai marre. Moi qui croyais pouvoir faire confiance à ce mec. Je me suis trompé. Je ne peux pas réprimer plus longtemps mes larmes. Le vent les assèche rapidement ainsi que plusieurs fragments de mon cœur qui s’étaient laissés attendrir par la gentillesse de ce garçon si attachant.

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