La fête des cascades

4 minutes de lecture

Un chapitre / Une musique

Mylène Farmer - L'amour naissant (instrumental)

https://www.youtube.com/watch?v=MJopyAmhacg

*

Samedi 15 août 1981.

Je ne me trompe pas, c’est bien le tonnerre que je viens d’entendre au loin. Le sombre ciel me confirme que la tempête annoncée se rapproche dangereusement de Saint-Amant. En cet fin après-midi, Lucas a absolument voulu aider son père pour les festivités de ce soir. D’ailleurs, nous ne sommes pas les seuls. Plusieurs familles prêtent mains fortes pour monter quatre immenses tivolis le long du mur de l’église où se déroulera le banquet. Ici, cela semble être la tradition. L’ambiance est bon enfant. Les plus costauds soulèvent des tréteaux et de longues planches en bois pour en faire des tables, pendant que d’autres les recouvrent de lourdes nappes blanches immaculées, sur esquelles plusieurs décorations fleuries viendront se poser. Des lampions et des guirlandes de papier multicolores viennent embellir les lieux. Jean Latour, le maire du village a souhaité maintenir la fête des cascades en plein air, malgré l’opposition de plusieurs élus et habitants. Cette fête s’est toujours déroulée à l'extérieur, il n’en saurait être autrement cette année encore, et ce malgré la météo défavorable, rappelle-t-il solennellement. Je reste dubitatif, mais Lucas finit par me convaincre. L’emplacement stratégique, la grandeur et la solidité des tivolis nous mettront à l'abri de la pluie. Je participe donc à toutes ces installations, avec le sourire. Mais un sourire factice, car mon cœur n’y est pas. J’ai beau vouloir le cacher à Lucas, je ne dois pas être très convaincant. À l’approche de notre fuite, je suis partagé entre l’excitation et la peur. Alors que je fais une pause sur un banc sous l’un des marronniers, je vois Lucas me rejoindre, en sortant son paquet de cigarettes.

— T’as vu, ça a de la gueule, non ? Je suis content de partager cette soirée avec toi. Je n’ai jamais raté une seule édition de la fête des Cascades. Si tu savais les bons souvenirs que j’ai. Il faut absolument que je te raconte la fois où…

Mais il s’arrête en pleine phrase.

— Alex, ça va pas ?

— Lucas, j’ai l’impression que l’on fait une grosse connerie.

Il s’allume une cigarette et expulse une première bouffée.

— Chut, moins fort. Ne me dis pas que tu te dégonfles !

— Ça a l’air si facile pour toi !

Ses yeux paniquent. Je voudrais le rassurer, mais je n’ai pas envie de lui mentir.

— Tu veux qu’on annule ? chuchote-t-il.

Rien qu’à ces mots, je me reprends.

— Non !!

J’ai crié malgré moi. Plusieurs personnes se retournent vers nous. Gêné, Lucas me fait un clin d'œil et se met à rire bruyamment, en me donnant une petite frappe sur l’épaule. À mon tour, je joue le jeu et bascule sur le côté de façon théâtre, en faisant l'idiot.

*

Je tire une dernière taffe en regardant Alex se rasseoir correctement sur le banc avant de remettre son polo dans son bermuda. Il évite mon regard, au risque de rougir. J’ai envie de lui, là tout de suite. Il le sait. Il me jette un coup d'œil en esquissant un sourire. Mais la seconde d’après, celui-ci se transforme en moue. Je me retourne. Merde, ses vieux !

— Bonjour Lucas ! me dit sa mère, un grand panier en osier à la main.

Monsieur Dumont vient me saluer lui aussi sans dire un mot.

— Qu’est-ce-que vous faites ici ? Vous m’aviez dit que vous ne viendriez pas ! lance Alex de manière agressive.

— Que racontes-tu mon chéri, nous venons donner un coup de main, comme tout le monde, n’est-ce-pas ? Lucas, dis-nous à quoi pouvons nous nous rendre utiles s’il te plaît, me demande madame Dumont, en m’offrant son plus grand sourire.

Je m’empresse de les emmener sous les tivolis où déjà le maire les a repérés en se dépêchant de venir à leur rencontre. Je les laisse pour revenir auprès d’Alex.

— Je te jure qu’ils m’avaient dit qu'ils ne viendraient pas ! Regarde-les, comment font-ils pour faire comme si de rien n’était ? Je les déteste.

— Calme-toi Alex, dis-toi que demain, tu ne vois plus leur tronche.

Il me sourit aussitôt. Ouf, je préfère le voir comme ça. J’ai cru un instant que nous ne partirions jamais.

Nous finissons d’aider à l’installation, et déjà les habitants arrivent en grand nombre, avec chacun leur pique-nique. Nous nous éclipsons en direction de chez moi pour aller chercher le notre. Je propose à Alex d'en profiter pour monter quelques instants dans ma chambre. Une dernière fois. Malchance pour nous, j’aperçois mon père au loin me faire de grands signes en me montrant son panier rempli.

Nouveau coup de tonnerre. L’orage éclate brutalement au moment où nous arrivons sous le tivoli le plus proche. Il y a un nouveau grondement lointain, puis les gros nuages au-dessus de nous s’ouvrent. La pluie tombe d’un coup, torrentielle comme une pluie de mousson. Plusieurs personnes courent se mettre à l'abri, avant d'être totalement trempées. Nous nous regardons avec Alex, c’est impressionnant à voir.

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