Trahison

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Un chapitre / Une musique

Philippe Rombi - Mathieu sur l'affaire

https://www.youtube.com/watch?v=OUPpuRNVNzA&list=PLk3YESRCikVKSFp4UIhc7wk1xM9J6_KI9&index=4

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Mercredi 29 juillet 1981.

Aujourd’hui mardi 29 juillet, ne manquez pas notre émission spéciale consacrée à la couronne royale britannique. Nous suivrons en direct de la cathédrale Saint-Paul de Londres, le mariage de l’héritier du trône britannique, le prince Charles de Galles avec la future princesse de Galles, Lady Diana Spencer.

— C’est un jour historique, tu te rends compte ? dit ma mère.

— Oui, certainement, dis-je, pas plus intéressé que cela.

— Il est déjà 10h ! Va voir si ton cousin dort encore s’il te plaît. Il m’a promis de m’emmener en ville pour acheter le matériel de peinture pour la tapisserie.

— Je peux venir avec vous ?

— On en a déjà parlé. Tu sais très bien ce que ton père t’a demandé en début de semaine. Tu as à peine commencé à classer ses dossiers dans son bureau, tu te rappelles ?

Comment je pourrais oublier ces fichus cartons. Il m'insupporte à vouloir organiser mon emploi du temps alors qu’il est au cabinet. Pour ne pas m’énerver, et sachant que cela ne servirait à rien, je décide d’aller frapper à la porte de la chambre de Gaspard.

— Entrez ! Ha, c’est toi, Alex. J’arrive, je suis pratiquement prêt. J’attache les boutons de cette chemise et je descends.

Je constate que mon cousin a l’air d’avoir retrouvé sa gentillesse habituelle. Ce qui n’était pas le cas hier soir, au dîner. Il n’a pas arrêté de nous parler de ses projets sur un ton très sûr de lui. Mon père se sentait très concerné et appuyait chaque décision, ne manquant pas de lui donner certains conseils avisés. Ma mère souriait, mais le cœur n’y était pas. Décidément, je n’arrive pas à saisir son ambivalence. Comme si elle était à la fois heureuse et triste pour lui. Elle a fini par être irritée de son exaltation trop démonstrative à son goût. Il est vrai que je n’ai jamais vu Gaspard se vanter de la sorte. C’en était presque indécent.

Je comprends pourquoi Lucas est parti fâché hier. Je n’apprécie pas du tout le visage qu’a montré Gaspard. Je suis profondément déçu. Hier soir encore, il était hargneux dans ses propos, surtout lorsque ma mère lui a reproché de se comporter comme un jeune homme un peu trop sûr de lui. La seule chose que je constate en revanche, c’est l’attention qu’il lui porte. Il est toujours aux petits soins avec elle. Je la vois en être presque gênée.

— Ok, je vais prévenir maman que tu arrives alors. Au fait, t’aurais pu la convaincre de m'autoriser à venir avec vous ! dis-je, attendant de voir sa réaction.

— Tu sais comment est ton père ! Estime-toi heureux que je n’aie rien dit pour Lucas, comme me l’a demandé ta mère. Si ton père apprend qu’il est de nouveau venu, tu vas passer un mauvais quart d’heure, et tu le sais.

— Je comptais sur toi pour le faire changer d’avis justement, dis-je sur un ton blagueur.

— Tu plaisantes, j’espère. Si je veux être honnête avec toi, je dois bien avouer que je ne le sens pas du tout ton copain. Ton père a raison. Tu n’as rien à faire avec lui. Évite-le. Fais-moi confiance.

C’est comme si je venais de recevoir un coup de poignard dans le dos. Jusqu’à présent, Gaspar m’a toujours défendu et il a essayé de jouer les médiateurs entre moi et mon père. Je ne m’attendais pas à de tels propos de sa part.

— Mais enfin Gaspard, tu ne le connais même pas ?

— Pas la peine de le connaître, pour savoir que c’est un futur bon à rien. Il va falloir que tu te réveilles, mon grand. Dans un an, tu seras majeur. Il serait temps que tu commences à faire tes propres choix. À commencer par tes fréquentations.

Je reste là sans rien dire.

— Tu comprends ce que je te dis Alex ?

— Heu, oui, je me rends compte, mais je ne pense pas que…

— Non, effectivement, tu ne penses pas. Tu n’as aucune idée de la réalité. Un conseil, passe ton bac et réfléchis dès à présent à ce que tu veux faire de ta vie. Je serais toi, je ferais médecine, comme ton père, elle te tend les bras. T’es bon en sciences. T’es loin d’être bête. Et ton père a des relations.

— Mais je ne veux pas être médecin !

— T’as raison, chirurgien alors.

— Jamais de la vie.

— On en reparlera, Alex. Sérieusement. Ok ?

Mais qu’est-ce qui lui prend à me parler comme ça. Mon père lui aurait-il demandé de me faire la leçon à sa place ? Il me voit troublé. Je file directement dans le bureau de mon père. Je crie dans ma tête. Je me défoule sur un carton en l’éventrant. Des dossiers s’éparpillent sur le sol. Je m’assois par terre sur le parquet et commence à les trier. On frappe à la porte.

— Mon chéri, on y va ! Finalement, on en a pour la journée, je pense. Nous déjeunerons sûrement en ville. Il reste de la quiche dans le frigo.

Je lui tourne le dos.

— Je suis grand, t’inquiète. Amusez-vous bien.

— Bon et bien, à tout à l’heure.

— Oui, c’est ça, à tout à l’heure.

J’entends la porte se refermer. Je fulmine. Je me relève avec un gros paquet de dossiers que je range sur l’étagère. Je réfléchis quelques instants. Après tout, ce n’est pas si grave de ne pas être avec eux. Je n’en ai plus envie. J’ai la maison pour moi tout seul. Si je me dépêche de finir de vider ces cartons, je pourrai en profiter pour essayer de me faire pardonner auprès de Lucas en allant chez lui. En espérant qu’il soit là. Rien que de penser à lui, ça me donne du courage pour mon classement.

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