Jour de marché

3 minutes de lecture

Un chapitre / Une musique

Cléa Vincent - Jamais 2 sans 3

https://www.youtube.com/watch?v=XifFQVJX4JA

*

Mercredi 5 août 1981.

Ma mère est tout d’abord agréablement surprise lorsque je lui propose d’aller faire les courses au marché. Puis, elle regarde Gaspard pour le sonder, il est en train de boire son café. Il comprend aussitôt.

— Je ne savais pas que l’appel du marché rendait mon cher cousin de si bonne humeur ! dit-il, riant dans sa tasse.

Je lui lance un regard mi-furieux, mi-amusé. Ma mère en profite :

— Faisons comme si l’envie de mon fils de me faire plaisir n’a aucun rapport avec celle d’aller voir un certain Lucas Mercier sur son stand.

Je la trouve particulièrement joueuse. À les regarder tous les deux, je réalise enfin leur complicité que je n’avais pas remarquée jusqu’ici. Malheureusement pour moi, mon imagination s'emballe, je les vois tous les deux dans le même lit. Non, décidément, c’est impossible d’admettre cette relation clandestine et encore moins de me réjouir pour eux. Afin de ne pas donner plus de véracité à mon ridicule stratagème, je prends mon petit déjeuner avec eux, au lieu de détaler le plus vite possible pour rejoindre Lucas. Une fois dans ma chambre, je me sens déjà tout électrique à l’idée de le revoir, alors que je l’ai quitté il y a quelques heures à peine.

Il me manque déjà. Rien que de penser à la soirée d’hier et à notre baiser dans le parc, m’excite. Preuve en est mon sexe qui dépasse de mon slip blanc. Pour me calmer, je décide de choisir ma tenue du jour. Je n’arrive pas à me décider entre une chemise à manche courte à carreaux et un polo violet. Je me brosse les dents en attendant, tout en cherchant dans un tiroir ce vieux bracelet marron que j’aime beaucoup. J’enfile un bermuda et j’en reviens au choix de mes vêtements posés sur le lit. Finalement, j’opte ni pour l’un, ni pour l’autre, mais pour un t-shirt orange. Je me regarde dans le miroir. Je souris bêtement comme une andouille. Est-ce à ça que l’on reconnaît un garçon amoureux ? Je me parfume, attrape mes lunettes de soleil et dévale l’escalier.

— J’y vais maman, à tout à l’heure !

*

Ce matin, le beau temps estival est de nouveau au rendez-vous, et invite les clients à la détente et à flâner parmi les allées du marché. Je ne suis donc pas du tout surpris de voir autant de monde. Je suis en train de servir mon voisin, le vieux Dufour qui met une éternité à sortir ses pièces de son porte-monnaie pour me payer. Il teste ma patience, et il le sait. Maîtrise-toi, Lucas, et n’oublie pas ce que t’as dit madame Fouanec, le plaisir et le confort du client avant tout. Je conserve donc mon sourire, surtout quand je vois apparaître le plus beau garçon du village. Je me mets légèrement à bander. Penser à se maîtriser aussi pour ces choses-là.

— Salut ! me lance Alex.

— Je suis à vous dans deux minutes, dis-je en lui montrant mon voisin qui prend tout son temps pour vérifier la monnaie que je lui rends.

— J’étais là avant vous, jeune homme ! crie madame Desbois en reculant aussitôt lorsqu’elle réalise la personne qu’elle a en face d’elle. Alex se confond en excuses alors qu’elle se signe de la croix et s’enfuit en pressant le pas. Nous nous regardons avec Alex, j’ai envie de rire, lui moins.

— Qu’est-ce que je vous sers monsieur ?

Je le vois surpris du vouvoiement, mais décide de rentrer dans mon jeu. Il fait mine de réfléchir, en regardant l'étalage de fruits et de légumes, puis se rappelle soudain de sortir de sa poche un petit papier tout froissé sur lequel sa mère a dû écrire la liste de ce qu’elle voulait. Le voilà qui s'emmêle dans les quantités demandées et finit par me tendre la liste, en me souriant. D’un geste professionnel, je remplis son panier de ce qu’il désire. Je ne peux m’empêcher d’ajouter avec malice :

— Si je peux suggérer la promotion du jour à monsieur : nos belles bananes encore fermes au toucher. Attendez deux ou trois jours et vous m’en direz des nouvelles.

— Merci, c’est gentil à vous, mais j’ai ce qu’il me faut à la maison, les miennes sont mûres et n’attendront pas demain. Je vous dois combien ? me répond Alex, avec le plus grand sérieux du monde.

Je manque d’éclater de rire. Heureusement que madame Fouanec est occupée à servir une famille de vacanciers indécis. Elle ne manque pas d’humour, mais si elle m’avait entendu, elle n’aurait pas pu s’empêcher de me tirer les oreilles. Je remets à Alex son ticket de caisse, après avoir griffonné un petit mot rapide au verso. Je le vois désolé de repartir, mais les clients suivants m’accaparent déjà.

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