Tonnerre

6 minutes de lecture

Un chapitre / Une musique

Gone World - Steve Moore

https://itma.bandcamp.com/album/gone-world

*

Samedi 15 août 1981.

Rapidement, le vent arrive à son tour, en bourrasque et soulève les nappes. Les gens autour de moi ne semblent pas s’en alarmer pour autant. Chacun commence à sortir sur les tables, salades composées, saucisson, baguettes de pain, desserts fait maison, sans oublier le vin. Lucas m’explique qu’ici, tout le monde partage son repas et que nous pouvons nous asseoir où nous le souhaitons. Autant rester loin de mes parents qui se sont installés sous un autre tivoli avec le maire. Nous nous asseyons l’un à côté de l’autre. Je lui chuchote à l’oreille que je vais probablement devoir rentrer avec eux et que nous n’allons pas pouvoir nous échapper comme nous l’avions prévu au cours de la soirée. Je le vois réfléchir. Mais nous sommes coupés par l’arrivée du gérant du bar-tabac, Frédo, accompagné de sa petite famille. Derrière eux, un autre couple d’amis vient s’asseoir eux aussi à notre table. Malgré l’inquiétude de savoir mes parents présents, j’arrive peu à peu à me détendre et à participer à la conversation. La soirée se déroule dans une ambiance conviviale. Bientôt, les hommes ont les joues rouges. Le vin est bon, les mets délicieux. Après ces derniers jours de canicule, la pluie, même si elle ne s’arrête pas, ajoute, avec son rythme régulier, une douceur bienvenue à la fête. Alors que je me ressers une part de gâteau, Lucas, me chuchote à l’oreille qu’il a réfléchi à la suite de la soirée. Je me crispe aussitôt, j’en aurais presque oublié un instant que dans quelques heures à peine, nous prenons la fuite.

— Alex, le mieux, c’est que tu rentres avec tes vieux comme si de rien n'était. Moi je file chercher mon sac à dos à la maison et on se retrouve dans la grotte où nous passerons la nuit, comme prévu. Surtout, n'oublie pas ta lampe torche. Je te conseille de mettre un pantalon et un pull, on risque de se cailler sévère avec cette pluie.

— Oui, maman, je prendrai aussi un manteau de pluie, dis-je pour me moquer et compenser mon stress.

Il me donne un petit coup dans les côtes. Je m’apprête à répliquer mais je vois mon père arriver vers nous.

— Alexandre, dépêche-toi, on rentre. S’il te plaît, ne fais pas d’histoires. Heureusement que j’ai eu la bonne idée de prendre la voiture pour venir ici.

— Bonne soirée monsieur Dumont, dit Lucas.

Je le vois soutenir le regard méprisant de mon père.

— Heu… Merci. Bonne soirée à vous jeune homme.

Je ne discute donc pas, et quitte aussitôt mon banc, après avoir salué la tablée.

*

Je vois Alex et ses parents s’éloigner en courant dans une rue qui passe devant la pharmacie. Il me jette un dernier regard en me souriant. J’aurais aimé l’embrasser pour lui donner du courage.

Je retourne plaisanter avec Frédo qui commence sérieusement à être bourré. D’ailleurs, il se met à chanter, sous les applaudissements de la table où nous sommes. Soudain, arrive un mec, trempé de la tête aux pieds, essoufflé. C’est François Desbois ! Il tremble de partout. Tout le monde le regarde. Il a l'air terrorisé.

— Aidez-moi, je vous en supplie.

Tout le monde se tait, seule la pluie continue son tambour musical. Marie, la femme de Frédo, se lève aussitôt pour lui céder sa place.

— Mais qu’est-ce que tu as, François ? On se demandait justement pourquoi vous n’étiez pas avec nous ce soir ! Où est Jacques ? Et ta mère ?

Mon cœur cogne dans ma poitrine. Soudain, j’ai très peur de ce qu’il va dire. Il refuse de s’asseoir, malgré ses tremblements. Il a les lèvres toutes bleues, il est blanc comme un cachet d’aspirine. Il est à deux doigts de s’effondrer.

— C’est…C’est Colombani.

— Quoi ?? crie Frédo, qui semble avoir dessaoulé d’un coup.

Déboule à ce moment-là Aurélien Picard. Le gendarme a les joues bien rouges, mais semble en toute possession de ses moyens.

— François, dis-nous ! Qu’est-ce-qui s’est passé ? Tu l’as vu ?

Et là, François se fout à chialer comme un môme. Aurélien le secoue.

— Mais parle, nom de Dieu !

— Lâche-le, Aurélien, crie Marie.

— Il vient de tuer papa !

— Oh seigneur ! crie ma voisine.

Je vois débarquer mon père, les yeux inquiets.

— Philippe est revenu ? lance-t-il.

— Aidez-nous, je vous en prie. Maman a réussi à s’enfermer dans le grange et moi à m’enfuir. Mais Colombani a pris Jacques en otage.

— Comment ça, pris en otage ? hurle à présent Aurélien.

— Je lui avais dit que tout ça finirait mal. Colombani a pris le fusil de papa et a tiré sur lui, avant de menacer Jacques d’en faire autant.

— Alors, c’est vous qui le cachiez depuis des jours ? s’exclame Frédo.

François baisse la tête. Il continue de sangloter. Marie l’oblige à présent à s'ssoir, sous peine de le voir littéralement tomber par terre.

— Colombani a obligé papa à le cacher. Il avait une dette envers lui…Enfin, je n’ai pas tout compris, mais ce que je sais, c’est qu’ils se sont rencontrés en prison, il y a deux ans. C’est mon frère qui me l’a dit. Ça faisait plusieurs jours que papa essayait de s’en débarrasser. Et puis ce soir, ils se sont engueulés et ça a dégénéré. Après avoir tué papa, Colombani a pris son sac à dos et a obligé Jacques à venir avec lui pour qu'il le cache ailleurs, en attendant de partir d'ici pour de bon. Un autre complice doit venir l’aider à s’enfuir de la région.

— Colombani a un réseau de dingues ! À croire qu’ils sont tous prêts à l’aider pour effacer leur dette ! enrage Aurélien.

—Vu la direction qu’ils ont pris, je ne serais pas étonné que Jacques essaye de l’emmener aux cascades. Il y a une grotte qui pourrait faire l'affaire. Mais j’ai peur. Avec cette maudite pluie, ils risquent de ne pas pouvoir y parvenir, c’est trop dangereux !

Tout à coup, la pluie semble redoubler d’intensité. Moi qui pensais que l’orage s’était éloigné, le voilà qui au contraire montre son vrai visage. Un éclair foudroyant apparaît, suivi d’une impressionnante déflagration. Je ne sais pas où la foudre est tombée, mais tout près d’ici, c’est certain.

— Il faut faire quelque chose Aurélien, crie Monsieur de Maire, que je n’avais pas vu arriver. Il n’est plus que l’ombre de lui-même.

— Je ne suis pas de service. C’est la gendarmerie de B. qui assure les urgences ce soir.

— C’est beaucoup trop loin ! Putain, on va pas laisser Jacques tout seul avec ce malade ! hurle Marie.

On attend tous ce que va dire Aurélien qui réfléchit aussi vite qu’il peut.

— Frédo, ton fusil est encore en état ?

— Ça fait un bail que je ne m’en suis pas servi pour chasser, Marie ne veut plus que…

— On s’en fout, va le chercher. On verra après.

— J’en suis ! Je vais chercher le mien aussi, annonce fièrement mon père.

Je déglutis. Mon cerveau carbure à cent à l’heure. Comment je vais prévenir Alex ?

— Bon, très bien, je vais chercher celui de mon père à la maison. On se retrouve ici dans quinze minutes maximum. Après, on prend ma bagnole direction les cascades, annonce Aurélien.

Marie se met à paniquer et à finalement supplier Frédo de ne pas y aller. Je m’aperçois seulement maintenant que nous sommes entourés par des dizaines de personnes qui se sont, tant bien que mal, agglutinés autour de nous, sous le tivoli. Arrive, hors de lui, monsieur Leduc, qui fond sur François. Il lui donne un coup de poing au visage sous le regard atterré de l’assemblée. Derrière lui, sa femme l'insulte en le traitant de violeur. Je profite du mouvement de panique et des cris de plusieurs personnes pour m’enfuir. Je cours sous la pluie. Il faut absolument que je récupère mon sac à dos pour regagner les cascades avant que tout le monde n'arrive. Et surtout retrouver le plus vite possible Alex !

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