Perspective

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Vingt ans après


-Lylian Ashford de Priexa, appela une voix rauque, déformée par l'alcool. 


Un jeune homme sortit d'une tente simple, nerveux. Il était de petite taille, avec une grosse veste sur son buste. Il marchait d'un pas léger et souple. Ses cheveux noirs étaient recouverts par un bonnet fait main et ses yeux étaient d'un noir profond et ne cessaient pas de regarder à droite et à gauche, visiblement inquiets. Sa peau était couverte de terre et de charbon et il dégageait une forte odeur de cheval, quelques brins de pailles pendus dans ses mèches qui dépassaient de son couvre-chef. 


A son arrivée dans la tente d'où l'on avait appelé, des rires se firent entendre et le jeune homme entendit des remarques comme "demie-portion", "faiblard" et pire. Il fit mine de rien entendre mais nota chaque visage dans un coin de sa tête, bouillant intérieurement. Il y avait le gros là-bas, qui buvait sa bière, sûrement saoul, qui le regardait d'un air moqueur de ses petits yeux bouffis. Celui avec la barbe blonde qui le traitait de demie-portion et son acolyte qui acquiesçait à tout ses dires. Et il y avait tout les autres qui le dévisageait et le prenait de haut, les yeux méprisants. Le jeune homme prit la parole d'une voix peu forte:

-Vous m'avez appelé général ? Demanda t'il, bien qu'il n'ait aucune idée de qui était le général ici. Tous étaient dans des états d'ivresse inquiétants ou dormaient affalés sur les bancs du bar installés dans la grande tente.

On le bouscula, et le jeune tomba, au grand fou rire général. Quelqu'un le remit debout avec violence en l'attrapant par son manteau. La veste se déchira et fut arrachée son propriétaire. Ce dernier tenta désespérément de récupérer son bien en sautant après son ravisseur qui éclatait de rire, emportant avec lui toute l'assemblée. On enleva son bonnet et de longs cheveux noirs tombèrent en cascade. Sa veste ainsi arrachée, tout le monde pouvait désormais comprendre la supercherie. Le plus imposant se leva, et c'est là que la jeune femme comprit que c'était le général. Elle soupira intérieurement sans pour autant se décourager. 


-Hé les gars, fit le gros, notre p'tit gars est une demoiselle!

Et ils repartirent dans un fou rire inexplicable. La jeune femme prit ses affaires, le rouge aux joues et commença à partir. Seulement, le général se mit devant elle, bloquant la sortie de son corps imposant, un sourire victorieux à ses lèvres enflées. 


-Alors comme ça on voulait signer pour rejoindre les Protecteurs? dit-il dans un rire sonore. Alors que seuls les gars peuvent passer le concours. C'est assez culotté de faire ça ma ptite dame. Vous pourriez finir en prison pour ça. 


La peur gagna la jeune femme mais celle-ci resta impassible. Elle s'apprêta à ouvrir la bouche pour répondre d'un ton aigre, mais n'eut pas le temps de répliquer. Les bougies se mirent à frémir et finirent par s'éteindre. Le silence se fit et des chevaux hennirent. Quelqu'un se tenait devant les pans de la tente. Il entra dans le silence absolu. C'était un homme, entièrement vêtu de noir, les cheveux et les yeux de la même couleur. Seule sa peau blanche contrastait sur l'ébène de son apparence. Il était jeune, le visage fin avec une barbe courte et des yeux perçants. Il posa un regard méprisant sur l'homme qui bloquait l'entrée au soit-disant Lylian. Le ravisseur de cette dernière finit par bredouiller:

-Toutes mes excuses Lord Orpheus, je me retire.

Et il laissa passer le noble qui semblait familier au faux garçon. Le noble suivit l'autre d'un regard noir avant de dire d'une voix calme et sombre:

-Je suis Lord Orpheus, comme la plupart l'auront deviné, Premier Sorcier Murmureur du Roi Garett Aylaire le Juste. Je suis ici pour vous faire part d'une grande nouvelle qui pourrait bien changer le cours de votre vie et nous donner un avenir meilleur en chassant les Abominations.

Orpheus...Griffin Orpheus pensa la jeune femme, intriguée, tandis que le noble continuait de parler. Elle connaissait son histoire, ses origines et une partie de ses aptitudes.

Il était le plus puissant des Ensorceleurs de ce siècle mais de sombres rumeurs couraient dans tout le pays à son propos. Les gens disaient qu'il était le descendant du plus puissant des Ensorceleurs, Yornard. Ce dernier était le plus proche ami du roi de l'époque, et comme son soit-disant descendant, le plus puissant Ensorceleurs du siècle. Il était un Sorcier d'Obscurité, un type extrêmement rare d'Ensorceleur, capable d'invoquer l'obscurité et semer le trouble dans l'esprit des personnes. Bien contrôlé cet Art pouvait être un don pour le royaume mais laissez vous charmer par cette puissance que vous offre cet Art et vous plongerez le monde entier dans le chaos. Yornard ne fut pas assez résistant et succomba à l'emprise de son don. Il provoqua la guerre dans le royaume et tua le roi, Jef Aylaire et tenta de réduire à néant sa famille mais échoua. Tout les Sorciers, des Ensorceleurs choisis pour leur grand talent pour manier les Arts, furent chargés d'éliminer la menace. Un grand combat eu lieu et avant que Yornard n'explosa en cendres, l'ancien Sorcier libéra un flux d'énergie, son Art, qui engendra la naissance de bêtes difformes, dangereuses et sanguinaires, chargées de tuer le reste de la famille royale. Heureusement, grâce à un rassemblement en masse d'Ensorceleurs et du groupe de Sorciers, ces Abominations furent pour la plupart exterminées et le reste fut enfermé dans une cellule hors du temps, les bannissant ainsi du monde réel. On raconte qu'une partie de l'Art de Yornard servit à créer un être capable de prendre la relève de ce Sorcier Sombre et que cette personne serait Griffin Orpheus.

-Les volontaires pourront signer un contrat dans ma tente. Je m'occuperai personnellement de leur enrôlement dans la Chasery, conclut le Lord.

Orpheus se tourna vers la sortie et ses yeux se posèrent sur la jeune femme, cachée dans l'ombre. Ses deux pupilles brillèrent un bref moment avant qu'il ne dise d'une voix qui fit trembler l'intruse:

-Vous, dans ma tente.

Et sur cette courte phrase, il sortit dans un claquement de cape noire.

Le général aux yeux bouffis lui lança un regard mauvais, un sourire tout aussi charmant aux lèvres avant de retourner à sa bière.
La femme prit ses affaires d'un geste sec avant de quitter discrètement la tente sous quelques rires.

Elle marchait dans la boue, en colère contre elle, pour le fait d'avoir échoué, et contre les hommes qu'elle trouvait brutaux et injustes. Pourquoi ne pouvait-elle pas postuler en tant que Protecteur? Elle s'était entraînée depuis ses cinq ans et elle en avait vingt-un désormais. Tout ça à cause du sexisme des hommes et des traditions. Elle rejeta sa longue crinière de cheveux noirs dans son dos, se préparant à aller en prison. Après tout c'était pour ça que Lord Orpheus l'avait convoquée. Il avait vu qu'elle était une femme et qu'elle n'avait rien à faire dans cette gente exclusivement réservée aux Guerriers, les hommes employés par les Gardes pour garder les frontières des pirates. Cette classe était jugée difficile et sans pitié, donc interdite aux femmes. Et c'était cette règle que la jeune femme trouvait affreusement stupide et révoltante. Elle cherchait le refuge du Lord, vagabondant entre les tentes des soldats, cherchant sa grande tente.
*
Elle finit par trouver la tente du noble, une tente noire au centre du campement. Elle se plaça devant l'entrée, le coeur battant à toute allure, n'osant pas entrer.
-Entrez je vous prie, fit la voix du noble plus loin dans la tente. Ne restez pas dehors.
La jeune femme poussa les lourds plis des rabats de la tente, avançant dans l'obscurité.
Une bougie s'alluma et l'homme apparut, une allumette à la main. Il sourit avant de souffler sur la mèche.

-Entrez. J'ai à vous parler, dit-il.

Elle se mit droite, comme au garde à vous.

-Je m'excuse de ma désobéissance Sir, je ne voulais que servir au mieux mon roi et ma reine.

Griffin la coupa dans son élan.

-Je ne veux pas vous parler de votre essai peu fructueux d'infiltration parmi les Protecteurs.
La jeune femme fronça les sourcils mais ne dit rien, déstabilisée par la déduction de l'homme.
-Simple hypothèse, murmura le noble. Merci de la confirmer, miss...?

-Ashford Sir. Lylith Ashford, répondit-elle, toujours dans l'esprit militaire.

-D'où venez vous? Interrogea t'il.

Lylith ne comprit pas. Pourquoi lui poser toutes ses questions ? Pour la voir souffrir lors du jugement qui la conduira en prison ?

-Dans le nord du pays monsieur, de Priexa exactement, répondit-elle.

-C'est un port de pêche il me semble, ajouta Orpheus d'un ton détaché. Il paraît que c'est un très joli coin.

Pour être un bel endroit, Priexa était sûrement le mieux choisi. C'était un simple village, au bord de l'Océan Bleu, paradisiaque durant la Saison Chaude, dur à vivre dans la Saison Froide. La plupart des maisons étaient en hauteur sur des falaises couvertes d'herbes vertes, où paissaient le bétail pendant la Saison Nouvelle. On y voyait courir les enfants en riant à la recherche de papillons et d'albatros, ces immenses oiseaux avec leurs ailes démesurées. La mer venait lécher vos pieds posés sur le sable noir des côtes et vous rafraîchissait l'esprit, vidant votre tête de vos mauvaises pensées. Les hommes rentraient le soir, chargés de poissons, de coquillages et de crustacés, de plumes et de coraux.

Lylith porta instinctivement sa main à son cou où pendait un morceau de corail en forme d'arbre, un cadeau de son père, décédé en mer. Car, bien que Priexa pouvait sembler être un paradis aux premiers abords, les morts étaient nombreuses durant la Saison Froide. Sa mère et elle avaient du se nourrir seules et s'en étaient très bien sorties, avant que sa mère ne meurt de la maladie Alpha...

Lylith ferma les yeux un bref moment. La maladie Alpha était désormais partie du pays en emportant des milliers de vies.

Elle ouvrit à nouveau les yeux et remarqua que l'homme la fixait de ses yeux sombres, comme si...il lisait à travers elle. Était-il Télépathe ? Sûrement car il lui dit:

-Ca a l'air d'être un bel endroit en effet.

-Je ne Vous permet pas de lire dans mes pensées Sir, répliqua t'elle sèchement.

Il eut un mouvement de recul et fronça les sourcils, un doute brillant dans ses yeux, voire même une crainte. Néanmoins il se reprit, d'un ton plus sombre.

-Je veux vous proposer de rejoindre la Chasery.

-La Chasery ? Dit-elle d'un ton interrogé.

-Vous n'avez donc pas écouter ce que j'ai dit dans la tente avec vos chers amis toute à l'heure, rétorqua t'il. Bien. Peu importe. La Chasery est une unité qui a été créée récemment pour s'assurer du bien être de la cellule extra-temporelle.

-La celle extra-temporelle, s'étouffa la jeune soldate. Celle où les Abominations ont été enfermées ? Je croyais que c'était une légende !

Les Abominations, ou Affreuses, étaient des monstres d'une autre dimension, aujourd'hui encore inconnue, qui avaient été invoquées par Yornard dans le but précis d'éliminer toute la famille royale. Mais, selon la légende, une fois que Yornard eut été tué, les Affreuses se seraient retrouvées piégées dans une bulle de magie puissante.

L'homme secoua la tête pour dire non.

-Ce n'est nullement une légende. Peu de gens connaissent son emplacement et seule une petite unité va être formée pour protéger en cas de besoin cette cellule.

-La protéger de quoi exactement ? Demanda Lylith, méfiante.

Il hésita avant de se confier.

-Je ne suis même pas sensé vous avoir dit en quoi consistait votre unité de Chasery...Mais cela fait quelques mois que les Sorciers et moi percevons des ondes peu encourageantes de la cellule. Cela n'annonce rien de bon et nous craignons que quelqu'un veuille déchirer la cellule afin de libérer les Abominations de Yornard. Chaque Sorcier a été désigné pour choisir une personne qu'il trouvera courageuse et combative. Je crois bien que j'ai trouvé mon Choisi.

Il posa son regard sombre sur elle avant de reprendre.

-Il y a autre chose qui le tracasse, ajouta t'il en se relevant brusquement et faisant les cent pas. Une sorte de prophétie. Qui annonce la venue d'un Faiseur de Lumière. Mais aussi...un Faiseur de Nuit...

Le coeur de Lylith manqua un battement. Les Faiseur de Lumière et d'Ombre étaient sans débat possible les plus grands sorciers de tous les temps. On raconte que Yornard fut le seul Faiseur d'Ombre mais que le Faiseur de Lumière n'était pas né encore à cette époque. Ce dernier était sensé sauver le monde des restes de l'Art du Sorcier Sombre. Mais nul aide de sa part ne parvint aux Sorciers quand ils en eurent besoin. Si il autre Faiseur d'Ombre revenait, c'était la fin du monde assurée.

-Un Faiseur de Lumière ? Reprit-elle. Serait-ce possible ? Aucun Faiseur de Lumière n'a été répertorié depuis le Commencement...alors que cela arrive maintenant serait un miracle...

L'homme posa ses mains sur la table, soucieux.

-Un miracle oui, mais je cherche cette personne depuis des années maintenant et je n'ai toujours rien trouvé.

Il tapa du poing sur la table qui trembla. Un instrument en verre tomba et Orpheus lui jeta un regard méprisant sans pour autant le ramasser. Lylith s'approcha de la table doucement.

-Si je comprends bien vous m'avez choisie...murmura t'elle. Mais pourquoi moi alors que vous pourriez choisir un jeune Ensorceleur ? Après tout les Ensorceleurs ont l'Art, tandis que je n'ai aucun pouvoir spécial...

L'homme se redressa, son regard posé sur elle.

-Parce tu es courageuse et que tu sais te battre. Tu as du sang froid et tu es maligne. Plus encore, tu sais anticiper les mouvements et t'adapter dans les situations les plus critiques. Pour finir, quand tu as un but, tu feras tout pour mener à bien ton objectif. J'ai parlé à tes camardes et c'est ce qu'ils m'ont dit de toi, et étonnement, je les crois. Ce sont ces raisons qui font de toi ma Choisie que je présenterai à mes confrères dans trois jours à Balkan, la Cité des Ensorceleurs, annonça t'il. Mes compères auront pris sous leur aile des Ensorceleurs mais ce n'est pas parce que tu sais manier l'Art que tu sais te battre et que tu es loyal. Ces jeunes ont vécu dans un monde favorisé tandis que toi tu t'es battue chaque jour pour la survie de ta famille et ta propre vie. Tu seras sûrement mise à l'écart, ils te prendront pour une faible et une moins que rien. Mais à la fin, lorsqu'ils comprendront leurs erreurs, ils finiront pas te copier et te suivre.

Orpheus s'interrompît, à bout de souffle. La jeune femme ne répondit rien à cela.

-Quand partons nous ? S'enquit-elle.

-Demain à l'aube.

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