Au bord du gouffre

4 minutes de lecture

Un chapitre / Une musique

Monica Beale - aerospace

https://www.youtube.com/watch?v=cQs1NmMTSjo

*

Lundi 3 août 1981.

Ce matin, en ouvrant les volets, je constate qu’il ne pleut plus, le soleil refait timidement son apparition. Il est déjà dix heures. J’ai une faim de loup. Je descends à la cuisine. Personne. Sur la table, un petit mot de l’écriture de ma mère. Elle est partie avec Gaspard pour la journée. Mon déjeuner est dans le frigo. Ça alors ! Ce n’est pas du tout son genre de faire ça. Je ressens une pointe de colère qui se mue rapidement en soupir. Pour me consoler, j’engloutis trois généreuses tartines de confiture de figues. Mon café est trop fort et amer. Je le bois quand même.

Et puis, tout à coup, je me dis que j’en ai plus qu’assez de me laisser atteindre par cette histoire de ma mère qui aurait une relation avec mon cousin. J’ai assez tourné tout ça dans ma tête tout le week-end. Je ne vais pas continuer à gâcher mes vacances. Je n’ai qu’une envie, celle d’aller rejoindre Lucas. Je pourrais peut-être lui en parler pour me soulager une bonne fois pour toutes et ne plus y penser. Après ce qui s’est passé entre nous à la cascade, j’ai envie de lui faire confiance. Mais un nouveau doute s’installe en moi. Et s’il regrettait nos jeux au bord du bassin ? Que va-t-il penser de moi ? Je n’ai plus envie d’avoir peur, ni qu’un doute prenne le relais d’un autre, continuellement. Je réfléchis trop, je le sais. Il serait temps pour moi de faire mes propres choix. C’est bien ce que Gaspard m’a conseillé, non ?

*

Nous sommes en plein milieu de l’après-midi et je n’ai toujours pas bougé mon cul pour aller à la rivière. Il ne fait pas assez beau pour ça. J’ai rangé un peu le garage pour m’occuper. C’est une remorque qu’il me faudrait pour enlever un tas de trucs inutiles que nous avons entassés depuis des années. Je suis affalé sur le canapé, devant la télévision, une clope aux lèvres. Il n’y a rien d'intéressant à cette heure-ci de la journée, uniquement des séries pour vieilles.

On frappe à la porte. J’ouvre. C’est Alex. Mon cœur s'accélère. Je flippe. Ça bouge sévère dans mon slip. Je flippe aussi.

— Alex ! Vas-y entre.

Je regarde son cul, son dos, son cou. Envie de lui sauter dessus. Je ferme la porte, mets mes mains dans les poches. J’ai perdu ma langue. Il me regarde sans rien dire. Je me sens obligé d’en faire autant, je ne peux pas faire autrement. Mais parle, putain, parle. Ne me laisse pas comme ça. Soudain, ses yeux deviennent rouges et se remplissent de larmes. Je ne comprends plus rien.

Je le vois trembler et s’asseoir sur le canapé. Il plonge sa tête dans ses mains. Et s’effondre en pleurant. Je viens à ses côtés, passe ma main dans son dos. Mon slip me fait atrocement mal. Pourtant, vu la situation, ce n’est vraiment pas le moment d’être excité.

— Désolé, je ne sais pas ce qui m’arrive, Lucas.

— T’inquiète, si ça peut te rassurer, tu n’es pas le seul à craquer.

Il me sourit timidement.

— Pourquoi crois-tu que j’aime me réfugier dans ma grotte ?

Alex sort un mouchoir et se mouche.

— C’est mes parents, mon cousin. Ils vont me rendre dingue. Si tu savais comment je les déteste !

On frappe à la porte. Quoi encore ! J’ouvre. Aurélien Picard et un autre gendarme que je ne connais pas.

— Bonjour, excuse-moi de te déranger, Lucas. Etienne est là ?

— Heu, non, mon père est au boulot.

— On en revient justement, et il n’y est pas. Tu n’aurais pas une idée où il pourrait être par hasard ?

Mais qu’est-ce-qui se passe, bordel de merde. Cette fois-ci, je flippe pour de bon. Alex vient me rejoindre.

— Ah, bonjour monsieur Dumont. Vous êtes bien le fils du docteur, n’est-ce pas ? demande Aurélien.

— Oui…

— Je ne sais pas du tout où est mon père. Mais qu’est-ce que vous lui voulez ? Il a fait quelque chose de mal ?

— Non, non, rassure-toi. Quand il reviendra, dis-lui de venir à la gendarmerie le plus rapidement possible.

— Il a fait quelque chose ! Dites-moi !

Alex me touche le bras pour me calmer.

— Lucas, ne t’inquiète pas et fais ce que je te dis, d’accord ? me dit Aurélien.

— Ok, entendu. Désolé.

— Non, t’inquiète. Bon après-midi les gars.

— Au revoir.

Je referme la porte. Et regarde Alex. Pourquoi, soudain, je me sens fissuré de partout. C’est à mon tour de rougir des yeux. Je retiens mes larmes. C’en est trop. Ça ne s’arrêtera jamais.

— Lucas, ça va ?

— À ton avis ! Non, ça va pas ! Va–t'en, s’il te plaît, va-t-en !

— Mais…

— Je veux rester seul.

— Lucas...

— Non, casse toi, je te dis, je veux rester seul.

J’ouvre la porte et l’invite à sortir. Je vois ses yeux affolés. Je suis en train de faire le contraire de ce que je devrais. Mais je ne peux pas faire autrement. Je monte quatre à quatre les escaliers et me jette sur mon lit. J’ai du mal à respirer. Ça va passer, Lucas, respire, ça va passer.

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